Prélude en chien mineur et Suites
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Prélude en chien mineur et Suites

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1 2 3 4 UN TEMPS DE CHIEN 5 Yann promenait son chien en songeant qu’il s’ennuyait ferme et qu’il devait trouver une solution. Il en voulait au chien. Le chien n’avait pas de solution et pourtant il ne s’emmerdait pas. C’était injuste. Le chien ne se projetait pas, la promenade était son seul espace de pensée. Ce chien n’avait aucun esprit de contradiction. Ce chien n’avait aucun intérêt, pourquoi avoir un chien ? Il ferait mieux d’admettre son erreur et de le ramener à la SPA dont il l’avait sorti. Une décision fatigante, impossible à prendre. De toute façon Yann prenait rarement de décisions, par contre il était doué pour les résolutions de type Onusiennes, c'est-à-dire rarement appliquées et assez nombreuses. Il faut que je trouve une solution, se dit-il encore une fois. Le chien fit quelques sauts de cabri assez comiques dans l’herbe du bas-côté, c’était sa manière d’essayer de surprendre des mulots. Il avait du style, mais n’avait jamais réussi à s’emparer du moindre mulot.

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Publié le 03 mars 2013
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Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

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UN TEMPS DE CHIEN5
Yann promenait son chien ensongeant qu’il s’ennuyait ferme et qu’il devait trouver une solution.Il en voulait au chien.Le chien n’avait pas de solution et pourtant il ne s’emmerdait pas.C’était injuste.Le chien ne se projetait pas, la promenade était son seul espace de pensée.Ce chien n’avait aucun esprit de contradiction.Ce chien n’avait aucun intérêt, pourquoi avoir un chien?Il ferait mieux d’admettre son erreur et de le ramener à la SPA dont il l’avait sorti.Une décision fatigante, impossible à prendre.De toute façon Yann prenait rarement de décisions, par contre il était doué pour les résolutions de type Onusiennes, c'est-à-dire rarement appliquées et assez nombreuses.Il faut que je trouve une solution, se dit-il encore une fois.Le chien fit quelques sauts de cabri assez comiques dans l’herbe du bas-côté, c’était sa manière d’essayer de surprendre des mulots. Il avait du style, mais n’avait jamais réussi à s’emparer du moindre mulot. Alors pourquoi sautait-il comme cela puisque ce n’était pas productif ? Où avait-il appris que des sauts à pattes jointes permettaient d’attraper des mulots? Dans un film animalier ?...Une solution …« Le seul fait de vivre est un émerveillement en soi. » Une belle maxime, belle et profonde, mais difficile à tenir dans le temps. Si c’était si facile, il ne picolerait pas le soir. Tiens encore hier soir… Il fallait arrêter ! Allez, fini la picole !6
Résolution 1596…Yann se rassura en décidant qu’il n’était pas vraiment alcoolique puisqu’il ne buvait que le soir à partir de dixUn ivrogne,-neuf heures. un vrai de vrai, commence à la bière dès le matin et puis après il n’arrête plus. Lui non, jamais il ne buvait dans la journée et c’était là un signe qui ne trompait pas. Et puis même, certains soirs il ne buvait pas ou alors peu.Tout de même, ce n’était pas terrible de pochetronner ainsi en regardant la télé. Mais comment faire autrement? Il n’avait jamais aimé le soir, surtout l’hiver. Dans la journée on peut s’occuper et ne pas trop penser, mais le soir, le soir, que faire ?Rien, rien à faire… La petite angoisse qui monte, qui monte… Pourquoi souffrir bon dieu?!.. Il suffit d’ouvrir une bouteille de Bordeaux, de regarder les infos, d’enclencher plus tard sur un petit verre de whisky et le film. Des fois de regarder le film en entier s’il est bon, des fois d’aller direct au lit s’il est nul.Bon, le chien tournait maintenant autour d’une mémé à Yorkshire qui criait : « va-t’en, va-t’en!.. » tout en soulevant son rat à poils longs qui n’en pouvait plus.Assez songé à l’alcool maintenant. De toute façon, Yann savait qu’il boirait ce soir. C’était comme d’arrêter de fumer, impossible.Le nombre de fois qu’il avait arrêté de fumer, le nombre de fois qu’il avait cessé d’arrêter de fumer…Il risquait un cancer, et alors? C’est un risque que je