Limites de l’accès à l’emploi et intégration des immigrants au Québec : quelques exemples à partir d’enquêtes - article ; n°1 ; vol.4, pg 109-117
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Santé, Société et Solidarité - Année 2005 - Volume 4 - Numéro 1 - Pages 109-117
This article sets out examples of obstacles to employment revealed in two studies that followed the settlement process of immigrants and asylum seekers in Québec. The first of these is a ten-year longitudinal study of the settlement of new immigrants who arrived in Québec in 1989. The second is a retrospective study of the settlement of asylum seekers who filed their application in 1994 and whose situation was regularized by March 1997. Based on already published analyses, the author examines the impact of acquiring refugee status, the impact of language skills, the difficulties in finding a job that is at the same level as that held before migrating, differentiations based on national origins and, lastly, the impact of the composition of social networks.
Cet article présente des exemples des barrières à l’emploi qu’on peut percevoir à partir de deux enquêtes suivant le processus d’établissement d’immigrants et de demandeurs d’asile au Québec. La première de ces enquêtes porte sur l’établissement des nouveaux immigrants arrivés au Québec en 1989 et leur suivi de façon longitudinale sur dix ans. La seconde est une enquête rétrospective et concerne l’établissement des demandeurs d’asile ayant déposé une demande en 1994 et dont la situation a été régularisée au plus tard en mars 1997. L’auteur examine tour à tour, à partir d’analyses déjà publiées, l’impact de l’acquisition du statut de réfugié, l’impact de la connaissance des langues, les difficultés à retrouver un emploi de même niveau que celui détenu avant la migration, les différenciations selon les origines nationales et, enfin, l’impact de la composition des réseaux sociaux.
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Publié le 01 janvier 2005
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LI N T É G R A T I O N S U R L E M A R C H É D U T R A V A I L
dossierImmigration et intégration
Limites de l’accès à l’emploi et intégration des immigrants au Québec : quelques exemples à partir d’enquêtes
Jean Renaud– QUÉBEC Directeur du Centre d’études ethniques (CEETUM) et professeur titulaire au Département de sociologie, Université de Montréal
Cet article présente des Résumé exemples des barrières à l’emploi qu’on peut percevoir à partir de deux enquêtes suivant le processus d’éta-blissement d’immigrants et de demandeurs d’asile au Québec. La première de ces enquêtes porte sur l’établissement des nouveaux immigrants arrivés au Québec en 1989 et leur suivi de façon longitudinale sur dix ans. La seconde est une enquête rétrospective et concerne l’établissement des demandeurs d’asile ayant déposé une demande en 1994 et dont la situation a été régularisée au plus tard en mars 1997. L’auteur examine tour à tour, à partir d’ana-lyses déjà publiées, l’impact de l’acquisi-tion du statut de réfugié, l’impact de la connaissance des langues, les difficultés à retrouver un emploi de même niveau que celui détenu avant la migration, les diffé-renciations selon les origines nationales et, enfin, l’impact de la composition des réseaux sociaux.
This article sets out Abstract examples of obstacles to employment revealed in two studies that fol-lowed the settlement process of immigrants and asylum seekers in Québec. The first of these is a ten-year longitudinal study of the settlement of new immigrants who arrived in Québec in 1989. The second is a retrospec-tive study of the settlement of asylum seekers who filed their application in 1994 and whose situation was regularized by March 1997. Based on already published analyses, the author examines the impact of acquiring refugee status, the impact of language skills, the difficulties in finding a job that is at the same level as that held before migrating, differentiations based on national origins and, lastly, the impact of the composition of social networks.
