Durkheim et le socialisme de la chaire - article ; n°5 ; vol.26, pg 957-982

Paul-Laurent Assoun

Description

Revue française de science politique - Année 1976 - Volume 26 - Numéro 5 - Pages 957-982
DURKHEIM AND THE SOCIALISM OF THE PROFESSORAL CHAIR, by PAUL-LAURENT ASSOUN The object here, on the basis of an analysis of that known episode in Durkheim's intellectual biography — his encounter with German social theories, and particularly « the socialism of the professoral chair » — is to elucidate the underlying meaning of this encounter, to determine Durkheim's ideological and theoretical identity. By determining both the German contribution and the origin of the difference whereby the specifically Durkheimian project came into being, it will be possible to assess his method of intervention in the field of political science. This specific question serves to introduce the fundamental problem of the link between theoretical models and the theory of sociopolitical knowledge. The aim, therefore, is to contribute to the elucidation of the actual identity of current political science, the inquiry into the constitution of the « historical memory » of political science throwing a direct light on its issues and its most topical problems. [Revue française de science politique XXVI (5), octobre 1976, pp. 957-982.]
DURKHEIM ET LE SOCIALISME DE LA CHAIRE, par PAUL-LAURENT ASSOUN A partir de l'analyse de l'épisode connu de la biographie intellectuelle de Durkheim — sa rencontre avec les théories sociales allemandes, et notamment le « socialisme de la chaire » — il s'agit d'expliciter le sens profond de cette rencontre, de cerner l'identité durkheimienne, tant idéologique que théorique. En cernant à la fois l'apport allemand et la genèse de la différence par laquelle s'institue le projet spécifiquement durkheimien, on pourra apprécier son mode d'intervention dans le champ de la science politique. A travers cette question particulière, c'est le problème fondamental de l'articulation entre les modèles théoriques et la théorie de la connaissance sociopolitique qui est abordé. Il s'agit donc d'une contribution à l'élucidation de l'identité même de la science politique présente, l'enquête sur la constitution de la « mémoire historique » de la science politique éclairant directement ses enjeux et ses problèmes les plus actuels. [Revue française de science politique XXVI (5), octobre 1976, pp. 957-982.]
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: REVUE_FRANCAISE_DE_SCIENCE_POLITIQUE0
• Publié le: 01 janvier 1976
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Extrait

