Les nouvelles dispositions de la loi québécoise sur les normes du travail sont-elles réellement préventives en matière de harcèlement psychologique ? - article ; n°2 ; vol.5, pg 103-108
6 pages
Français

Les nouvelles dispositions de la loi québécoise sur les normes du travail sont-elles réellement préventives en matière de harcèlement psychologique ? - article ; n°2 ; vol.5, pg 103-108

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
6 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Santé, Société et Solidarité - Année 2006 - Volume 5 - Numéro 2 - Pages 103-108
Cet article porte un regard français sur les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail, adoptées en décembre 2002 et entrées en vigueur le 1er juin 2004, visant la prévention du harcèlement psychologique en milieu de travail au Québec. Non en la rapprochant des textes français, ou en comparant leurs valeurs respectives, ni encore en soulignant les incontestables avancées, mais en tentant d’en avoir une lecture critique du point de vue de la philosophie qui baigne les normes françaises. Il est d’ailleurs incontournable que cette lecture «écorche» également les textes français et québécois dans la mesure où il existe, entre eux, des similitudes.
This article examines, from a French perspective, the new provisions of the Act respecting Labour Standards, adopted in December 2002 and effective as of June 1, 2004, which aimed at preventing psychological harassment in the workplace in Quebec. It does not seek to establish a parallel with French laws or to compare their respective values, or else to highlight the undeniable advances, but rather to critically assess them based on the philosophy that underlies the French standards. Moreover, this interpretation will inevitably “grate on” the French and Quebec laws insofar as there are similarities between them.
6 pages

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2006
Nombre de lectures 46
Langue Français

Extrait

REGARDS CROISÉS SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES VISANT À CONTRER LA VIOLENCE AU TRAVAIL
dossierSanté et travail
Les nouvelles dispositions de la loi québécoise sur les normes du travail sont-elles réellement préventives en matière de harcèlement psychologique?
Sophie Fantoni-QuintonPaul FrimatFRANCE FRANCE Praticien hospitalier, Centre hospitalier régionalProfesseur d’université, praticien hospitalier, universitaire de Lille, Groupe d’intérêtCentre hospitalier régional universitaire de Lille, professionnel – Centre d’études et de recherchesGroupe d’intérêt professionnel – Centre d’études en santé, travail, ergonomie (GIP-CERESTE),et de recherches en santé, travail, ergonomie Université de Lille 2(GIP-CERESTE), Université de Lille 2
Cet article porte un Résumé regard français sur les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail, adoptées en décembre er 2002 et entrées en vigueur le 1juin 2004, visant la prévention du harcèlement psy-chologique en milieu de travail au Québec. Non en la rapprochant des textes français, ou en comparant leurs valeurs respectives, ni encore en soulignant les incontestables avancées, mais en tentant d’en avoir une lecture critique du point de vue de la phi-losophie qui baigne les normes françaises. Il est d’ailleurs incontournable que cette lec-ture« écorche »également les textes français et québécois dans la mesure où il existe, entre eux, des similitudes.
This article examines, Abstract from a French perspec-tive, the new provisions of the Act respecting Labour Standards, adopted in December 2002 and effective as of June 1, 2004, which aimed at preventing psychological harassment in the workplace in Quebec. It does not seek to establish a parallel with French laws or to compare their respective values, or else to highlight the undeniable advances, but rather to critically assess them based on the philoso-phy thatunderlies the French standards. Moreover, this interpretation will inevitably “grate on” the French and Quebec laws inso-far as there are similarities between them.
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
103 N° 2, 2006
dossierSanté et travail
REGARDS CROISÉS SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES VISANT À CONTRER LA VIOLENCE AU TRAVAIL
Nous remercions madame Katherine Lippel pour son aimable contribution à cet article.
