Convoitise - article ; n°1 ; vol.35, pg 94-114
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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1987 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 94-114
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Ingeborg Bachmann
Zofia Rozankowska
Convoitise
In: Les Cahiers du GRIF, N. 35, 1987. Ingeborg Bachmann. pp. 94-114.
Citer ce document / Cite this document :
Bachmann Ingeborg, Rozankowska Zofia. Convoitise. In: Les Cahiers du GRIF, N. 35, 1987. Ingeborg Bachmann. pp. 94-114.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1987_num_35_1_1729Convoitise
Ingeborg Bachmann
Ces deux fragments de récit furent publiés en 1982, après la parution posthume des
uvres complètes d'Ingeborg Bachmann chez Piper, par Robert Pichl pour l'éditeur
Lôrke (Vienne, Munich). Ingeborg Bachmann en rédigea les deux présentations sui
vantes.
Ingeborg Bachmann a écrit un nouveau récit pour la Bibliothèque Suhrkamp.
Il se rapporte à un incident de sa dernière nouvelle Trois chemins vers le lac.
Une grande photographe, une femme d'une cinquantaine d'années est en train
de passer ses vacances en Carinthie. Dans un journal de province elle lit le
compte rendu d'un prétendu drame de jalousie : l'ingénieur diplômé Bertold
Rapatz, un homme de 62 ans, a tué sa femme de 33 ans et l'amant de
celle-ci avant de se donner la mort à lui-même. Le récit dévoile le véritable
cours des événements. Il démasque un double mensonge, celui que les pauvres
répandent au sujet des riches, et celui que les riches répandent sur leur pro
pre compte. Au centre du récit, qui se déroule dans un pavillon de chasse en
Autriche, se trouve le multimillionnaire Bertold Rapatz. F. Scott Fitzgerald a
dit qu'un écrivain qui se lançait dans la représentation d'un individu pouvait
réussir à représenter un type - celui qui commençait par la représentation
d'un type n'aboutissait à rien Dans toute sa singularité et avec les traits qui
lui sont propres, Bertold Rapatz est un type de notre temps. Il veut tout avoir
et il réussit à tout obtenir. Il est avide d'argent, de pouvoir, de femmes, de la
vie. Mais cette avidité détruit ceux qui sont en son pouvoir et finalement elle
le détruit lui-même. 95 Dans un pavillon de chasse en Carinthie, Bertold Rapatz, un des trois hom
mes les plus riches, si ce n'est le plus riche du pays, assassine sa troisième
femme Elisabeth Mihajlovics, de trente ans plus jeune que lui, et un aide-for
estier slovène avant de se suicider. Les journaux parlent d'un « drame de
jalousie » qui fait sensation Mais l'histoire véridique est contée dans Convoit
ise, l'histoire d'un homme de soixante ans passés...
Une fille riche
Elisabeth ne vit la petite qu'après quelques jours. La petite mesurait plus
d'un mètre soixante-dix. Elle avait des cheveux noirs et un corps étroit qui
se tassait sur des jambes longues et minces. Sombre et timide, elle était
vêtue d'un pull-over et d'un tablier noirs et portait plusieurs colliers autour
du cou. « Ma fille Sibilla, dit-il, s'il vous plaît ne lui dites surtout pas Si-
bille, elle y prend ombrage, elle est plus italienne que sa mère et tous les
Italiens pris ensemble. » La fille Sibilla hocha brusquement la tête en agi
tant ses longs cheveux, elle ne riait pas, ne tendit pas la main. Elle dit
brièvement « Bonjour » et disparut. « Une enfant aimable », dit-il, il essayait
d'ironiser « alors, qu'en dites-vous, Elisabeth ? »
Avant le week-end Elisabeth alla chez le coiffeur à Klagenfurth, avec
Milo et Radmilla. Prudente, elle disait encore Madame à Radmilla, à Milo
elle ne disait rien. Elle ignorait comment ces gens s'appelaient, pour
M. Gelderen ils s'appelaient simplement Milo et Radmilla. Radmilla était
slovène, Milo était croate, elle le savait, et ça faisait déjà dix-huit ans que
les deux étaient dans la maison. L'anniversaire de Sibilla était dimanche, à
Klagenfurth, Elisabeth cherchait désespérément un cadeau. Elle acheta des
livres... et finit par trouver une serviette de bain qui était à peu près conve
nable.