suis prêt à prendre, se disait-il, à condition qu’on ne m’ennuie pas avec des messages de lutte et qu’on ne me dispute pas la morphine.Et puis la mort, la fin d’une vie de con. Le monde s’en remettrait.Yann avait cinquante-sept ans et pensait que c’étaitdéjà pas mal d’être arrivé jusque là. De toute façon quand il n’avait vraiment pas le moral, il se disait que c’était toujours ça de passé.Il essaya d’envisager son futur au cas où le cancer continuerait à le mépriser en dépit de tous les efforts pour attirer son attention. Bon, il allait vieillir jusqu’à quand?.. Cela servait à quoi de vivre très vieux ? A rien.Le chien avait eu sa dose, il était temps de rentrer.Il fit demi-tour suivi du chien.7
Personne ne l’attendait chez lui.***Le reste de l’après-midi ne se passa pas trop mal, Yann acheva un bouquin de Benacquista commencé la veille.Tiens, cela lui avait filé à nouveau le moral. Pas la peine d’aller chez un psy, un bon livre et c’est reparti. Ce soir il ne boirait pas, il penserait profond et trouverait une solution.Re-promenade du chien vers les dix-huit heures et puis la nuit tomba et Yann téta sa première bière en se refusant tout de même la télé, question de volonté.De biberon en biberon, il s’envisagea tout à fait sérieusement.Fallait faire le point : cinquante-sept ans, divorcé depuis longtemps, deux grands enfants, éloignés pour cause d’Erasmus, l’un au Danemark, l’autre en Italie, lui au chômage depuis Octobre et aucune envie de travailler.De toute manière, il était tranquille de ce côté-là. Son ami Paul Emploi lui ouvrait des droits pendant trois ans et il bénéficierait des soins palliatifs sociaux jusqu’à la retraite, à la condition qu’il fasse preuve d’une recherche d’emploi active, comme ils disaient.Les employeurs et Paul lui foutaient une paix royale. Quelle hypocrisie que ce système… Bien, il n’allait pas se plaindre.Il avait sué toute sa vie dans le bâtiment et maintenant que l’occasion se présentait de ne rien faire, de ne plus avoir à se lever dès l’aube pour aller gratter,il n’allait pas bouder son plaisir. Fini les responsabilités de chef d’équipe, fini le stress, fini de construire des maisons !Tiens, il aurait dû s’investir depuis longtemps dans un boulot sans responsabilités. Il songea donc aux boulots sans responsabilités ?Pion peut-être. Pion dans un collège privé minable de province…. Qu’est ce qu’il en avait à foutre de construire des maisons, le pion?!...D’accord il était seul, et puis après? D’une certaine façon, c’était super peinard, et puis il y avait le chien. Il but une bonne gorgée de bière et cria :8
Et le chien !...Sursaut du chien qui dormait sur le canapé.Et le chien, t’es pas tout seul!Ne captant pas de mots ensorcelants du type « promenade ou croquettes », le chien se remit la tête entre les pattes avec un gros soupir.Ce chien s’ennuie et pourrait bien finir un jour alcoolique, pensa Yann. Il chantonna : Que reste-t-il de nos amours, que reste-t-il de ces beaux jours?... Une photo, photo jaunie…La la la la!...Plus grand-chose.Il pourrait se mettre en quête d’une femme. Il avait déjà essayé par Internet en s’inscrivant sur un site spécialisé.Puis il avait laissé tomber. Les seules qui s’intéressaient à son profil étaient des vieilles peaux de son âge, des ménagères divorcées de seconde ou troisième main dont les photos le faisaient flipper.Pas une jeunesse entre quarante et cinquante ans n’avait craqué pour lui.Et puis question vitalité sexuelle, l’heure était plutôt à la mollesse.Fini les érections flamboyantes.A part quelques flash-backs de plus en plus espacés, il y pensait de moins en moins souvent au sexe, à se demander comment un tel sujet avait eu de l’importance pendant tant d’années.Le chien était coupé depuis belle lurette et vivait depuis dans la paix des sens. Et hop, un sujet de préoccupation de moins. Sacré veinard.Une femme. Sûr qu’il devrait en avoir une. De la tendresse, du partage, ne plus être seul…Pour ça, faudrait qu’il se bouge et qu’il sorte…Qu’est-ce qui l’empêchait d’agir? Un manque d’envie fondamental ?...Le chien dont il fallait s’occuper? Qui resterait seul et malheureux s’il se mettait frénétiquement en quête d’activités…Ce chien le dé-sociabilisait.Tu m’énerves grave, bâtard!... cria-t-il.
