Baudelaire : mode et modernité - article ; n°1 ; vol.38, pg 173-186
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Description

Cahiers de l'AIEF - Année 1986 - Volume 38 - Numéro 1 - Pages 173-186
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 49
Langue Français

Extrait

Monsieur Robert Kopp
Baudelaire : mode et modernité
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1986, N°38. pp. 173-186.
Citer ce document / Cite this document :
Kopp Robert. Baudelaire : mode et modernité. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1986, N°38. pp.
173-186.
doi : 10.3406/caief.1986.1974
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1986_num_38_1_1974BAUDELAIRE : MODE ET MODERNITE
Communication de M. Robert KOPP
(Bâle)
au XXXVIP Congrès de l'Association, le 24 juillet 1985
Un des grands problèmes esthétiques du xix* siècle aura
été la représentation du présent, je veux dire la représentation
directe, immédiate du sans la médiation du mythe
ou de l'histoire.
Traditionnellement, la représentation du présent a été
réservée aux genres mineurs : satire, roman, estampe, gra
vure. Or, à l'époque de Stendhal et de Flaubert, de Courbet
et de Manet, il s'agit de l'élever au niveau des genres nobles :
épopée et tableau d'histoire. Dans ce processus de valorisation
— fort connu depuis les travaux d'Auerbach ou de Meyer
Shapiro — , les concepts de mode et de modernité ont joué
un rôle important, notamment chez Baudelaire et quelques-uns
de ses contemporains (1).
Si le terme de « mode », pour désigner le goût du jour et
son rapide changement, est courant depuis le xvne siècle,
celui de « modernité » n'apparaît qu'au milieu du xix* siècle.
Mis à part quelques emplois isolés, chez Balzac ou chez
Heine, on le rencontre, dans les années 1850, à peu près
(1) C'est ce qu'a signalé le premier, M. Georges Blin, notamment
dans le cours qu'il a consacré, dès 1968-1969, aux problèmes de la modernité
chez Baudelaire et dont l'argument a été publié dans l'Annuaire du
Collège de France, 69e année (1969-1970). Il est revenu à ces questions
dans bien des entretiens ultérieurs. Qu'il veuille bien trouver ici l'hommage
d'un écho. 174 ROBERT KOPP
simultanément sous la plume de Gautier, des Goncourt et
de Baudelaire, et on constate sa rapide vulgarisation au cours
du Second Empire. Littré, en 1868, l'enregistre encore comme
néologisme, et en illustre l'acception (« qualité de ce qui est
moderne ») par une citation de Gautier. Pierre Larousse,
dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (t. XI,
1874), donne la même définition, sans signaler toutefois
qu'il pourrait s'agir d'un néologisme. Il allègue, lui aussi, et
par deux fois, l'autorité de Gautier, qui est corroborée par
celle de Proudhon. Il ajoute enfin une nouvelle définition
plus large (« temps modernes »), pour laquelle Pierre Leroux
fournit un exemple.
De Gautier, le Dictionnaire universel cite d'abord cette
phrase, souvent utilisée par les commentateurs : « Le carac
tère de la peinture anglaise est la modernité. » Elle est tirée
du compte rendu de l'Exposition universelle de 1855 que
Gautier a donné au Moniteur avant de le recueillir dans le
premier de ses deux volumes sur Les Beaux-Arts en Europe (2).
Or, dans le texte de Gautier, la phrase citée par le Dictionnaire
universel est suivie de ce commentaire : « Le substantif
[modernité] existe-t-il ? Le sentiment qu'il exprime est si
récent que le mot pourrait bien ne pas se trouver dans les
dictionnaires. »
La deuxième citation empruntée à Gautier n'est pas moins
révélatrice : « L'on a fait nombre de critiques à Balzac et
parlé de lui de bien des façons ; mais on n'a pas insisté sur
un point très caractéristique à notre avis : ce point est la
modernité absolue de son génie. » Elle est tirée de l'étude
que Gautier a consacrée à Balzac en 1858 (3). Ici encore, le
contexte éclaire vivement la notion de modernité :
(2) Michel Lévy, 1855-1856, chapitre consacré aux peintres anglais et.
en particulier, à Mulready. Baudelaire s'est au moins deux fois référé a