ujourd’hui, avoir un travail ne constitue pas seulement une néces-sociAété. Il est souvent source d’épanouisse-sité alimentaire. Le travail permet d’exister et de se situer dans la ment, parfois même de dignité retrouvée pour ceux qui ont souffert d’une situation de précarité. La raison d’être du droit du tra-vail a été, et est encore aujourd’hui, d’auto-riser à (ré)insérer toutes les dimensions de la personne, et donc la dimension extrapa-trimoniale, dans un échange marchand (Supiot, 2002). A d’abord été pris en compte le droit à l’intégrité physique puis, peu à peu,les autres droits de la personnalité du travailleur(Aubin, Bouveresse, 1995). Avant que le droit du travail ne régisse les relations de travail, le Code civil était insuf-fisant à assurer la sécurité en entreprise car les concepts de ce droit des obligations n’avaient pas de prise sur une situation où les individus n’ont plus la maîtrise de leur corps, où celui-ci devient une source d’éner-gie s’insérant dans une organisation maté-rielle conçue par autrui. Au cœur de la dimension extrapatrimoniale, le droit à la dignité est désormais en filigrane des nor-mes du travail. Déjà reconnu par la Charte des droits et des libertés de la personne 1 adoptée en 1975, intégrant le respect de la dignité de l’être humain comme garant, avec la reconnaissance des droits et des libertés, de la justice et de la paix, ce droit est donc pleinement reconnu par les normes encadrant les relations de travail. En effet, la loi sur le harcèlement moral vise avant tout à préserver la dignité au travail et illustre bien l’évolution de cette législation relative au travail, qui est un bien, un droit mouvant, donc un «droit vivant» selon Emmanuel Ray (1997). Constamment con-frontée au changement, celle-ci s’est initia-lement construite sur un modèle industriel, mais elle a le plus souvent su accompagner les évolutions du monde du travail et inté-grer peu à peu le droit à la dignité et les libertés dans les relations individuelles et collectives de travail.
Un effet d’annonce plutôt qu’un instrument de prévention
Peut-on dire cependant que cette loi sur le harcèlement moral a le pouvoir de réelle-ment prévenir les effets néfastes du travail en matière d’intégrité de la personne ou ne s’inscrit-elle que dans un effet d’annonce et/ou une logique superfétatoire? Examinons les arguments en faveur de cette hypothèse.
Tout d’abord, concernant le champ d’appli-cationde cette loi, il faut souligner qu’elle ne s’applique qu’aux employeurs et salariés soumis à la juridiction provinciale, excluant beaucoup de travailleurs atypiques. Nous pensons notamment ici aux faux travailleurs autonomes et aux sous-traitants non couverts par les lois du travail car non salariés, alors qu’ils sont souvent dans une relation de dépendance économique et hiérarchique vis-à-vis d’un donneur d’ordres. Cela en limite incontestablement la portée au regard du développement de ces différentes formes de travail et des relations de travail fronta-lières au salariat (Lippel, 2004).
Par ailleurs, l’esprit de la législation sur la santé et la sécurité au travail est de prévenir les atteintes à l’intégrité du travailleur. Dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q., ch. S-2.1), l’article 51 instaure en effet un devoir général de prévention et l’article 12 celui du droit de refus d’un travail dangereux. Or la loi adoptée en décembre 2002 est davantage répressive que préven-tive dans la mesure où elle est centrée sur les effets et non sur les intentions. En effet, pour conclure à du harcèlement psycholo-gique, l’intention du présumé harceleur n’a pas à être prise en considération (en tout cas, elle ne suffit pas à caractériser le harcèlement moral), il faut des conséquences avérées pour le salarié (à savoir une atteinte à sa dignité ou son intégrité psychologique ou physique). Si les paroles, les gestes, les actes ou les com-portements du harceleur n’ont pas à être dits ou faits dans l’intention de nuire, en revanche,
1. Chartedes droits et libertés de la personne du Québec (L.R.Q., ch. C-12), art. 1.: «Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne» ;art. 46: «Toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique».
