Le post-homme n attend pas
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Le post-homme n'attend pas

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Description

Écrite comme une suite de " L'inspecteur Henry et le dernier câble ", " Le poste-homme n'attend pas " est une brève nouvelle qui révèle encore une fois la plume talentueuse de son auteur.

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Publié le 09 septembre 2011
Nombre de lectures 257
Langue Français

Extrait

PAUL BONNEFOY
Le post-homme nattend pas
«Je suis létincelle de vie, je suis la lueur de ton esprit, qui de limmatériel éther fera surgir ton âme nouvelle». La petite chansonnette faisait son bout de chemin dans la tête de Mathieu. Il enchaînait les lignes de codes sur son clavier antique à une vitesse proprement ahurissante. Le cliquetis musical des touchesrythmait sa chanson improvisée. Il avait le regard collé à son vieil écran dordinateur noir et blanc (la couleur, pourquoi faire ?) occupé à relire et corriger le code en Fortran quil tapait. Un vieux langage, mais il nen changerait pour rien au monde. Pour son Grand Œuvre, il navait besoin en tout et pour tout que dune station Sun © tournant sous un vieil Unix et – bien sûr – les nombreux serveurs sur lesquels étaient stockés la divine mémoire et LE code. Celui qui ferait de lui et ses acolytes pas moins que les nouveaux Prométhée.
On pouvait toujours rêver. Parce que vu dun œil extérieur, lui et ses deux acolytes navaient lair que de troisgeeks post-adolescentsattardés (un pléonasme?) aux lunettes toutes embuées de leurs yeux rougis par les nuits passées devant lécran à se corner les mains à force de masturbations frénétiques et pluri-quotidiennes. Dans le fourbi de leur matos, les trois petits génies accumulaient les plans sur la moquette – pardon comète – au moins autant que la poussière dans les coins. Si, question électronique et consort, ils sen sortait bien, dun point de vue des arts ménagers, cétait pas trop ça. Bien entendu, comme souvent chez les ex-ados en mal dintimité, il y avait un panneau du style «entrée interdite» accroché sur la porte de lappartement. Evidemment, lhypothétique maman ne venait jamais nettoyer les recoins qui pourtant en avaient bien besoin.
Pourtant, tout ce fatras avait un ordre. Bien sûr pas de ces ordres rangés comme dans la tête des bonnes gens, non, mais un ordre quand même. Un ordre rangé comme leurs fils électriques emberlificotés, un ordre rangé comme leurs pensées parasites. Bref, ils sy retrouvaient bien. Prenez par exemple le bureau de Morty – Morty pour Mortimer, le nom que Mickey (la souris) avait failli avoir –. Et bien, le bureau de Morty ressemblaitde loina une table datelier classique, mais de près cétait une autre paire de manches. Morty, cétait le spécialiste des IHM et de la robotique. Tout un programme. Comme cétait le plus normal des trois, cest son cerveau quon avait scanné pour le Grand Œuvre. Je vous épargne les détails, on en reparlera plus tard. Lui, donc, sétait spécialisé dans tout ce qui était IHM (soit Interface Homme Machine). En gros, leur bébé, sil paraissait bien fait, cétait dabord grâce à lui. Il fallait que les mouvements ressemblent à des mouvements naturels, que le corps se déplace de manière souple et aussi que quand il serrait une poigne, surtout il ne fallait pas que sa main broie celle de son interlocuteur. Très important ça. Donc, toutes ces choses, et bien plus encore, cétait lui, Morty, qui les réglait avec ses petits bidouillages maison. En ce moment même, il travaillait toujours sur les bras. Très dur les bras.
Vous me direz que voilà une belle brochette de génies. Et bien oui Mais pas seulement. Cest vrai que ce quils développaient était à la pointe de la technologie, pas moins, mais ils étaient avant tout très malhonnêtes. Et tout ça ne germait pasex nihilo deleurs cerveaux démiurges.
Non, ils le volaient. Faut dire quils avaient leur petit réseau de contacts (quils payaient grassement) et puis aussi, ils pirataient tout ce quils pouvaient. Tenez, leur dernier arrivage dinfos fraîches concernait justement les interfaces cérébrales robotiques (tout un programme) Ah, il ne faut jamais se fier aux réseauxwifides ouverts congrès internationaux, surtout si lon est un chercheur mondialement reconnu qui vient présenter ses derniers résultats révolutionnaires. Morty avait passé les semaines précédentes à décrypter et intégrer les données copiées sur le disque du chercheur concerné. Avec ça, pour sûr, ils allaient parachever leur Œuvre.
Bref, il était tout à son travail quand il constata quil lui manquait quelques pièces, notamment deux petits moteursbrushlessremplacement de ceux qui avaient grillés. Il prit la somme en nécessaire dans la caisse commune et sengagea vers la sortie. Mathieu, le voyant partir, lui demanda où il allait. Ce à quoi Morty répondit que ça ne le regardait pas, mais bon tout de même, il allait chez BigBill. «Hmm» fit Mathieu. Et il sen retourna à son code. Lorsque la porte claqua, la petite musique pianotée de Mathieu sarrêta. Il se retourna alors vers le troisième comparse, qui faisait un peu de soudure dans son coin. - Hey, Michel! fit-il à son intention. Lautre souleva alors son casque de soudure, laissant entrevoir un regard torve. - Quest-ce quil ya? marmonna-t-il à ladresse de MathieuCelui-ci eut un haut le cœur et