ces pages : dans la première notice sur Gautier et dans le Salon de 1859.
(3) Publiée simultanément dans L'Artiste et dans Le Moniteur, en mars,
avril et mai 1858, et recueillie dans Portraits contemporains (Charpentier,
1874). Baudelaire la connaissait bien ; on y trouve, entre autres choses, la
célèbre affirmation, lancée dès 1850 par Philarète Chasles, selon laquelle
Balzac ne serait pas un observateur mais un voyant ou un visionnaire. BAUDELAIRE : MODE ET MODERNITÉ 175
Balzac ne doit rien à l'antiquité ; — pour lui il n'y a ni Grecs
ni Romains et il n'a pas besoin de crier qu'on le délivre. On
ne retrouve dans la composition de son talent aucune trace
d'Homère, de Virgile, d'Horace, pas même du De Viris illus-
tribus : personne n'a jamais été moins classique. Balzac, comme
Gavarni, a vu ses contemporains : et, dans l'art, la difficulté
suprême c'est de peindre ce qu'on a devant les yeux ; on peut
traverser son époque sans l'apercevoir, et c'est ce qu'ont fait
beaucoup d'esprits éminents.
Dans la suite, Gautier énumère les points qui caractérisent
la modernité de Balzac : connaissance du Paris diurne et
nocturne, de ses rues, de ses foules, connaissance de la femme
moderne, recherche d'une langue nouvelle.
Le nom de Gavarni appelle celui de ses premiers bio
graphes, les frères Goncourt qui, la même année 1858, con
sacrent une première étude au graveur. C'est en égale
ment, qu'ils rencontrent — chez Gavarni — Constantin Guys,
dont ils fixent les traits dans leur Journal. Nous suivrons
dans une autre recherche les traces de la modernité chez les
Goncourt. Notons simplement au passage l'attention qu'ils
prêtent aux difficultés que soulève la représentation du
présent :
Songer que sauf Gavarni, il n'y ait personne qui se soit
constitué le peintre de la vie et de l'habit du XIXe siècle ! Tout
un monde est là, que le pinceau n'a pas touché. Cependant
quel intérêt, quel charme, quelle vie dans ces portraits d'après
nature du xviir siècle — Carmontelle, etc. — qui sont le
portrait de l'homme entier et pris dans ses habitudes de pose
et dans les entours ordinaires de sa vie. Folie, de faire des
portraits dans une pose solennelle et d'en draper le décor avec
une colonne et une draperie (4).
Notons aussi que, pour les Goncourt, la modernité n'est
pas une qualité réservée aux seules œuvres de leur temps.
A preuve la « modernité » de Lucien, en qui ils saluent un
de leurs contemporains (5).
(4) Journal, 25 novembre 1856.
(5)31 décembre 1858. 176 ROBERT KOPP
Or, la « modernité » n'est pas une qualité en soi ; elle
peut aussi être considérée comme un défaut. Ainsi pour
Chateaubriand, évoquant, au cours du récit de sa dernière
ambassade, son entrée dans une petite ville du grand-duché
de Wurtemberg, un soir d'orage :
On ne me fouille point à ... : je n'avais rien contre les droits
des souverains, moi qui reconnaissais ceux d'un jeune monarque,
quand les souverains eux-mêmes ne les reconnaissent plus. La
vulgarité, la modernité de la douane et du passeport, contras
taient avec l'orage, la porte gothique, le son du cor et le bruit
du torrent (6).
« Modernité » dans le sens de « propre au temps présent »,
« spécifiquement contemporain » dérive — H.R. Jauss Га
montré — d'une acception restrictive de « moderne ». Pour
Mme de Staël ou Victor Hugo, l'époque Chateaubriand,
moderne coïncide avec l'ère chrétienne. Pour Stendhal, en
revanche, elle ne désigne plus que le monde contemporain,
monde soumis à un rapide et incessant changement. Aussi
l'art et la littérature doivent-ils s'attacher à la représentation
du présent s'ils prétendent être modernes. C'est ce qu'il
affirme dès son premier Racine et Shakespeare :
De mémoire d'historien, jamais peuple n'a éprouvé, dans
ses mœurs et dans ses plaisirs, de changement plus rapide et
plus total que celui de 1780 à 1823 ; et l'on veut toujours nous
donner la même littérature.
Nul n'est plus sensible au changement du monde contem
porain que Baudelaire et l'accélération du temps qui passe

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