104 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉN° 2, 2006
REGARDS CROISÉS SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES VISANT À CONTRER LA VIOLENCE AU TRAVAIL
dossierSanté et travail
seuls les effets sur la personne visée sont pris en considération. En ce sens, cette loi est plus proche du concept de réparation des lésions professionnelles qui repose sur la responsa-bilité sans faute. D’ailleurs, un acte unique suffisamment grave pour entraîner un préju-dice peut également constituer le harcèlement au sens de cette loi, ce qui pose question quant à la distinction entre ce concept et celui d’accidents du travail et sa législation particulière. L’article 81.18 précise en effet qu’« uneseule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié». Si, pour certains auteurs, il s’agit ici d’une stratégie législative qui vise à étendre le sens ordinaire d’un terme pour y inclure d’autres réalités que le légis-lateur désire également cibler (Lippel, 2005), pour autant réapparaît en filigrane le concept de lésions professionnelles où la réparation est due même en l’absence de faute, mais en présence de conséquences somatiques et/ou psychiques. Mais dans ce cas, quel est l’intérêt d’écrire une loi qui s’ajoute à une dis-position préexistante, sinon d’en escompter un impact médiatique? En effet, si la loi sur le harcèlement psychologique permet, en théorie, et contrairement à la Loi sur les accidents du travail et les maladies profes-sionnelles (L.R.Q., ch. A-3.001), d’obtenir une éventuelle réparation alors que le sala-rié n’est pas inapte au travail, néanmoins elle exige des conséquences objectivables pour la victime. Elle se situe donc à peine en amont sur l’échelle de gravité requise pour une éventuelle réparation des conséquences psy-chologiques d’un harcèlement…
La charge de la preuve soulève, quant à elle, des difficultés. Elle n’est pas parti-culièrement facilitée et est à la mesure des tergiversations du législateur qui donne l’impression de ne pas avoir fourni à sa loi les moyens de fonctionner autrement que dans les cas caricaturaux (dans lesquels les autres dispositions antérieures auraient peut-être pu fonctionner si elles avaient été davantage explorées par les juges ou appropriées par 2 les salariés eux-mêmes). Le fardeau de la
preuve reste entier pour la personne harcelée qui doit démontrer, sans aucune présomp-tion, le harcèlement psychologique dont on sait pourtant que les faits objectifs sont le plus souvent difficiles à rapporter parce qu’immatériels ou masqués. En effet, outre le fait quela redoutable efficacité du har-cèlement réside, entre autres, dans les liens complexes qui existententre la vie profes-sionnelle et l’histoire personnelle du sujet et des enjeux psychiques liés à la situation de travail, les différentes techniques de harcèle-ment (techniques relationnelles, par exemple par absence de communication; techniques d’attaques du geste du travail, par exemple en demandantd’exécuter des tâches impos-sibles ;techniques punitivesviaun rapport pour faute à la moindre erreur; ou enfin techniques d’isolement du sujet destinées à empêchertoute solidarité du groupe de travail avec le harcelé) sont le plus souvent imperceptibles par les collègues de travail, ignorées d’eux (délibérément) ou, en tout cas, difficilement objectivables (Grenier-Pezé, 2001).
D’autres indices nous paraissent reléguer cette loi au niveau d’un effet d’annonce plu-tôt que d’un instrument de prévention: d’une part, l’imprécision du concept de harcèle-ment ; d’autrepart, la multiplicité des recours pré et coexistants à la loi. Ainsi, la définition du harcèlement est délibérément large pour y inclure diverses situations délétères pour les salariés; pour autant, les marges d’inter-prétation laissées aux juges en cas de litige entraînent une inégalité de traitement des travailleurs, ce qui est contraire aux principes d’égalité. Par ailleurs, cette loi est venue s’ajouter à un arsenal textuel préexistant déjà conséquent qui permettait ainsi différents recours en matière de harcèlement psycho-logique au travail (même si ces recours ne sont pas toujours recevables selon le statut du travailleur et les circonstances du harcè-lement), notamment la Loi sur les normes du travail qui offre une protection générale (L.R.Q., ch. N-1.1, art. 122) ainsi que le Code civil du Québec en cas de préjudice à autrui et lorsque la faute et le lien de cau-3 salité existent.
2. Unseul cas de droit de refus a été accepté depuis 1979 lorsqu’il s’agissait de protéger la santé mentale. 3. Néanmoins,et pour être exact, il faut dire que ces recours sont du domaine des tribunaux non spécialisés et d’accès dissuasif car coûteux. Les travaux préparatoires à la loi sur le harcèlement psychologique n’ont d’ailleurs pas manqué d’en souligner le caractère non fonctionnel.
