Calligraphie, calligramme, caricature - article ; n°75 ; vol.19, pg 83-101
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Description

Langages - Année 1984 - Volume 19 - Numéro 75 - Pages 83-101
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 126
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Ségolène Le Men
Calligraphie, calligramme, caricature
In: Langages, 19e année, n°75, 1984. pp. 83-101.
Citer ce document / Cite this document :
Le Men Ségolène. Calligraphie, calligramme, caricature. In: Langages, 19e année, n°75, 1984. pp. 83-101.
doi : 10.3406/lgge.1984.1184
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1984_num_19_75_1184Ségolène Le Men
Université de Tours
Calligraphie, calligramme, caricature
La satire politique des journaux illustrés La Caricature, à partir de 1830, et Le
Charivari, à partir de 1832, témoigne jusqu'aux lois sur la presse de septembre 1835
d'une prédilection pour les langages visuels intersémiotiques qui usent de la rencontre
du texte (normalement digital) et de l'image (normalement analogique) de manière à
les opposer, à les comparer ou à les réunir synthétiquement. Ces langages peuvent
relever de trois sortes de codes : d'un côté, les codes mixtes, où une substance visible
a une forme lisible au plan de l'expression 1 (par exemple le blason, les armes,
l'énigme, la devinette, le rébus, le tableau d'histoire), de l'autre les codes composites,
qui peuvent être soit analytiques (par conjonction du texte et de l'image dans
l'emblème, la devise, l'illustration), soit synthétiques (par superposition du texte et de
l'image dans la calligraphie et le calligramme). À cette exemplaire diversité des codes
utilisés répond la monotonie du contenu qui décline inlassablement le paradigme
« absolu » de Louis-Philippe, le roi -poire. Les calligraphies et les calligrammes méri
tent doublement d'être rapprochés : ils sont, en tant que caricatures, synonymes
dotés du même signifié qui est la poire, symbole et portrait- charge du roi. La nature
synthétique de ces codes implique que l'image se trouve sous les lettres autant que les
lettres sous l'image : seul le contexte permettrait de trancher en faveur de l'un ou de
l'autre ; or, le contexte est ici celui d'un journal illustré dont le code, également
mixte, laisse l'interrogation en suspens. Alors que, dans la perspective de Greimas, il
n'est de sémiologie possible qu'au plan des contenus, c'est-à-dire dans une sémanti
que, il s'agit ici de suggérer la possibilité d'une sémiotique du plan de l'expression et
même de la substance de l'expression, en supposant qu'il existe une parole et une
langue typographique et calligraphique, étroitement solidaires des traditions de
métier du maître-écrivain et de l'ouvrier -typographe ou de l'imprimeur : c'est du
moins ce qu'affirme dans La Caricature le commentateur de la planche Exercices cal
ligraphiques, analysée ci-dessous, lorsqu'il la présente en ces termes : « Jeudi der
nier, nous avons fait parler les tombeaux ; aujourd'hui nous quittons la bêche du fos
soyeur pour les traits à main levée du maître d'écriture. Le passage est brusque, mais
La Caricature procède sans ordre et sans suite ; elle saute et gambade par dessus
toutes les règles ; tout langage lui est bon pour rendre les folles pensées qui se croi
sent dans sa tête. Voici de la calligraphie à sa manière ». Les « traits à main levée du
maître d'écriture » sont bel et bien définis comme un « langage » !
1. Cette distinction entre forme et substance du plan de l'expression et du plan du contenu
reprend la terminologie proposée par Hjemslev dans les Prolégomènes.
83 CARICATURE ET CALLIGRAPHIE
Dotés du même préfixe qui indique la beauté, la valeur esthétique, les deux mots
de « calligraphie » et de « calligramme » dérivés du grec sont presque synonymes : la
racine nominale de l'un, qui désigne à la fois la lettre, par extension le texte écrit, et
le dessin, répond à la racine verbale de l'autre, qui signifie écrire et dessiner ; l'un
qualifie un objet, tandis que l'autre se rapporte par le verbe d'action à une pratique,
à l'art du bel écrire. L'usage confirme cette nuance étymologique puisque le call
igramme détient une fonction conative qui répond à la fonction émotive de la
calligraphie 2. Ils s'opposent en effet l'un à l'autre comme l'imprimé au manuscrit 3 ;
or, il n'est pas de graphologie de l'imprimé car la reproduction mécanique annule les
traits subjectifs de l'écriture manuelle, de même que le passage de l'oral à l'écrit
avait supprimé l'intonation de la voix. La peinture (par la touche) comme la parole
orale (par l'inflexion et l'accent) dépendent du corps propre, de même que l'écriture
manuelle, qui est la trace d'un geste.