Monsieur Paul-Laurent Assoun
Durkheim et le socialisme de la chaire
In: Revue française de science politique, 26e année, n°5, 1976. pp. 957-982.
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Assoun Paul-Laurent. Durkheim et le socialisme de la chaire. In: Revue française de science politique, 26e année, n°5, 1976.
pp. 957-982.
doi : 10.3406/rfsp.1976.393695
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1976_num_26_5_393695Résumé
DURKHEIM ET LE SOCIALISME DE LA CHAIRE, par PAUL-LAURENT ASSOUN
A partir de l'analyse de l'épisode connu de la biographie intellectuelle de Durkheim — sa rencontre avec
les théories sociales allemandes, et notamment le « socialisme de la chaire » — il s'agit d'expliciter le
sens profond de cette rencontre, de cerner l'identité durkheimienne, tant idéologique que théorique. En
cernant à la fois l'apport allemand et la genèse de la différence par laquelle s'institue le projet
spécifiquement durkheimien, on pourra apprécier son mode d'intervention dans le champ de la science
politique. A travers cette question particulière, c'est le problème fondamental de l'articulation entre les
modèles théoriques et la théorie de la connaissance sociopolitique qui est abordé. Il s'agit donc d'une
contribution à l'élucidation de l'identité même de la science politique présente, l'enquête sur la
constitution de la « mémoire historique » de la science politique éclairant directement ses enjeux et ses
problèmes les plus actuels.
[Revue française de science politique XXVI (5), octobre 1976, pp. 957-982.]
Abstract
DURKHEIM AND THE SOCIALISM OF THE PROFESSORAL CHAIR, by PAUL-LAURENT ASSOUN
The object here, on the basis of an analysis of that known episode in Durkheim's intellectual biography
— his encounter with German social theories, and particularly « the socialism of the professoral chair »
— is to elucidate the underlying meaning of this encounter, to determine Durkheim's ideological and
theoretical identity. By determining both the German contribution and the origin of the difference
whereby the specifically Durkheimian project came into being, it will be possible to assess his method of
intervention in the field of political science. This specific question serves to introduce the fundamental
problem of the link between theoretical models and the theory of sociopolitical knowledge. The aim,
therefore, is to contribute to the elucidation of the actual identity of current political science, the inquiry
into the constitution of the « historical memory » of political science throwing a direct light on its issues
and its most topical problems.
[Revue française de science politique XXVI (5), octobre 1976, pp. 957-982.]DURKHEIM
ET LE SOCIALISME DE LA CHAIRE
PAUL-LAURENT ASSOUN
LA détermination des rapports de la pensée sociopolitique de Durk-
heim avec la doctrine des socialistes de la chaire n'a pas qu'un
intérêt érudit relevant de l'histoire des idées : elle s'avère indi
spensable à la compréhension des présupposés théoriques et du sens idéo
logique de l'entreprise durkheimienne tout entière. Dans la période déci
sive de la genèse de la Division du travail social, la découverte du
Kathedersozialismus constitue un moment déterminant. Cet épisode est
connu des spécialistes de Durkheim*. Mais il s'agit de saisir sa significa
tion précise. Il n'y a pas là une influence parmi d'autres : c'est bien
d'un modèle théorique qu'il s'agit. L'essentiel est d'évaluer et de
pondérer l'efficace de ce modèle au moment où se forge l'identité durk
heimienne. La publication des textes théoriques de base de Durkheim '
vient à point pour rappeler le rôle déterminant de ce modèle et pour ins
truire le dossier de la question.
Celle-ci a déjà une histoire, dont l'évocation préliminaire nous per
mettra de formuler le problème. Du vivant même de Durkheim, la thèse
de l'influence déterminante de l'Ecole historique allemande avait été
soutenue. Le champion en était Simon Deploige, qui, dans un article de
1907 paru dans la Revue néo-scolastique et intitulé « La genèse du
système de M. Durkheim », relevait les emprunts faits par le sociologue
♦ Voir Steve Lukes, Emile Durkheim, his life and work, an historical and critical
study, Londres, Allen Lane, 1972 ; Jean-Claude Filloux, introduction à La science sociale
et l'action, Paris, Presses universitaires de France, 1970 ; Bernard Lacroix, Béatrice Lan-
derer, « Durkheim, Sismondi et les socialistes de la chaire », L'Année sociologique, 23,
1972, pp. 159-204.
1. Textes d'Emile Durkheim présentés par Victor Karady, 3 vol., Editions de Minuit,
1975. Cf. surtout le tome I, « Eléments d'une théorie sociale ».
957 Paul-Laurent Assoun
français aux Allemands, avec une insistance qui dénotait, selon
Durkheim, une malveillante accusation de plagiat, elle-même liée à une
entreprise de dénigrement de l'Ecole sociologique. Il y réplique par deux
lettres de mise au point au directeur de la Revue 2, qui aboutissent à mi
nimiser l'importance des idées allemandes dans la genèse de sa pensée,
au profit du modèle français (comtien) et anglais (spencerien) : « Je
dois, certes, beaucoup aux Allemands, comme à Comte et à bien d'aut
res. Mais l'influence réelle que l'Allemagne a exercée sur moi est bien
différente de celle qu'il dit »3. Dans la lettre suivante, le démenti se fait
plus net : « Au fond, j'ai plutôt de l'éloignement pour le socialisme de
la chaire... »4. Le ton montera encore lorsque Deploige accentuera son
diagnostic dans un ouvrage paru en 1911, Le conflit de la morale et de
la sociologie. Cette fois, Durkheim, dans un article de L'Année sociolo
gique, en 1913, parlera de « pamphlet apologétique » qui a pour but de
« discréditer nos idées » 5, en présentant « nos conceptions comme le
produit d'une importation germanique », ce qui aboutit à présenter une
« genèse systématiquement tronquée » de la pensée durkheimienne. Avec
l'escalade polémique, la part germanique dans le patrimoine des idées
durkheimiennes semble fondre. L'inspiration germanique est devenue,
d'après le discours de Durkheim, une accusation, dont il cherche à s'i
nnocenter.
La violence de la dénégation est un symptôme de l'importance des
enjeux. Au-delà de cette polémique, mais mis sur la voie par son âpreté
même, nous devons réouvrir le dossier. Il s'agit de poursuivre le discours
de Durkheim là où il s'arrête : là où, ayant protesté que « l'influence
réelle que l'Allemagne a exercé sur (lui) est bien différente » de la ver
sion accréditée par Deploige, il se tait. En quoi consiste donc cette « i
nfluence réelle » ? Nous prendrons pour révélateur le rôle des socialistes
de la chaire, sur lesquels la dénégation ultérieure a été, non fortuit
ement, la plus forte. C'est ce contraste entre la première parole de Durk
heim sur le Kathedersozialismus (celle de la fin des années 1880) et la
dernière (celle des années 1907-1913) qui anticipe l'importance de l'enjeu
que notre étude se propose de développer.
Mais la réactualisation de cette enquête est portée par un intérêt
théorique actuel — entendons : qui concerne le présent théorique de la
2. Lettres datées du 27 octobre et du 8 novembre 1907.
3. Textes, 1. 1, p. 402, post-scriptum.
4. Op. cit., p. 404.
5. Op. cit., p. 405.
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science politique et sociologique. Au moment où le modèle durkheimien
est pensé comme à nouveaux frais, au où s'affirme une sorte de
« retour à Durkheim » qui est une redécouverte et un nouveau question
nement, au moment où l'identité théorique de Durkheim se problématise
à nouveau, elle qui semblait si bien adjugée comme valeur stable de la
pensée sociopolitique, ce sont les conditions mêmes de l'usage du modèle
durkheimien qui trouvent un intérêt à cette elucidation.
Or un fait est révélateur dans l'usage consacré du modèle durkhei
mien : son insertion « naturelle » dans la trilogie sacrée des « fonda
teurs » Marx-Durkheim-Weber. La rationalité sociopolitique se déploier
ait de