Cosmopolitisme et patriotisme au siècle des Lumières - article ; n°1 ; vol.253, pg 364-389
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Description

Annales historiques de la Révolution française - Année 1983 - Volume 253 - Numéro 1 - Pages 364-389
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-René Suratteau
Cosmopolitisme et patriotisme au siècle des Lumières
In: Annales historiques de la Révolution française. N°253, 1983. pp. 364-389.
Citer ce document / Cite this document :
Suratteau Jean-René. Cosmopolitisme et patriotisme au siècle des Lumières. In: Annales historiques de la Révolution française.
N°253, 1983. pp. 364-389.
doi : 10.3406/ahrf.1983.1057
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1983_num_253_1_1057COSMOPOLITISME ET PATRIOTISME
AU SIÈCLE DES LUMIÈRES
Le heurt des concepts de cosmopolitisme et de patriotisme au
Siècle des Lumières a nourri longuement une discussion théorique
qui n'a pas été sans intérêt. Cependant cette discussion, pour être
fructueuse, doit être dépassée et débarrassée de deux obstacles sur
lesquels elle a longtemps achoppé (1).
D'une part, il convient de définir les sens ou plutôt, selon le
distinguo judicieux des linguistes, les emplois au XVIIIe siècle non
seulement de ces deux termes, mais aussi des termes connexes de
patrie, de nation, de nationalisme.
En second lieu, il faut délimiter la valeur opératoire des termes
ainsi précisés et actualisés. De cette façon seront, autant que faire se
peut, évités les pièges de l'anachronisme et de la relativité. Ainsi
pourra être mieux posé, dans ce rapport préparatoire, l'enjeu réel du
débat : l'importance du ressort de classe qui l'emporte très
largement, au sens de l'histoire, sur les explications élitistes.
*
* *
I — PATRIE, NATION ET MOTS DÉRIVÉS AU XVIIIe SIÈCLE :
HISTOIRE DES MOTS
Examinons tout d'abord rapidement les emplois des mots
PATRIE, NATION et de leurs dérivés et composés au XVIIIe siècle,
afin de ne pas perpétuer l'usage fait souvent — notamment par les
historiens américains, les seuls, il est vrai, qui, longtemps
(1) Cette étude dont un résumé est publié ici a été présentée comme rapport en
août 1979 au Colloque international sur les Lumières à Pise et est parue intégralement
et avec un important appareil critique dans le volume des Actes de ce Colloque,
Transactions of the fifth International Congress of the Enlightenment, Oxford, 1981,
pp. 41 1-440. COSMOPOLITISME ET PATRIOTISME 365
s'intéressèrent à ces questions — des emplois (sens) de ces mots dans
notre vocabulaire actuel.
PATRIE : « pays, province, région, ville où on est né », « terre
des pères », emploi amphibologique en France de ce temps comme de
nos jours face à l'allemand qui possède deux mots : « Vaterland » et
« Heimat » (2).
Dérivé : PATRIOTISME = amour de la patrie, le dérivé
« PATRIOTE » signifiant « celui qui aime sa patrie ». Tels sont les
sens généraux.
NATION : « communauté humaine installée le plus souvent sur
le même territoire qui possède une unité historique, linguistique,
religieuse, économique plus ou moins forte » (Larousse), ou
définition humaniste « latine » de Renan : « une âme, un principe
spirituel, (...) le désir de vivre ensemble, la volonté de faire valoir
l'héritage qu'on a reçu indivis, le consentement, le désir clairement
exprimé de continuer la vie commune... », ou définition juridique :
« titulaire original de la souveraineté... avec tous les attributs de la
personnalité, de la conscience, de la volonté » (Duguit).
A) ANCIENNETÉ DES DÉFINITIONS
PATRIE : La Bruyère (1688), Furetière (1690), Dictionnaire de
l'Académie : 1694 (puis 1740, puis 1762), Dictionnaire de Trévoux :
1771, Dictionnaire philosophique de Voltaire : 1764. Emplois par
Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Bolingbroke, Fielding, etc...
NATION : bien plus récent, et surtout longtemps neutre, sans
charge idéologique, ni psychologique, ni sentimentale. Mêmes
emplois divergents : la « Nation juive », en reliquat des emplois
médiévaux (ex. : les « nations » étudiantes d'où le Collège des
4 Nations...) Emplois économiques au XVIIIe siècle chez les
physiocrates ou chez Forbonnais. Ex. : Mercier de la Rivière :
« commerce national » ; Forbonnais : « consommation nationale »,
« approvisionnement national », etc..