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es barrières que rencontrent les immigrants dans leur établisse-réenLracinementqu’ils vivent. Ces barrières ment professionnel sont en bonne partie spécifiques au processus de se dressent sur le parcours d’obstacles qu’est l’accès à l’emploi. La détection de leur présence et l’évaluation de leur impor-tance ne peuvent dès lors se faire qu’en tenant compte très explicitement du point où en est rendu l’immigrant dans ce par-cours. Cela est vrai même pour des barrières de nature discriminatoire qui peuvent être rencontrées autant par les immigrants que par l’ensemble de la population : la prise en compte du moment où cela intervient dans le processus permet alors de mieux com-prendre leurs mécanismes d’action. On présentera des exemples de ces bar-rières qu’on peut percevoir à partir de deux enquêtes suivant le processus d’éta-blissement d’immigrants et de demandeurs d’asile. La première de ces enquêtes (n=1000) porte sur l’établissement des nouveaux immigrants (ENI) (Renaud, 1992 ; Renaud, 1993 ; Renaud 2001) arrivés au Québec en 1989 et leur suivi de façon longitudinale (quatre vagues complétées : 1990, 1991, 1992, 1999). La seconde est une enquête rétrospec-tive portant sur l’établissement des deman-deurs d’asile ayant déposé une demande en 1994 et dont la situation a été régularisée au plus tard en mars 1997 (REVENDI) (Renaud, 1998). Après avoir rappelé le cadre méthodolo-gique, on exposera plusieurs cas étudiés grâce à ces deux enquêtes : £ l’impact de l’acquisition du statut de réfu-gié sur l’accès à l’emploi, £ la dimension linguistique de cette inser-tion professionnelle et de ses difficultés, £ l’accès à un emploi équivalent après la migration, £ le rôle de la nationalité. On verra l’utilité des données longitudi-nales recueillies pour aborder ces points.
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La mesure dynamique de l’insertion et les variables dépendantes
Vouloir parler de course à obstacles, de par-cours ou d’itinéraire d’établissement implique nécessairement qu’on doive recourir à des données longitudinales. C’est en effet la seule façon de cadrer la notion même de proces-sus et de modéliser ceux-ci directement. Les enquêtes que nous avons réalisées sont toutes deux basées sur la recension des évé-nements vécus par les répondants, avec une datation détaillée, à la semaine ou au mois près, de chacun de ceux-ci. Il est alors pos-sible de représenter l’histoire de chacun en sachant distinguer la chronologie. Il est aussi possible de les analyser avec les modèles de l’histoire des biographies quantitatives, appelées aussi modèles de durée ou analyse de survie.
La variable dépendante
Plus précisément, on peut, avec de telles données, étudier l’insertion professionnelle de multiples façons. La variable dépendante pourra être la vitesse d’accès au premier 1 emploi , la durée de séjour dans cet emploi, la vitesse d’accès au deuxième emploi, etc. Elle pourra être les caractéristiques de cha-cun de ces emplois, comme le statut socio-économique ou le revenu. Elle pourra aussi être ces caractéristiques à un point fixe de l’établissement, strictement comparable d’un répondant à l’autre, comme l’emploi détenu dans le sixième mois ou après un an de séjour comme immigrant. Elle pourra aussi prendre la forme d’un bilan à un point fixe du temps. On pourra ainsi calculer le temps total de travail cumulé après un, deux ou trois ans d’établissement, voire le revenu cumulatif à ces mêmes moments.
Les variables indépendantes
Les variables indépendantes rendant compte des caractéristiques des personnes, des gestes d’insertion, des étapes administratives fran-chies, etc. pourront être fixes, c’est-à-dire avoir une valeur acquise au début de l’épi-sode étudié. Par exemple, l’origine nationale
1. Plus correctement, la table des entrées dans un premier emploi au fil du temps.
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ou la catégorie d’admission sont fixées de façon irréversible au moment de la migration. Elles pourront également varier dynamique-ment en cours d’insertion. Par exemple, un immigrant prendra la valeur « non » sur la variable « Est diplômé au Québec d’un cours de langue » aussi longtemps qu’il n’aura pas terminé un tel cours puis, à partir du diplôme, il prendra la valeur « oui ». On peut modéliser de la même façon les procédures administratives. Dans le cas des deman-deurs d’asile, la variable « reconnaissance du statut de réfugié » par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) prendra la valeur « non » tant que le statut n’est pas acquis puis la valeur « oui » à partir du moment du jugement favorable.
Bien sûr, l’identification d’une relation statistique entre ces deux groupes de varia-bles ne doit pas être automatiquement interprétée comme une barrière de type discriminatoire. La présence de telles rela-tions indique l’existence potentielle d’un problème. Le cadre méthodologique étant établi, examinons quelques exemples.