hésita à enchaîner. - Tu trouves pas que Morty a un comportement bizarre ces temps-ci? Lautre renifla un bon coup et contempla son travail, puis il répondit à Mathieu, sans se retourner. - Bah, cest normal ça, depuis quil a récupéré ses infos sur les interfaces cérébrales machin-là, il est pressé den finir avec cette partie pour passe à la suite Les choses sérieuses, quoi! - Mouais, il serait pas en train dessayer de nous doubler, plutôt? Jle trouve de plus en plus secret Jvais aller voir ce quil fait.. - Tes parano, mon vieux. Occupe-toi plutôt de ton taf, tas du retard! Et sans plus un regard pour Mathieu, Michel remit son casque et poursuivit son travail. Lautre le regarda un instant, puis fit mine de reprendre son activité. Pourtant dans sa tête, la petite musique avait changé. Le son était devenu plus lourd, plus pesant.
Michel, donc, était le dernier membre de la tribu, qui à trois formait les 3M, groupuscule méconnu mais ambitieux. Du groupe, Michel était celui qui était le plus porté sur lIA, lintelligence artificielle. Les sciences cognitives, cétait son truc Et son fantasme. En fait, la soudure, cétait juste du menu fretin quil préparait pour Morty. Il achevait de monter les circuits imprimés que ce dernier lui avait fourni pour le cerveau électronique du bébé. Mais pendant tout le temps quil sadonnait à cette tâche manuelle, son esprit bouillonnait. Dans sa tête, il visualisait l architecture des pensées en devenir de leur enfant. Le cœur du projet cétait lui. Pour résumer, lui, il spécifiait ce quil fallait mettre dans la machine; Mathieu codait les données et Morty fabriquait la machine elle-même. Une belle mécanique. Ceci dit, avec le temps, la mécanique commençait à rouiller. Plus le projet avançait et plus les uns et les autres commençaient à devenir méfiants et à se suspecter. Pas question de se faire doubler au dernier moment. Faut dire que la mort de Julie, lune de leurs plus efficaces pourvoyeuses de data, leur avait mis un coup. Ah quelle galère, pensa-t-il, mais le post-homme valait bien des sacrifices. La petite Julie savait ce quelle risquait en volant des secrets pareils. Elle est morte en martyre, pionnière de la post-humanité.
Cest Michel qui lavait contactée. Cest aussi lui qui avait monté toute lopération et recruté les deux fous furieux de lélectronique, là. Et enfin cest lui qui avançait largent, tant pour lespionnage industriel que pour le paiement du matériel. Aussi, sil y avait un problème, cest LUI que ça regardait. Dailleurs, on sonnait à la porte, cétait encore à lui daller voir.
Pendant ce temps, Morty était chez BigBill (un revendeur en tout) pour trouver le matos nécessaire à son projet. Il aimait bien se promener dans ces rayons à diodes, transistors et autres résistances pour tous les goûts. Dune part ça lui permettait de déstresser. La pression au labo devenait de plus en plus infernale et il avait du mal à la supporter. Après la mort de Julie, il avait bien failli tout envoyer balader, mais le chantage de Michel avait fait son œuvre. Il était mouillé jusquau cou, il devait aller jusquau bout. Alors quil triturait des rouages pour son bras gauche, il remarqua non loin de là une silhouette inquiétante, borsalino et complet veston. En temps normal, il ny aurait pas prêté attention, mais avec sa parano qui revenait en force, un look pareil avait de quoi linquiéter. Il prit les quelques pièces qui lui manquaient et se dirigea vers la caisse, tandis que lindividu fit mine de le suivre. Gardant son sang froid, il sadressa au vendeur dans les même termes et avec la même intonation de voix que dhabitude (du moins le crût-il): «Promettez-moi de ne rien dire à personne, daccord?» fit-il en guise dejoke, ce à quoi le vendeur répondit, tout en pointant du menton linconnu derrière:«Ça, je peux pas promettre»
Michel leva les yeux vers son bébé. Pour linstant, il navait pas grande allure. Son cerveau reposait dans plusieurs serveurs différents et son corps nétait pas encore activé. Il navait pour le moment quune caméra et deux microphones en guise dinterface.Çafera bien laffaire pour le moment. En effet, Michel navait que trop attendu, et il fallait bien essayer un jour pour voir si les sacrifices engagés valaient la chandelle. Il regarda sa montre, Mathieu nétait toujours pas rentré. Il avait eu une course urgente paraît-il, mouais, plutôt louche, ça. Il sétait absenté juste quand linspecteur de police avait frappé à la porte, comme par hasard. Quel manque de sang froid! Quant à linspecteur, après lui avoir servi la soupe habituelle, il sen était retourné à ses pénates, et Michel à ses moutons, à SON mouton.
Voilà. Les branchements étaient effectués, il ny avait plus quà enclencher le contrôleur et son bébé allait bientôt prendre vie. Avant deffectuer son dernier geste, Michel eut une pensée pour Marty. Après tout, cest son esprit qui avait été copié sur disque dur. Dommage quil ne soit pas présent pour ce grand moment. Si tout se passait bien, la chose qui allait naître serait en quelque sorte un autre lui, unalias. Un instant, le temps suspendit son vol, une goutte de sueur perla sur le front de Michel tandis quil enclenchait le dernier bouton. La machine se mit à ronronner. Sur lawebcam, une lumière salluma. Michel contempla cet œil qui sagitait en retour.
«Il» venait de naître.
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