B) ÉVOLUTION
1 . Position originelle : avant 1750-1760
PATRIE : emploi lié à l'idée de « liberté » individuelle ou
collective. La Bruyère : « II n'y a point de patrie dans le despotisme».
(2) L'anglais connaît quatre formules : fatherland, (home), country, native land
(ou country), mais « patriot » depuis 1745 (Fielding : « The true patriot »). JEAN-RENÉ SURATTEAU 366
De même, chez Montesquieu : pas de patrie dans le despotisme
« oriental ». De plus en plus, la patrie est la « terre des hommes
libres » donc heureux, d'où évolution également liée à l'expansion de
l'idée de « bonheur ». De même, « patriote, patriotisme évoquent
l'amour de la terre de la liberté » (Bolingbroke). Mais surtout
Montesquieu codifie dans Y Esprit des Lois : « Dans le gouvernement
monarchique, l'État subsiste indépendamment de l'amour pour la
patrie », « l'amour de la patrie conduit à la bonté des mœurs et la
bonté des mœurs mène naturellement à l'amour de la patrie ».
NATION : Furetière : « se dit d'un grand peuple habitant une
même étendue de terre renfermée en certaines limites ou même sous
une certaine domination » (1690). Dictionnaire de l'Académie,
édition de 1694 : « une nation) est constituée par tous les habitants
d'un même État qui vivent sous les mêmes lois et usent du même
langage ». Montesquieu use 50 fois du mot « Nation » (contre
14 fois seulement du terme « patrie ») dans les « Considérations... »
(1740) dans un sens neutre.
2. Controverse entre Voltaire et Rousseau et conséquences
Pour Voltaire, la patrie n'est ni le pays natal, ni le lieu où l'on
vit, mais celui « où l'on est bien », « Patria est ubicumque bene »,
d'où la célèbre page du Dictionnaire philosophique :
« Un juif a-t-il une patrie ? S'il est né à Coimbre, c'est au milieu d'une troupe
d'ignorants absurdes qui argumenteront contre lui (...) il y est surveillé par les
Inquisiteurs qui le feront brûler s'ils savent qu'il ne mange point de lard et tout son
bien leur appartiendra. Sa patrie est donc à Coimbre ? Peut-il dire comme dans les
Horaces de Corneille « Mourir pour la patrie est un si digne sort / qu 'on briguerait en
foule une si belle mort ». Sa patrie est-elle Jérusalem ? Il a ouï dire vaguement
qu'autrefois ses ancêtres ont habité ce terrain pierreux et stérile, bordé d'un désert
abominable et que les Turcs sont maîtres aujourd'hui de ce petit pays dont ils ne tirent
d'ailleurs presque rien. Jérusalem n'est point sa patrie, il n'en a point, il n'a pas sur
terre un pied carré qui lui appartienne... ».
et :
« Un jeune garçon pâtissier qui avait été au collège et qui savait quelques phrases
de Cicéron se donnait un jour les airs d'aimer sa patrie. « Qu'entends-tu par ta
patrie ? » lui dit un voisin. « Est-ce ton four ? Est-ce le village où tu es né et que tu
n'as jamais revu ? Est-ce la rue où demeuraient ton père et ta mère qui se sont ruinés et
qui t'ont réduit à enfourner des petits pâtés pour vivre ? Est-ce l'hôtel-de-ville où tu ne
seras jamais clerc d'un quartinier ? Est-ce l'église Notre-Dame où tu n'as pas pu
parvenir à être même enfant de chœur tandis qu'un homme absurde est archevêque et
duc avec vingt mille louis de rente ? ». Le garçon ne sut que répondre ; un penseur qui
écoutait cette conversation conclut que, dans une patrie un peu étendue, il y avait
souvent plusieurs millions d'hommes qui n'avaient point de patrie ».
Et encore : ET PATRIOTISME 367 COSMOPOLITISME
Qu'est-ce donc que la patrie ? Ne serait-ce pas par hasard un bon champ dont le
possesseur logé commodément dans une maison bien tenue pourrait dire : « Ce champ
que je cultive, cette maison que j'ai bâtie sont à moi, j'y vis sous la protection des lois <

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