Acquisition du statut de réfugié et accès au travail : les chances de trouver un premier emploi n’augmente pas avec l’obtention du statut de réfugié mais avec l’acquisition d’une résidence permanente Les demandeurs d’asile qui revendiquent le statut de réfugié alors qu’ils sont sur le sol canadien vivent, en début de processus, dans une situation précaire pouvant influencer leur chance d’accès à l’emploi. En effet, con-trairement aux immigrants arrivant aux fron-tières avec un visa de résident permanent, ils sont incertains de l’issu de leur requête. Qui plus est, les étapes qui les mèneront à devenir des réfugiés régularisés seront prin-cipalement marquées par de longs délais administratifs. Ainsi, une fois le formulaire de demande de statut déposé, ils devront préparer leur audition à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Cette première étape qui se termine par l’obtention du statut de réfugié prendra sept mois (temps médian). Ensuite, il leur faudra
encore obtenir la résidence permanente, ce qui prolongera la période d’attente d’environ treize mois (temps médian). On comprendra que ces longs délais plongeront les deman-deurs dans une situation marginalisante et précaire, puisqu’ils seront d’abord incertains d’obtenir le statut de réfugié, et qu’ensuite, ils se trouveront dans la zone grise d’attente de la résidence permanente. C’est tout de même au cours de cette période qu’ils devront tenter de s’établir (Renaud, 1998).
On peut donc se demander si le fait de franchir chacune de ces étapes juridico-administratives améliore leur probabilité d’accéder au marché du travail.A priori, le franchissement de la première barrière, l’obtention du statut de réfugié, devrait être la plus marquante. Elle représente en effet le passage dans la légalité.
La variable dépendante de l’analyse est, dans ce cas, la table des entrées dans un pre-mier emploi après la demande. Elle mesure la probabilité d’obtenir un tel emploi à chaque unité de temps suivant le dépôt de la demande d’asile. Les variables indépen-dantes seront l’obtention du statut de réfu-gié à chaque unité de temps ou l’obtention de la résidence permanente à chaque unité de temps. Enfin, un contrôle sera effectué pour le sexe, le niveau de scolarité et l’âge à la demande du statut.
Le lien entre variable dépendante, indé-pendantes et contrôle est étudié à l’aide de régressions de survie.
Contrairement aux attentes, l’obtention du statut de réfugié ne modifie pas la proba-bilité de trouver un premier emploi. En fait, il faut attendre l’obtention de la résidence permanente, quelques vingt-deux mois après la demande de statut, pour que les chances de travailler suite à un changement de sta-tut juridico-administratif soient améliorées. Alors qu’on pouvait penser qu’il suffisait d’accélérer la première étape pour aider à l’établissement professionnel, force nous est de constater qu’elle n’a pas d’effet réel sur l’accès à l’emploi et que la marginalisation perdure jusqu’à la prochaine grande étape dans le processus.
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Langue et travail : la connaissance du français ne facilite pas l’accès à un premier emploi mais augmente les possibilités de mobilité
S’il est une chose qui est fréquemment prise pour acquis dans les milieux de l’immigration, c’est que la méconnaissance de la langue du pays d’accueil est un obstacle pour accéder au travail et pour avoir un emploi de qualité. Il ne s’agit plus ici de facteurs systémiques comme dans l’exemple précédent mais plutôt de facteurs liés à la qualification individuelle et aux attentes du marché. La question au Québec prend une dimension supplémen-taire. Le français et l’anglais se partageant en quelque sorte le marché de l’emploi, la question est aussi de savoir si ces deux langues exercent la même influence. À long terme, on peut penser que la langue qui sera adoptée au travail contribuera à orienter les nouveaux arrivants vers la société franco-phone ou anglophone et que cela affectera l’équilibre entre les communautés linguis-tiques du Québec.
Pour y répondre, nous avons étudié le rôle de la connaissance des langues à l’arrivée et celui de leur apprentissage par des cours durant la période d’établissement. La compé-tence « à l’arrivée » est tirée des informations inscrites au visa d’immigrant. La variable dépendante est, ici aussi, l’accès à l’emploi.