Naturellement, tous les objets dans la maison n'avaient pas été achetés à
Klagenfurth, mais à Vienne ou en Allemagne, beaucoup de choses venaient
d'Italie. La Signora avait toujours fait ses achats à Venise, expliquait Radm
illa, ici on ne trouvait rien. Et elle ne s'habillait qu'à Milan. Elisabeth se
demandait si ses habits, qui n'étaient pas de Milan... ne l'avaient pas trahie
depuis longtemps.
Elle écrivit une petite carte, en deux lignes : pour Sibilla, Elisabeth.
C'était son seizième anniversaire. M. Gelderen n'offrit rien à sa fille, puis-
96 qu'elle avait été virée de l'école. Mais Mme Radmilla disait qu'il ne lui offrait jamais rien, et si elle ne faisait pas de calculs très compliqués Sibilla
n'aurait rien à se mettre et pas d'argent de poche, puisque M. Gelderen
estimait qu'elle avait déjà tout et n'avait besoin de rien. Lui non plus
n'avait, par principe, pas de besoins ; il n'achetait jamais rien et ses enfants
(Afdera la benjamine était en Suisse chez des amis) devaient s'habituer à
en faire autant.
Quand quelque chose arrive à des gens pauvres ou un peu moins pauvres,
on appelle cela un malheur. Une chose qui arrive aux riches a une aura de
destin ou de malédiction. Elisabeth, à qui étaient déjà arrivées pas mal de
choses, et qui essayait pour la première fois de comprendre la richesse,
ressentait un malaise grandissant, car la famille Gelderen se trouvait pour
ainsi dire sous le coup d'une malédiction. Pourtant celle-ci pesait sur la
famille d'une manière si légère et estivale qu'on ne la remarquait pas.
M. Gelderen était un homme large et puissant, chez qui elle n'avait encore
jamais remarqué la moindre trace de malheur. Ainsi, un soir, il lui affirma
que jamais de sa vie il ne s'était ennuyé, senti malheureux ou malade.
Elisabeth en tira la conclusion qu'elle s'était fait des idées totalement erro
nées, les gens vraiment riches n'étaient rongés par aucun chagrin. Tout ce
qui paraissait fantomatique dans la maison c'était Sibilla, la petite donc, qui
portait des verres de contact sur ses yeux sombres, et qui soi-disant ne
ressemblait même pas à sa mère. La malédiction consistait pour ainsi dire
en la non-présence de la petite, dont Elisabeth supposait qu'elle se trouvait
à une fête, ou à la piscine ou encore avec des amis, pendant qu'elle-même
faisait un tour avec M. Gelderen. Après un certain temps elle découvrit que
Sibilla ne sortait jamais, et qu'elle passait son temps à la cuisine avec Radm
illa ou couchée dans sa chambre à écouter des disques, des chansons na
politaines (de Muralo) ou des opéras, Bellini, Verdi. Les murs de sa chamb
re étaient tapissés de photos de Naples, de Florence et de la Sicile. En
passant, on l'entendait parfois fredonner mais jamais chanter. Elisabeth de
manda un jour à M. Gelderen si Sibilla n'avait pas d'amis et si elle passait
l'été seule. « Le diable sait où elle se cache, bien sûr qu'elle a des amis,
mais elle ne veut voir personne, Mademoiselle ne descend même pas à table.
Mais tout cela va changer maintenant. Antoinette Altenwyl vient après-de
main, elle vient toujours quand quelque chose ne marche pas dans son mar
iage. En général, ce n'est pas grave, elle va de toute/ manière repartir. C'est
une imbécile mais à part ça une femme tout à fait raisonnable. Ça obligera
Sibilla à descendre à la salle à manger. » */
Après le départ d'Antoinette Altenwyl, qui n'était restée qu'une petite
semaine avant de repartir à St. Wolfgang, le calme revint à Meiernigg. 97 Sibilla était toujours venue à table, sans dire un mot. De temps en temps
elle répondait aimablement aux questions de l'invitée - Elisabeth aussi rece
vait dûment quelques réponses - puis elle disparaissait.
La bière des Gelderen
C'est avec terreur qu'Elisabeth vit les fusils de chasse pour la première
fois. Toutes les nuits elle se souvenait qu'elle dormait dans une maison dans
laquelle il y avait des armes. Mais un jour Bertold déclara qu'ils devaient
aller à Ferlach, et elle l'accompagna chez son (...) armurier (...) l'attendit
dans une auberge (...) il démonta la lunette en lui montrant que le
deuxième chien ne fonctionnait pas. « Vous devez régler celui-là, et puis
vous appuyez tout doucement sur le premier ! » Il lui dessina un chevreuil et
expliqua pourquoi les coups devaient absolument être mo

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