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
105 N° 2, 2006
dossierSanté et travail
Concernant la réparation octroyée par cette loi, il faut souligner également qu’elle paraît en retrait des évolutions sociétales dans la mesure où elle exige une atteinte avérée aux droits à la dignité ou à l’intégrité de la personneviarépréhensible etconduite »une « donc une faute identifiable. La loi implique d’identifier le coupable pour s’appliquer, l’organisation du travail n’étant qu’indirec-tement imputable à l’employeur et donc dif-ficilement reprochable. Ainsi, elle s’insère à contre-courant de la tendance sociétale en quête d’une réparation des préjudices, d’un coupable, sans forcément qu’il y ait faute ou, au contraire, en présence de responsa-bilités partagées (ce qui est fréquent dans de nombreux cas de souffrance au travail ou de harcèlement moral consécutifs à une 4 organisation du travail délétère).
L’organisation du travail peu remise en cause
Derrière ces remarques, il apparaît clairement que cette loi a opéré une focalisation sur le harcèlement moral et non sur la santé men-tale au travail (qui est pourtant vecteur de très nombreuses invalidités). Le premier met en cause un individu à travers une «conduite vexatoire »,la seconde est largement influen-cée par l’organisation du travail. La question qui se pose est de savoir si cela correspond à une volonté d’occulter le débat plus large de l’organisation du travail qui pose d’indé-niables difficultés d’objectivation. Mise sur le devant de la scène avec la publication de l’ouvrage de Marie-France Hirigoyen (1998), Le harcèlement moral, la violence au quoti-dien, cette maltraitance dans le milieu pro-fessionnel, qu’il soit du secteur privé ou du secteur public, n’est pourtant pas une pra-tique nouvelle. On pourrait même dire, sans risquer de trop s’avancer, qu’elle a tou-jours existé, c’est sa conceptualisation qui est récente. Mais sa popularisation, en 1998, a valu au harcèlement moral d’être considéré comme une nouvelle crise que connaissait le monde du travail, fléau qu’il fallait combattre, notamment par le renforcement de la légis-lation, au Québec comme ailleurs. Or, au-delà de ces violences au travail qui sont le fait
REGARDS CROISÉS SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES VISANT À CONTRER LA VIOLENCE AU TRAVAIL
d’individus, l’organisation du travail est en cause, insuffisamment prise en compte par les normes du travail. À titre d’exemple, après leburn-out, voici l’ère duburn-in: celle des travailleurs professionnellement épuisés qui s’abstiennent de prendre congé. Ils sont physiquement présents au bureau, mais mentalement absents. C’est ce qu’on appelle aussi le présentéisme au travail, un phéno-mène en expansion qui coûte cher aux orga-nisations. Encore plus que l’absentéisme! Et si les travailleurs n’osent pas «sortir du placard »pour faire connaître et soigner leurs malaises, qu’ils soient physiques ou psychologiques, c’est qu’ils craignent de se voir reprocher par leurs pairs, et surtout par leurs supérieurs, une mauvaise gestion du stress, un excès de vulnérabilité ou un accroc au devoir de performance. Pourtant, ce sont plutôt les déficiences dans l’organisation du travail qui devraient être mises au banc des accusés…
Dès lors, comment ne pas s’interroger sur le fait que cette loi vise davantage à conten-ter les partenaires sociaux qu’à s’attaquer au vrai problème de l’organisation du travail. Même si l’analyse des débats de la Commis-sion permanente de l’économie et du travail (2002) montre que l’organisation a été prise en compte en amont de l’adoption du texte, il ne ressort pas clairement, dans le texte final, que l’organisation du travail puisse être incriminée (et à travers elle, l’employeur) comme étant à l’origine du harcèlement moral qui reste bien le fait d’un individu. L’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail définit ainsi le harcèlement psycho-logique comme «une conduite vexatoire […], laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne pour celui-ci un milieu de travail néfaste». L’allusion au milieu de travail n’est citée qu’en tant que conséquence et non comme facteur causal. «L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser». L’obli-gation de prévention, une obligation de moyens, existe donc en amont de la situa-tion de harcèlement, ce qui implique que
4. Biensûr, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles continue de s’appliquer aux pro-blèmes de santé mentale survenus par le fait ou à l’occasion du travail, mais il en a été souligné les limites.