La connaissance du français ou de l’anglais ne permet pas, toutes choses égales par ailleurs, de trouver un premier emploi plus rapidement (Renaud, 1992) ; elle n’a donc pas pour l’immigrant une valeur éco-nomique immédiate qui faciliterait son établissement professionnel. Sa méconnais-sance à l’arrivée n’apparaît donc pas être un obstacle. Il en est de même des cours de langue : ni les cours de français ni les cours d’anglais n’ont d’effet sur l’emploi. En fait, seuls les cours du Centre d’orientation et de formation des immigrants (COFI) à temps plein, spécifiquement dédiés aux nouveaux arrivants, ont un impact statistiquement significatif. Ces cours visent à enseigner le français tout en expliquant la société aux étudiants. Comme les autres cours de langue n’ont pas d’effet, on peut croire que c’est plutôt la dimension « socialisation au Québec » qui est porteuse d’efficacité.
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En tout début d’établissement, la langue n’apparaît pas être une barrière à l’insertion professionnelle. Le mécanisme du COFI, conçu sous l’hypothèse d’une telle barrière, fonctionne mais pour des raisons qui ne seraient pas liées uniquement à l’apprentis-sage de la langue.
Ceci dit, la langue a un effet plus tard, une fois le premier emploi obtenu. Plus spécifiquement, l’impact même de la con-naissance du français évolue au fil du séjour (Lebeau, 2002). Il permet de raccourcir la durée d’activité dans les deux premiers emplois de même que l’intervalle entre les emplois, puis de conserver plus longtemps les emplois subséquents. En d’autres termes, la compétence en français rend les immi-grants plus mobiles sur le marché du travail, une fois qu’ils y sont, et leur donne la possi-bilité de se stabiliser une fois un emploi intéressant trouvé. Elle leur permet de s’inté-grer plus aisément à la société d’accueil.
Cet exemple illustre la nécessité de tra-vailler avec des données longitudinales : les effets de la compétence linguistique étant de signes différents selon le rang de l’emploi, rien de tout cela n’aurait pu être observé sur des données transversales où l’effet aurait probablement été simplement non significatif.
Enfin, on ne peut clore cet exemple sans trois contrepoints. Le premier est que lorsqu’on introduit dans les analyses la lan-gue dominante des emplois précédents au Québec, l’effet de la compétence linguis-tique disparaît : ce n’est donc pas le savoir linguistique qui est la clé de la mobilité des immigrants mais bien plutôt l’insertion dans des milieux sociaux structurés autour de la langue. Certes, la compétence linguistique favorise l’insertion dans ces réseaux mais, ultimement, ce sont les réseaux qui sont por-teurs d’efficacité et de mobilité. L’apprentis-sage de la langue devient un support général à la création de liens avec la société d’accueil, liens qui sont porteurs de mobilité. La lan-gue n’est pas un mécanisme ayant un effet direct sur l’établissement professionnel.
Le deuxième contrepoint est la suite logique du premier. Alors qu’on a toujours pensé que les cours de langue devaient avoir un effet sur l’accès à l’emploi, ces effets ne
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sont pas perceptibles durant les trois pre-mières années d’établissement. On est plutôt en présence du processus symétrique : le fait de détenir un emploi, quel qu’il soit, accroît la probabilité d’aller suivre un cours de français (Renaud, 1995). Le marché du travail renforce le message de la nécessité de la langue française (et non de l’anglais) pour la vie au Québec. Il est alors vital de continuer de soutenir ces cours parce qu’ils faciliteront à long terme l’insertion dans les réseaux normaux de la société, réseaux qui, à terme, rendront les immigrants mobiles en emploi. Les données issues de l’observation des dix années de séjour devraient permet-tre une meilleure compréhension de ce pro-cessus et un programme de recherche est en cours à ce propos.
Enfin, à l’opposé de ce qu’on vient de voir, la compétence en français a un impact direct, mais faible, sur l’accès à un premier emploi (Godin, 2002) pour la population des demandeurs d’asile. Dans cette popula-tion particulière, près d’un demandeur sur deux (46 %) n’aura toujours pas débuté un premier emploi trente-six mois après le dépôt de la demande de statut de réfugié. L’extrême marginalité de leur position sociale explique peut-être que ce soit là l’un des rares atouts dont ils disposent.
Retrouver un emploi équivalent après la migration
Dans les exemples précédents, nous nous étions fixés sur l’accès au marché du travail. On peut étudier d’autres dimensions.
Crespo (1993) a étudié, avec les données des trois premières années de séjour, les facteurs qui expliquent qu’un immigrant va réussir ou non à retrouver, au Québec, un emploi au moins équivalent à celui qu’il détenait avant sa migration.