L'art calligraphique occidental déploie la maîtrise du virtuose, et les portraits
royaux calligraphiques écrits/dessinés d'un trait de plume souvent offerts au souve
rain tenaient lieu de chefs-d'œuvre aux maîtres-écrivains. Résultant de la conjonction
d'un savoir et d'un pouvoir dans un savoir-faire, la virtuosité calligraphique était
alors la preuve de la compétence acquise dans l'art d'écrire, comme le montre cet
« ouvrage d'un trait / présenté au roi par C.A.D. Rochon de l'Académie Royle
d'Écriture en 1768 », — exemplaire puisque le même trait y sert à représenter, à
orner, à écrire... Ce fil d'Ariane continu suggère au spectateur un labyrinthe intermi
nable, la fête du plein et du délié à laquelle il lui faut s'arracher pour percevoir la
figure sur le fond de la page : cette silhouette dans un espace blanc abstrait dont la
délimitation rectangulaire est redoublée par un encadrement ornemental calligraphi
que, c'est un buste du roi placé sur un socle élevé, au bas duquel se lit le titre-
dédicace de l'ouvrage calligraphique. La disposition verticale permet d'opposer con
jointement l'image à l'écriture, et le roi au sujet qui lui dédie son œuvre ; dans cette
mise en page polarisée hiérarchiquement par le haut et le bas, tout se passe comme si
l'artiste convenait du primat de l'image sur les mots et de la peinture sur la poésie, à
rebours de la tradition logocen trique de l'« ut pictura poesis » 4 à laquelle s'opposent
les peintres depuis Léonard de Vinci. Dans l'intervalle entre la pureté néoclassique
de ce profil de médaille et l'écriture italique cursive de la légende, se déploie l'art ca
lligraphique sur toute la hauteur de la page ; il occupe le socle, mais aussi, en haut,
la partie inférieure du buste et, en bas, la partie supérieure du cartouche réservé à
l'inscription ; la ligne figurative perd de sa figurativité au cours d'une dégénérescence
qui va de l'image à un texte — en continuité ; dans l 'entre-deux de l'image et du
texte, la ligne ornementale calligraphique procède à la fois de l'image et du texte, de
2. Ces termes sont introduits par R. Jakobson dans « linguistique et poétique », Essais de
linguistique générale, Paris, 1963, chapitre II.
3. « Quant aux calligrammes, écrit Apollinaire qui a forgé ce mot, dans une lettre à André
Billy, ils sont [...] une précision typographique à l'époque où la typographie termine brillam
ment sa carrière, à l'aurore des moyens nouveaux de reproduction que sont le cinéma et la pho
tographie ».
n° 106, pi. 217. Litho s. en b. à g. : J. J. 4. La Caricature, 15 novembre 1832,
84 l'écrit et du représenté, tout en se distinguant de l'un et de l'autre puisqu'elle ne
représente rien, à la différence de la ligne mimétique du portrait du roi, et de la ligne
lisible de la légende dans lesquelles elle se résout. Autoréférentielle et informelle, la
ligne calligraphique ne dénote rien d'autre qu'elle-même. Son paradoxe est d'évacuer
l'écriture pour mieux montrer la maîtrise calligraphique par une sorte de catachrèse
ornementale.
La définition calligraphique du « trait » sera utilisée par Grandville en caricature
dans la double planche publiée sous le titre Exercices calligraphiques I pour graver
les traits chéris de nos hommes d'état dans la jeunesse française (Fig. 3) 4. Cette
planche s'apparente aux « petites macédoines d'Aubert » qui forment l'une des séries
d'illustrations du Charivari, car elle en adopte la mise en page 5 : toutefois

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