Cinquante ans avec Georges Sorel - article ; n°1 ; vol.1, pg 52-67
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Description

Cahiers Georges Sorel - Année 1983 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 52-67
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Andreu
Cinquante ans avec Georges Sorel
In: Cahiers Georges Sorel, N°1, 1983. pp. 52-67.
Citer ce document / Cite this document :
Andreu Pierre. Cinquante ans avec Georges Sorel. In: Cahiers Georges Sorel, N°1, 1983. pp. 52-67.
doi : 10.3406/mcm.1983.863
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_0755-8287_1983_num_1_1_863Cinquante ans avec Sorel
PIERRE ANDREU
« Si sombre que l'avenir doive nous apparaître, nous ne
devons pas nous décourager, attendu que la véritable vertu
est celle de l'homme qui travaille sans espoir de succès.»
Georges Sorel1
J'ai découvert Sorel bien curieusement alors que je faisais
mon service militaire au Maroc. Comme je montais la petite
côte qui conduisait à la Medina de Meknès — noyé, grâce à
l'uniforme, dans la masse, rien ne pouvait me lasser de la vie
indigène — je vis à la vitrine d'une librairie, loin des camps
militaires et des rues européennes, à l'entrée de la ville arabe,
étinceler un titre : Réflexions sur la violence. C'était, sans
doute, une de ces librairies socialistes, petits foyers isolés et
toujours menacés de réflexion libre, comme on en trouvait
alors dans tout l'Empire, de Casablanca à Saigon, d'Alger à
Dakar. J'entrais, sans hésiter, et j'achetais le livre. Est-ce que je
connaissais le nom de Sorel ? Aujourd'hui, je n'en suis pas
sûr. Peut-être Gaétan Pirou l'avait-il prononcé devant moi à la
Faculté de Droit... J'étais prêt à le lire et à m'enthousiasmer
pour ce livre.
Ma famille était de tradition socialiste et républicaine. Mon
grand-père, petit percepteur, avait combattu pour la Répub
lique dans les années 80. Mon père avait, avant la guerre, en
tendu à Toulouse Jaurès et Sébastien Faure. Il exerçait la
médecine dans deux quartiers pauvres, misérables, de Paris,
Grenelle et Javel et j'avais appris de lui l'horreur de la guerre
1. Réponse de Sorel à l'enquête « L'Allemagne a-t-elle le secret
de l'organisation ? » parue le 25 septembre 1915 dans le journal
L'Opinion, IX (39), pp. 2224.
52 où il avait vu tant de jeunes hommes mourir pour rien. Au
lycée, en seconde, j'avais adhéré à la L.A.U.R.S., la ligue d'ac
tion universitaire républicaine et socialiste, que présidait un
étudiant en droit, Pierre Mendès-France. J'étais bien seul dans
mon lycée, au milieu de la foule des lycéens Jeunesses patriotes
ou d'Action française. L'année d'avant, en 1924, j'avais ap
plaudi, précoce militant, au succès du Cartel des Gauches et les
malheurs de Caillaux et de Malvy, pendant la guerre, m'indi
gnaient. J'allais réagir brutalement à l'échec gouvernemental de
la gauche. Dès mon arrivée au Quartier latin, à l'automne 1927,
les pleurnicheries sur le « mur d'argent » sur lequel les bonnes
intentions radicales et socialistes s'étaient, paraît-il, brisées,
m'exaspéraient. Je pensais, dans ma simplicité de jeune homme
sportif, qu'un mur se renverse, s'escalade ou se contourne.