Les probabilités qu’un tel événement se produise varient considérablement, avec un net désavantage pour les immigrants ayant occupé les meilleurs emplois. En effet, une tâche de bas niveau socioéconomique, moins complexe et moins qualifiée, sera relative-ment interchangeable d’un marché à un autre. Par contre, les anciens détenteurs d’emplois de statut plus important buteront sur des barrières, comme l’organisation
différente du travail selon le contexte du marché ou la non-reconnaissance de l’expé-rience acquise à l’étranger ; problèmes crois-sants à mesure que l’on gravit les échelons du prestige social et de la qualification.
Sur trois ans, il n’a pas été possible d’ana-lyser l’ampleur de l’impact de la présence d’organisations professionnelles dans les champs de compétence des migrants enquê-tés et des barrières à l’accès à l’emploi qu’elles représentent pour eux. L’information néces-saire manquait dans les questionnaires des trois premières vagues. La quatrième vague d’interviews a comblé ce manque. On y cons-tate que 14 % des répondants exerçaient, avant la migration, une profession régie au Québec par un ordre professionnel et que seulement 30 % de ceux-ci étaient membres de l’un de ces ordres après dix ans de séjour (Renaud, 2001).
À défaut de pouvoir montrer l’impor-tance des barrières systémiques, Crespo a pu montrer l’effet pervers de l’expérience locale québécoise. Lorsqu’un immigrant est amené à accepter un emploi de statut infé-rieur à celui occupé avant la migration, il voit fondre ses chances subséquentes de retrouver le statut qui était le sien avant la migration, au moins pour les trois premières années de séjour. Tout se passe comme si, en acceptant un emploi de moindre niveau au Québec, l’immigrant effaçait de son CV son passé plus glorieux ou confirmait – au yeux de la société d’accueil – la piètre qua-lité de son expérience professionnelle passée. L’acquisition d’une « expérience québécoise » aurait, dans ce cas, des effets négatifs à long terme. Dans le cas des anciens détenteurs d’emplois de haut niveau socioéconomique ou de fort niveau de qualification, la pour-suite de la carrière d’origine doit réussir au moment même où l’immigrant a accès pour la première fois au marché du travail. Sinon, l’entrée dans un emploi, par nécessité éco-nomique ou pour se créer une crédibilité locale, éloigne de l’emploi qui serait au moins équivalent à celui exercé à l’étranger, cela pour les trois premières années après la migration. Il reste, bien sûr, à vérifier si l’effet se prolonge au-delà de cette période ou si, au contraire, il n’y aurait pas un effet de rattrapage subséquent.
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Ici encore, on n’aurait pas pu cerner ce processus en l’absence de données longitu-dinales.
L’origine nationale et l’emploi
L’introduction dans l’analyse de l’origine nationale du migrant permet d’examiner des barrières liées au racisme et à la discri-mination. Globalement, on voudra voir si l’effet de cette variable persiste lorsqu’on introduit les facteurs normaux de différen-ciation sur le marché. Si tel était le cas, on pourrait penser être en présence de telles barrières et non pas d’une simple différen-ciation de la main-d’oeuvre venant de ce que les immigrants originaires des différents coins du monde n’ont pas la même distribu-tion de capital humain.
Nous avons examiné cela (Piché, 2002) auprès de l’échantillon d’immigrants réguliers (enquête ENI). Les variables dépendantes considérées sont l’accès au premier emploi, sa durée, le revenu et le statut de l’emploi détenu après six mois de séjour et, enfin, le nombre total de semaines travaillées dans les 78 premières semaines au Québec.
Les variables de contrôle sont le sexe, l’âge, l’éducation, le statut d’immigration, l’existence d’un emploi attesté lors de la déli-vrance du visa, l’expérience de travail anté-rieure à la migration et les formations suivies au Québec.
Selon le critère étudié, les résultats varient mais montrent dans tous les cas un pro-blème de barrière à l’emploi lié à l’origine nationale. Résumons donc à grands traits.