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Le chien ouvrit un œil et jugeant la situation non encoreurgente, se rendormit. Ces exclamations soudaines du soir, il en avait l’habitude.Demain, il faut que je trouve une stratégie pour allier chien et femme -songea Yann - cela devait être tout de même possible de renouer avec cette race à part.Il repensa aux contacts jamais transformés qu’il avait eu par Internet. Il aurait pu tout de même se débrouiller pour faire connaissance avec certaines.Le problème était que les seules qui l’attiraient semblaient inaccessibles par leurs photos ou par leurs textes de présentation.Trop bien dans leur peau, trop exigeantes, trop bien installées socialement, trop à l’aise matériellement, trop belles, trop jeunes, trop dynamiques… Il ne faisait pas le poids, il ne pourrait pas suivre. Et pourquoi s’intéresseraient-elles à un Has Been de cinquante-sept ans touchant le chômage et vivant dans un petit deux pièces ?...Demain, demain…***Et demain fut.Lors qu’il se promenait dans un parc public, il se fit interpeller par un gardien.Monsieur, les chiens sont interdits dans le parc !...Yann se tourna vers l’empêcheur de se promener en rond, offusqué.Mais enfin, ce n’est pas un chien! C’est mon petit garçon de onze ans !...Vous vous foutez d’moi?!...Mais pas du tout ! Pourquoi traitez-vous de chien mon garçon ?Le gardien eut le doute. Était-ce un possible dangereux délirant ou un plaisantin de première ? Il trouva un compromis.Bon, vous le mettez en laisse et je vous laisse.
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Dites donc, le mettre en laisse alors qu’ilvient d’avoir onze ans, je vous trouve un peu dur.C’est la loi, fit le gardien sur ses gardes.Bon, j’obéis, mais entre nous la loi, elle a bien des préjugés contre les enfants.Et Yann s’éloigna avec le chien en laisse sous le regard flottant du gardien.Cette petite scène improvisée lui procura un grand sentiment de satisfaction. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était senti aussi bien, aussi vivant, sans compter qu’il avait fait d’une pierre deux coups: la vie certainement monotone de ce gardien avait frémi quelques instants. Il en garderait un souvenir ému.***A compter de ce jour sa vie changea et devint bien plus passionnante. Jouer au fou en permanence en trouvant sans cesse de nouveaux gags aurait exigé des trésors d’imagination, aussise contenta-t-il d’exploiter le coup du chien avec une bonne foi angélique, ce qui le faisait marcher au bord du précipice de l’extravagance à très bon compte. C’était excitant et demandait somme toute du culot, du doigté, de l’intelligence et beaucoup de sincérité pour être crédible.Le chien qui s’était toujours appelé «le chien » devint Édouard.Heureusement qu’Édouard avait certaines dispositions comme celles d’être volontiers cabot et d’aimer par exemple le café au lait sucré.Avec un peu d’entraînement, il avait vite appris à se tenir assis sur une chaise dans un café et à laper sa tasse.Édouard, tu bois proprement s’il te plaît!Naturellement Édouard en foutait partout, tandis que Yann prenait à témoin le voisin ou la voisine.
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