Mon ami René Lucot aime rappeler cette réunion, dans l'hiver
1928-1929, où Mendès-France assis à mes côtés, s'efforçait gen
timent de tempérer ma jeune colère devant les bavardages d'un
ministre radical qui se lamentait sur la méchanceté et la per
versité des gens de droite. Je me préparais à mal tourner, à
mal juger les pratiques de la démocratie. Au même moment,
je découvrais Péguy. Quand je partis au Maroc, parmi les quel
ques livres que j'emportais, il y avait les « Morceaux choisis »
de Péguy, de Lucas, de Pesloiian. Je ne savais pas alors que
Sorel et Péguy, autre révisionniste, pouvaient se rejoindre et
mes lectures étonnaient beaucoup le commandant-major du
3* régiment de spahis marocains quand il jetait un regard sur
les livres — il y avait aussi Y Anthologie de la poésie contem
poraine de chez Kra — que j'avais posés sur ma table. Je lus
donc les Réflexions sur la violence, en 1930, à Meknès. Je sou
lignais bien des passages que je croyais écrits pour moi :
« De quoi vivra-t-on après nous ? Voilà le grand problème
que Renan a posé et que la bourgeoisie ne résoudra pas. Si
Von pouvait avoir quelque doute sur ce point, les niaiseries
que débitent les moralistes officiels démontreraient que la
décadence est désormais fatale ; ce ne sont pas des consi
dérations sur l'harmonie de l'Univers (même en personnifiant
l'Univers) qui pourront donner aux hommes ce courage que
Renan comparait à celui que possède le soldat montant à
l'assaut. Le sublime est mort dans la bourgeoisie et celle-ci
est donc condamnée à ne plus avoir de morale. » 2
« Saluons les révolutionnaires comme les Grecs saluèrent
2. Réflexions sur la violence, Paris, Rivière, 1972, pp. 300-1. .
53 les héros Spartiates qui défendirent les Thermopyles et
contribuèrent à maintenir la lumière dans le monde anti
que... » 3
A mon retour du Maroc, je devais travailler ; comme beau
coup d'autres, je rêvais d'écrire, de faire du journalisme. C'était
la crise ; je dus me contenter d'un modeste emploi de secrétaire
auprès d'un journaliste important. Mon « patron » qui, en 1914,
figurait sur la « liste В » (syndicalistes dangereux), s'était, au
fil des ans, beaucoup assagi. Avide d'argent, il cumulait les
situations. Il avait fondé uns petite agence qui alimentait en
articles politiques les journaux de gauche de province et, en
même temps, il dirigeait le service politique du Peuple, le jour
nal quotidien de la C.G.T. — réformiste — et assurait pour
Le Petit Journal la rubrique du Mouvement Social. Au bout de
quelques mois, il me confia, tout en en restant le titulaire, sa
rubrique du Petit Journal, ce qui me permit d'approcher la plu
part des dirigeants syndicaux et politiques аг l'extrême gauche.
Mon patron téléphonait, intervenait, traficotait beaucoup. Je
l'entendais — pourquoi se serait-il gêné devant moi ? — appeler
des directeurs de cabinet, des députés socialistes, radicaux, des
huiles de la presse et il s'agissait toujours de décorations à dis
tribuer, de services à rendre ou à donner, d'affaires à régler.
« Nous » téléphonions beaucoup à un député radical, Edouard
Dalimier, qui allait être, deux ans plus tard, une des plus misé
rables vedettes de l'affaire Stavisky. Je voyais défiler devant
moi les plus cruels travers de la démocratie. C'était les Réflexions
sur la violence en action. Je rêvais de bombes, de destruction.
En janvier 1932, je signais la pétition déposée chez Corti pour
protester contre les poursuites engagées contre Aragon à la suite
de la publication de son poème Front Rouge
« Feu sur Léon Blum
Feu sur Boncour Frossard Déat sur les ours savants de la social démocratie *
J'étais bien d'accord pour qu'on tire sur les ours savants de
la IIe Internationale, ces ours bien léchés me faisaient horreur.
Avant Maurras que je n'avais pas lu, Sorel et Péguy me
l'avaient enseigné et ma vie de tous les jours et mon patron
renégat et pourri. En mai, aux élections générales, je votais
pour Raymond Guyot, secrétaire des Jeunesses Communistes.
3. Op. cit., p. 110.
54 L'affaire Fritsch, l'assassinat par la police en mars, à Vitry, au
cœur de la banlieue rouge, d'un ouvrier exemplaire, m'avait
bouleversé. Les communistes m'attiraient. Leur ardeur, leur foi,
leur négation radicale, me touchaient au profond de moi-même,
mais je pressentais, en même temps, dans leur comportement
tant de certitude sectaire si étrangère à ma nature, que je ne
pouvais me décider à me lier à eux.
Depuis mon retour du Maroc j'avais approfondi ma connais
sance de Sorel. J'avais acheté chez Rivière les Matériaux d'une
théorie du prolétariat, les Illusions du Progrès, Y Introduction à
l'économie moderne, la Décomposition du marxisme, De l'Uti
lité du pragmatisme — je puisais ma bibliographie dans la
petite brochure de Pirou si excitante pour l'esprit — j'avais lu
en bibliothèque Le Procès de Socrate, Contribution à l'étude
profane de la Bible, quelques articl

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