L’accès au premier emploi : les difficultés des Africains sont les plus marquées
En ce qui concerne l’accès au premier emploi, seuls les immigrants originaires de l’Afrique sub-Saharienne éprouvent des difficultés plus grandes à accéder au travail, cela toutes choses contrôlées par ailleurs. Cela est d’autant plus frappant que ce groupe com-porte la plus forte proportion parmi la cohorte de personnes ayant 17 ans et plus de scolarité. Toutes les autres origines nationales ne présentent pas d’effet après contrôle : leur accès au premier travail rémunéré ne diffère pas. Les Africains sont
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les seuls dont la scolarité joue en leur faveur, en accélérant l’accès à l’emploi mais cela ne suffit pas pour contrebalancer le poids de l’origine elle-même. Plus ils sont instruits, moins ils sont discriminés, mais la discrimi-nation ne disparaît pas.
Après six mois de séjour : lorsque les Africains ont un emploi, leur statut social apparaît conforme à leur capital humain
Examinons maintenant les emplois détenus après six mois de séjour, c’est-à-dire suffi-samment tôt dans le processus d’établisse-ment pour avoir l’image de l’accueil que réserve la société québécoise à ses nouveaux arrivants et avant que d’éventuels mécanis-mes de compensations ne viennent jouer. L’analyse ne porte ici que sur les personnes détenant un emploi à ce moment-là.
Le logarithme du revenu horaire varie, toutes choses égales par ailleurs, selon l’ori-gine nationale : toutes les origines sont défa-vorisées par rapport au groupe de référence composé des migrants originaires de l’Amé-rique du Nord et de l’Europe de l’Ouest. Les Africains subsahariens ne le sont ni plus ni moins que les autres.
La chose est presque semblable lorsqu’on étudie le statut socioéconomique de l’emploi mais, cette fois, les originaires de l’Afrique sub-Saharienne ne sont pas discriminés et ne se différencient pas du groupe de réfé-rence. Ils sont discriminés sur l’accès au marché et sur le revenu qu’ils touchent mais, lorsqu’ils ont un emploi après six mois de séjour, le statut social de celui-ci est le reflet de leur capital humain.
Les trois premières années : les difficultés des Africains dans l’accès au premier emploi est compensée par une présence plus stable sur le marché
Une analyse plus récente (Piché, 2002), tou-jours réalisée sur les trois premières années mais avec un détail plus fin des origines nationales, montre que le phénomène qui affecte les originaires de l’Afrique du Sahel ne peut pas être réduit au racisme. En effet, les immigrants originaires d’Haïti ne pré-sentent pas d’effets liés à leur origine natio-nale. La communauté haïtienne étant établie
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depuis longtemps au Québec alors que l’arri-vée des immigrants de l’Afrique y est plus récente, on peut penser que ce dernier groupe a des réseaux moins bien structurés ou moins supportants.
Cette analyse montre que si on change de critère et qu’on regarde le nombre de semaines travaillées à temps plein au cours des 78 premières semaines de séjour, l’image 2 se modifie encore une fois. Les régressions (Tobit) ne montrent plus d’effet lié à l’ori-gine africaine ou haïtienne. Les difficultés des Africains dans leur premier accès au marché seraient compensées par une pré-sence plus stable sur ce marché. Cela n’enlève ni la difficulté d’accès au marché ni la discrimination salariale dont ils sont victimes. Mais cela oblige à repenser leur situation en termes de processus d’établis-sement, de réseaux d’accueil et d’insertion et de difficultés à faire valoir son capital humain. Si ce qu’ils vivent peut être le reflet d’un racisme de la société, cela peut aussi être le reflet de barrières rencontrées et franchies plus ou moins rapidement.
Les dix premières années : les effets négatifs sur le statut socioéconomique et le revenu des immigrants s’estompent au cours du temps
Avec les données portant sur les dix premières années, maintenant disponibles, nous avons voulu d’abord voir si l’origine nationale dif-férenciait toujours les répondants, en com-parant son effet, toutes choses égales par ailleurs, sur le statut socioéconomique et le revenu de l’emploi 520 semaines après l’arri-vée comme immigrants (Renaud, 2003).
