Catégories dirigeantes ou classe dirigeante ? - article ; n°1 ; vol.15, pg 7-27

Raymond Aron

Description

Revue française de science politique - Année 1965 - Volume 15 - Numéro 1 - Pages 7-27
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié le: 01 janvier 1965
• Nombre de lectures: 71
• Langue: Français
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Extrait

Monsieur Raymond Aron
Catégories dirigeantes ou classe dirigeante ?
In: Revue française de science politique, 15e année, n°1, 1965. pp. 7-27.
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Aron Raymond. Catégories dirigeantes ou classe dirigeante ? . In: Revue française de science politique, 15e année, n°1, 1965.
pp. 7-27.
doi : 10.3406/rfsp.1965.392834
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1965_num_15_1_392834Catégories Dirigeantes
ou Classe Dirigeante
RAYMOND ARON
LE
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ai employé moi-même en autres circonstances expression parce
elle est usage courant mais je pense après réHexion que mieux vaut
parler de personnel politique Raymond Aron
incertitude du vocabulaire tient des raisons profondes La
classe dirigeante en effet est ou passe pour être la minorité plus
ou moins cohérente et consciente elle-même qui en tait règne
sur la société tout entière emploie intentionnellement le mot
règne en une acception vague la plupart du temps les observa
teurs ne savent pas quel point cette minorité gouverne et
par quels moyens Dès lors la classe dirigeante intéresse le
sociologue elle est la société globale ce que les gouver
nants sont au système politique Mais elle intéresse aussi le politi-
cologue est une sorte de super-gouvernement ou encore
la minorité visible ou invisible qui manipule les gouvernants ou
dont les gouvernants visibles ne constituent une fraction)
Ainsi posé le problème est la fois traditionnel et renouvelé
La Politique Aristote est un traité de sociologie et économie
en même temps que de science politique mais cette dernière
englobe les deux autres disciplines Peut-être plus précisément
la politique ne se distingue-t-elle pas de la sociologie la cité est
la collectivité dans laquelle accomplit la nature de homme et le
régime politela) modalité de organisation du Pouvoir définit le
caractère propre de chaque cité Machiavel plus encore Aris-
tote met opposition des gouvernants et des gouvernés de la
minorité qui commande et du grand nombre qui obéit au centre de
ses observations et de ses réflexions opposition est posée comme
évidente conforme aux faits les moins contestables sans être pour
autant scandaleuse Personne ne songe nier que les uns comman
dent et que les autres obéissent personne non plus ne suggère
que les premiers sont mystérieusement unis et les seconds miracu
leusement passifs Les rivalités entre les prétendants au trône ou
les factions de la bourgeoisie sont trop violentes intérieur des
principautés ou des villes italiennes elles apparaissent au jour avec
trop innocence pour que interprétation policière de histoire
le gouvernement invisible la conspiration des puissants
prenne quelque vraisemblance
Le problème moderne de la classe dirigeante tel il été
discuté la suite des auteurs italiens Mosca et Pareto sup
pose des faits nouveaux et parmi ceux-ci figurent en bonne place
sinon au premier rang des idées avant tout les idées démocratiques
et marxistes
Si la démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple
pour le peuple la simple affirmation que le ne gouverne pas
lui-même que ceux il choisit pour le représenter tirent profit de Catégories Dirigeantes ou Classe Dirigeante
autorité ils exercent devient en quelque sorte sacrilège ce
qui ne signifie pas elle cesse pour autant être une platitude
ou une banalité De même si la manière des marxistes-léninistes
on décrète que le régime soviétique identifie la dictature du
prolétariat il suffit de constater que cette dictature est exercée par
un parti un pr sidium ou un homme pour appeler sur soi les invec
tives des vrais croyants et pourtant qui jamais sérieusement
pensé que des millions ouvriers pouvaient être ensemble tin dic
tateur?
La théorie italienne de la classe dirigeante dans histoire
des idées modernes une double fonction elle est critique la fois
de la démocratie formelle et de la démocratie réelle elle démasque
le mythe de la volonté générale comme celui de la dictature du pro
létariat Elle rappelle aux uns la loi airain de oligarchie elle
rappelle aux autres la permanence du pouvoir et de la politique
impossibilité une société sans pouvoir impossibilité de la fusion
totale entre la société et Etat
Mosca aussi bien que Pareto ont infatigablement démon
tré que les régimes représentatifs de notre temps qui se baptisent
eux-mêmes démocraties ne diffèrent pas en essence des régimes
qui se sont succédé travers les siècles eux aussi sont dominés
par une minorité qui trahit plus ou moins en actes formule ou
doctrine de légitimité dont elle se réclame en paroles Le peuple
ne gouverne pas plus quand il est décrété souverain que Dieu
ne gouvernait au temps où les rois invoquaient le droit divin Bien
plus les gouvernants des démocraties parlementaires trahissent leur
formule plus que les gouvernants des régimes anciens ils rem
plissent les fonctions officielles et tiennent le devant de la scène
sans être les vrais maîtres Ils manipulent les masses par la ruse
ou éloquence mais ils sont manipulés par ceux qui possèdent les
moyens de puissance est-à-dire surtour dans les sociétés moder
nes les magnats de industrie ou de la finance où la notion de
plouto-démocratie utilisée par école machiavélienne et reprise par
les propagandistes fascistes ou nationaux-socialistes
interprétation de la démocratie formelle ou parlementaire
que suggère la notion de plouto-démocratie est pour une part au
moins inspiration marxiste La pensée de Marx eu pour ori
gine en 1840-1841 une réflexion sur la philosophie du droit de
Hegel homme réel est celui de la société civile bürgerliche
Gesellschaft Le citoyen qui par élection participe univer
salité de Etat est par rapport au travailleur ce est autre vie Raymond Aron
après la mort par rapport existence ici-bas autorité politique
est illusion qui camoufle le pouvoir des propriétaires des moyens
de production pouvoir direct et visible dans la société pouvoir dis
simulé mais autant plus redoutable sur Etat De ce schéma Marx
ne déduit pas la manière des saint-simoniens que les indus
triels ou les banquiers ou les patriciens selon le langage Auguste
Comte doivent être promus gouvernants il en déduit au len
demain de la révolution faite par immense majorité profit de
immense majorité Etat se résorbera pour ainsi dire dans la
société Après la transition marquée par la dictature du prolétariat
Etat dépérira et la société sera gérée par les producteurs asso
ciés administration des choses remplacera le gouvernement des
personnes
La dénonciation de la plouto-démocratie se situe donc dans la
suite de la pensée marxiste ou une partie de la pensée marxiste
Si le pouvoir proprement politique est par essence toutes les
époques une sorte de sous-produit de la puissance sociale le règne
des ploutocrates dans ombre des parlements illustre et confirme
la théorie Selon Marx il est vrai la puissance sociale elle-même
pour fondement ultime la propriété des