Misère !
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Misère ! Chaque jour,en fin d’après-midi,j’avais pour habitude dem’assoir sur un banc, au bord d’un cours d’eau frais et mélodieux, et d’observerles passants.Et chaque jour, en fin d’après-midi, cet homme mystérieux allaittranquille sur le trottoir d’en face, laissant dans son sillage l’empreinte d’une âme heureuse et accomplie. A la vieille dame venue chercher son pain, il adressait une politesse en inclinant légèrement la tête ; aux enfants qui jouaient dans le petit parc, il renvoyait le ballon lorsque celui-cis’égarait à ses pieds; au fier bébé trônant dans sa poussette, il livrait quelques jolies grimaces et de longs gazouillis,dans l’espoir de le voir faire risette; enfin, au clochard exténué, il offrait un croissant chaud, un sourire qui l’était tout autant, et deux trois piécettesqu’il déposait sans gant dans un gobelet de fortune. De tous les grands préceptes, souvent inappliqués par leurs prêcheurs, cet homme simple avait choisi le don de Soi.C’est alors qu’un phénomène étrange se produisit. On avait eu vent de sa bonté et subitement les nécessiteux se multiplièrent sur son chemin. Certains, bienqu’ilsfussent réellement dans le besoin, gardaient la tête baissée pour ne rien exposer de leur misère, comme cela se fait dans la plupart despays de l’Est. D’autres, connaissant par cœur leurs bassesses, roulaient des yeux humides en quémandant sans vergogne. Le pauvre homme, ne pouvant souffrir pareille désespérance,donnait le sou à chacun d’eux.

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Publié le 30 janvier 2015
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Extrait

Misère !
Chaque jour,en fin d’après-midi,j’avais pour habitude dem’assoir sur un banc, au bord d’un cours d’eau frais et mélodieux, et d’observerles passants.Et chaque jour, en fin d’après-midi, cet homme mystérieux allaittranquille sur le trottoir d’en face, laissant dans son sillage l’empreinte d’une âme heureuse et accomplie. A la vieille dame venue chercher son pain, il adressait une politesse en inclinant légèrement la tête ; aux enfants qui jouaient dans le petit parc, il renvoyait le ballon lorsque celui-cis’égarait à ses pieds; au fier bébé trônant dans sa poussette, il livrait quelques jolies grimaces et de longs gazouillis,dans l’espoir de le voir faire risette; enfin, au clochard exténué, il offrait un croissant chaud, un sourire qui l’était tout autant, et deux trois piécettesqu’il déposait sans gant dans un gobelet de fortune. De tous les grands préceptes, souvent inappliqués par leurs prêcheurs, cet homme simple avait choisi le don de Soi.C’est alors qu’un phénomène étrange se produisit. On avait eu vent de sa bonté et subitement les nécessiteux se multiplièrent sur son chemin. Certains, bienqu’ilsfussent réellement dans le besoin, gardaient la tête baissée pour ne rien exposer de leur misère, comme cela se fait dans la plupart despays de l’Est.D’autres, connaissant par cœur leurs bassesses, roulaient des yeux humides en quémandant sans vergogne. Le pauvre homme, ne pouvant souffrir pareille désespérance,donnait le sou à chacun d’eux.Ce quin’était pas pour plaire à tout le monde. « Mais tu finiras pauvre ! » lui disaient ses amis. Néanmoins, il continua de distribuer le fruit de son labeur, fidèle à sa philosophie, selon laquelle : « Nous avonsde l’or au creux de la main s que notre cœur s’y promène ». Les jours passèrent, puis les semaines, puis les mois. Et bientôt la petite rue devint le repère principal des supposés désargentés. On désertait le parvisde l’Egliseet les vitrines des boulangeries, pour venir rejoindreL’allée du square. Ici, saltimbanques et clandestins partageaient le pavé avec de vieux ivrognes aigris refusant le pain, mais braillant leur contentement quand tintaient leurs gamelles. C’était également l’époque destristes gitanes faisant mine de devoir abandonner leurs bébés, et que des hommes venaient pourtant chercher le soir dans des voitures neuves. Finalement, les paumes tendues vers le ciel se succédèrent. De nouvelles se présentaient au petit matin,tandis que d’autres disparaissaient, après avoir extorqué suffisamment au pauvre homme pour ne plus avoir à mendier. Ce dernier finit par y laisserl’intégralité deses économies. Et par là-même, il perdit ses amis, son emploi et sa femme. Alors, la rue se vida peu à peu de ses miséreux, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que lui.sur un lambeau de carton, il songea Assis péniblement à sa condition. Comment se pouvait-il que lui, qui avait œuvré toute sa vie durant pour les autres, se retrouve seul aujourd’hui? Il leva les yeux en direction des merveilleux nuages, mais personne ne répondit. Désormais, la jeune femme à la poussette changea de trottoir à chaque fois qu’elle le vit ; les enfants évitèrent de jouer à ses côtés,par peur d’être contraints à lui réclamer leur ballon ; et en sortant du magasin, la vieille dame se mit à masquerd’un foulard le quignon croustillant du pain qui dépassait de son sac. Même les insupportables pigeons pouvaient prétendre à davantage d’égards. De leurs pas pressés, les passants obnubilés par l’écranlumineux de leurs portables dessinèrent une frontière autour de cet homme. Les murs invisibles de sa nouvelle demeure se rapprochèrent au fur et à mesure que sadignité s’amoindrit. Et il ne lui resta bientôt qu’un morceau de trottoir à peineplus grand qu’un cercueil. Un après-midi d’automne, tremblant comme une feuille, il s’est levé et il est parti. Je ne l’ai jamais revu depuis. D’aucuns m’ont dit qu’ils l’avaient aperçu, errant près de la rivière; d’autres qu’il s’en était alléretrouver le grand absent de ce siècle. Quant à moi, qui fus le spectateur de sa bouleversante existence, je me réconfortaidans l’idée que l’on souffrait moins à nepoint partager. Un soir, face au miroir, je me fis la promesse solennelle de ne rien changer, et de continuer ainsi à tout faire pour être épargné. Soudain,l’étendue glacée se troubla et me murmura un bien sombre présage : « Prend garde à toi, ô étranger, la misère humaine possède bien des visages. »
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