L’analyse montre l’évolution de l’effet net de l’origine nationale en tenant compte des éléments de capital humain et des conditions de la migration sur le statut socioéconomique au fil du temps : très présent en début d’éta-blissement, cet effet disparaît après dix ans pour certaines origines mais se maintient pour d’autres. Seuls survivent les effets affectant les immigrants de l’Amérique du Sud et des Caraïbes, à l’exclusion d’Haïti et du Vietnam. Toutes les autres origines natio-nales présentent des effets qui deviennent
non significatifs. Pour une partie importante des immigrants, il y aurait donc eu un ou des processus d’ajustement, soit de la part des personnes immigrantes, soit de la société réceptrice, ayant pour résultat de faire dis-paraître les traces d’un accès possiblement discriminatoire aux emplois de bon statut socioéconomique. Il n’y a plus d’effets inéga-litaires de l’origine nationale dans l’accès aux bons revenus une fois qu’on a accédé aux emplois de bon statut socioéconomique.
Trois familles d’hypothèses, qui peuvent être testées par des analyses dynamiques, sont avancées pour expliquer cette évolution. La première hypothèse est que les immi-grants, devant les difficultés à leur arrivée, développeraient des stratégies de contour-nement et, avec le temps, arriveraient à rejoindre les autres groupes d’immigrants plus favorisés à l’arrivée. La deuxième hypo-thèse veut qu’avec le temps, les groupes d’immigrants se socialiseraient aux us et coutumes du marché du travail, formeraient leur réseau ethnique, et, le cas échéant, construiraient leur « enclave ». Cela concerne davantage les réseaux. La dernière hypo-thèse veut que ce soit la société d’accueil qui ait changé depuis dix ans, devenant en quelque sorte plus réceptive et donc moins exclusive ou discriminatoire sur le marché du travail. La société d’accueil s’habituerait aux nouvelles sources d’immigration. Quelles hypothèses doit-on privilégier ?A priori, aucune : elles sont toutes également possi-bles et doivent, en fait, compter chacune pour une partie des changements observés. Il reste, à ce titre, à les étudier plus avant, afin de les départager.
Seule la deuxième hypothèse a donné lieu à une publication à ce jour (Fortin, 2003). Les natifs de l’Amérique du Sud et des Caraïbes, à l’exclusion d’Haïti et du Vietnam, tendent à vivre repliés sur leur endo-groupe dans des proportions respectives de 38 et 82 %. Ce repli, pour ceux qui le vivent, explique une partie importante de l’effet de l’origine nationale. À l’opposé, les natifs du Moyen-Orient (à l’exclusion du Liban) et de l’Afrique du Nord voient leur destin profes-sionnel s’améliorer lorsque leur réseau est composé surtout de Canadiens.
2. En plus des variables usuelles, on contrôle aussi ici par le nombre de semaines de formation à plein temps suivie.
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Conclusion Nous avons voulu illustrer, à l’aide de quel-ques analyses déjà réalisées, qu’il était pos-sible de saisir l’effet de diverses barrières à l’établissement des immigrants. Mais cette saisie demande le recours à des données longitudinales afin de pouvoir mieux saisir les processus à l’œuvre. Nous espérons avoir réussi à illustrer que ces processus sont mouvants, qu’ils fluctuent au fil du temps d’établissement. À ce titre, on ne peut pas simplement transposer à l’univers de l’immigration un cadre d’analyse inspiré des études sur le genre ou l’ethnie et où les effets sont en quelque sorte intemporels. Un problème de l’analyse des données longitudinales vient cependant de leur trop grande rareté. La mise en chantier d’autres enquêtes sur l’insertion permettrait d’amé-
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liorer singulièrement les analyses en ren-dant possible l’analyse comparative. On pourrait ainsi mieux saisir ce qui est propre au processus de ce qui est propre à une société donnée.
Enfin, si nous avons montré qu’il existe bien des barrières et des difficultés d’inser-tion sur le marché du travail du Québec tant pour les demandeurs d’asile que pour les immigrants, cela ne nous permet pas pour autant de qualifier de façon simple la société qui les accueille, elle-même en transformation depuis qu’elle a pris en charge son immigration et qu’elle oriente les immigrants vers la majorité franco-phone. Espérons cependant que la vigilance qui la caractérise quant aux difficultés d’éta-blissement, de discrimination et de racisme ne se relâchera pas.
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N° 1, 2005
LI N T É G R A T I O N S U R L E M A R C H É D U T R A V A I L
dossierImmigration et intégration
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SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ
117 N° 1, 2005
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