106 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉN° 2, 2006
REGARDS CROISÉS SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES VISANT À CONTRER LA VIOLENCE AU TRAVAIL
dossierSanté et travail
l’employeur doit agir, mais il est encore une fois fait allusion à une conduite et non à une organisation. Pourtant, les nouvelles formes d’organisation du travail ont profondément transformé les relations dans les groupes de travail; la précarité a entraîné l’intensi-fication du travail, neutralisé la mobilisation collective, généré le silence et le chacun pour soi: ne rien entendre, ne rien voir, ne rien dire. La peur de perdre son emploi a induit des conduites de domination ou de soumission. Les impératifs de performance, les conflits liés aux méthodes demanagement et l’autonomie accrue dans le travail, géné-ratrice de plus de responsabilités personnelles et d’une insécurité croissante, sont autant de cofacteurs à l’origine de souffrance au travail ou de conduite de harcèlement. Le poids des conditions de travail, et donc des organisa-tions du travail (souvent camouflées sous le mot de stress), joue un rôle déterminant dans la qualité de la santé mentale des salariés. Néanmoins, face à la détérioration de la santé mentale des travailleurs, la loi adoptée en décembre 2002 ne peut rien, ne dit rien, puisqu’elle ne s’intéresse pas aux conditions politiques etsociales de l’origine des cas de harcèlement psychologique au travail.
Concernant encore la nature préventive de cette loi, on peut s’interroger sur le silence de cette dernière quant à l’implication des acteurs de la prévention, notamment du 5 médecin responsable . Pourtant, l’objectif de la loi québécoise est clair: «l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travail-leurs »(L.R.Q., ch. S-2.1, art. 2). L’approche médicale individuelle a d’ailleurs été délaissée au profit d’une approche de santé publique, qui s’attaque d’emblée aux risques du milieu de travail et utilise prioritairement un mode formel de relations et de communications avec les milieux de travail. Pourquoi, dès lors, n’y a-t-il pas eu formalisation de leur rôle dans le cadre de cette loi? Pourquoi, par ailleurs, a-t-on choisi d’intégrer les nouvelles disposi-tions relatives au harcèlement psychologique dans la Loi sur les normes du travail plutôt que dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail ?
En conclusion, la sévérité de cet article peut surprendre, mais il s’agissait ici de gros-sir le trait pour bien souligner les limites de cette loi dont les effets réels ne pourront de toute façon être interprétés qu’à l’usage que les juges en feront.
Bibliographie Aubin G., Bouveresse J. (1995).Introduction historique au droit du travail,Presses univer-sitaires de France, Collection Droit fondamental, 320. Commission permanente de l’économie et du travail (2002).Les travaux parlementaires de ee o la 36législature143, Journal des débats,, 2session, Étude détaillée du projet de loi n du 3 au 12 décembre 2002. (Débats de la CET). En ligne: <http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/debats/journal/cet/021211.htm>. Grenier-Pezé M. (2001). Contrainte par corps: le harcèlement moral,inHarcèlement et vio-lence, les maux du travail, dossier de la Revue Travail, Genre et Sociétés,La revue du Mage 5, L’Harmattan. Hirigoyen M.F. (1998).: la violence perverse au quotidienLe harcèlement moral, Éditions la Découverte et Syros, Paris. Lippel K. (2004). Le travail atypique et la législation en matière de santé et sécurité du travail, inBarreau du Québec, Service de la formation permanente,Développements récents en santé et sécurité du travail, Editions Yvon Blais, Cowansville, 307-83.
5. C’estainsi que la loi nomme le médecin qui accompagne, avec les autres professionnels de santé du réseau de santé publique, les comités de santé et de sécurité paritaires. Le médecin responsable est un acteur dans l’application de la Loi sur la santé et la sécurité au travail et son rôle est réservé, sauf exception (les situations de harcèlement psychologique auraient pu en constituer une), aux acteurs des secteurs prioritaires, soit envi-ron 13% des salariés.
SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
107 N° 2, 2006
dossierSanté et travail
REGARDS CROISÉS SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES VISANT À CONTRER LA VIOLENCE AU TRAVAIL
Lippel K. (2005). Le harcèlement psychologique au travail: portrait des recours juridiques au Québec et des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles, Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé7 (3). En ligne: <http://www.pistes.uqam.ca/v7n3/articles/v7n3a13.htm>. Ray J.E. (1997). Droit du travail, Droit vivant, Éditions Liaisons, Paris, 1-35. Supiot A. (2002).Critique du droit du travail, PUF, Quadrige, 280.
108 SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉN° 2, 2006
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents