Entre médecine et société - article ; n°1 ; vol.66, pg 21-39
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Description

Communications - Année 1998 - Volume 66 - Numéro 1 - Pages 21-39
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 39
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mr Patrice Bourdelais
Entre médecine et société
In: Communications, 66, 1998. pp. 21-39.
Citer ce document / Cite this document :
Bourdelais Patrice. Entre médecine et société. In: Communications, 66, 1998. pp. 21-39.
doi : 10.3406/comm.1998.2001
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1998_num_66_1_2001Patrice Bourdelais
La construction de la notion de contagion
entre médecine et société
En octobre 1347, Gênes ferme son port à ses galères rentrant de Crimée
et précédées par une terrible rumeur : elles auraient déclenché de très
violentes épidémies dans les ports où elles relâchaient (Constantinople,
Trébizonde, Messine et la Sicile). Tentant une belle opération commerci
ale, Marseille les accueille. On connaît la suite1. Pourtant, à la même
époque, les explications avancées par les médecins n'envisagent pas,
conformément à la tradition, la possibilité d'une contagion directe, mais
plutôt l'importance de la corruption de l'air. La doctrine aériste représente
alors la plus achevée des tentatives du corps médical pour rationaliser
cette monstruosité qu'était la peste et pour ramener le caractère d'excep
tion du monstrum à un paradigme à la fois météorologique, épidémiolo-
gique et « pneumologique » 2. Mais l'Italie des cités invente alors la qua
rantaine, les cordons sanitaires et le lazaret, importé de Pérouse à Venise.
Un demi-millénaire plus tard ou presque, en avril 1832, certains maires
de communes du département français de la Moselle en interdisent l'accès
aux individus susceptibles d'être atteints du choléra., Les villageois se
mobilisent parfois, les armes à la main, afin de barrer la route à ceux qui
viennent des régions suspectes. La même année, Bouillaud publie son
Traité pratique, théorique et statistique du choléra morbus de Paris, dans
lequel on peut lire : « le système de la contagion [se réduit] à des croyances
sans preuves, à des allégations qui ne sont pas plus conformes aux lois
de la saine raison qu'aux faits fournis par la plus exacte observation. C'est
là, si l'on peut parler ainsi, une de ces superstitions scientifiques, avec
lesquelles il faut espérer que nous ne tarderons pas en à finir3 ».
Les exemples de réactions des populations et des autorités afin de se
protéger des épidémies sont particulièrement nombreux, à toutes les épo
ques et sur tous les continents. L'opposition entre les attitudes populaires
et celles des savants pourrait être développée, car ces dernières inspirent
progressivement les mesures prises par les autorités à l'encontre de
21 Bourdelais Patrice
l'ensemble des administrés. L'apport de l'historien dans ce cas se résu
merait en quelques propositions :
- depuis toujours, l'expérience des populations leur a appris que le
meilleur moyen de se protéger contre une épidémie était de fuir le plus
vite possible et le plus loin possible, en accord sur ce point avec le célèbre
aphorisme de Galien : « Cito, longe, tarde » ;
- pendant longtemps le système d'explication fourni a été d'ordre co
smologique chez les savants, plutôt de l'ordre du complot par empoison
nement dans la population ;
- les autorités tentent néanmoins de prendre des mesures de protection
physique afin d'éviter les importations du mal, mais elles peuvent aussi
utiliser la maladie.
Le premier cas très connu concerne la peste noire. Pour qu'elle fût
importée de la Méditerranée orientale vers les rivages de l'Europe du Sud,
que s'était-il donc passé en mer Noire ? L'un des premiers exemples de
guerre bactériologique y est avéré : les relations étaient tendues entre les
comptoirs génois dé Crimée et les Tatars, si bien qu'en 1347 le khan
Djanibek assiégea le comptoir de Caffa ; afin d'accélérer la reddition de
la ville, il fit catapulter des cadavres de pestiférés au-delà des remparts.
Les Génois tinrent bon, mais leurs galères emportèrent la peste dans leurs
flancs vers Constantinople, puis vers Messine, à la fin septembre 1347.
Même si l'on n'impute pas alors l'expansion de la maladie à un germe,
mais plutôt à une mauvaise conjonction des planètes (avis des maîtres de
la Sorbonne), ou encore à un complot des lépreux et des Juifs — qui
auraient par exemple tenté d'empoisonner la population d'Aquitaine dès
1320, lorsque la lèpre y progressait... —, Guy de Chauliac, le célèbre
médecin du pape Clément VI, réussit à convaincre ce dernier d'éviter les
rassemblements (par exemple les processions) et d'isoler les malades.
L'avis du médecin aboutit ici à la prise de mesures de police sanitaire. A
l'issue de l'épidémie, le roi Jean le Bon promulgue, quant à lui, le premier
édit sur l'hygiène publique s'appliquant à un Etat entier : il y prescrit en
particulier le nettoyage des rues s'il y a menace d'épidémie. De nombreus
es villes, en particulier italiennes, adoptent aussi des « règlements de
peste » 4.
Jusqu'au début du XIXe siècle, il n'y a finalement pas de distinction
stricte entre la contamination, l'infection et la contagion, en dépit des
travaux de Fracastor (1478-1553) sur la contagion de la syphilis et de
sa description extraordinairement intuitive des germes infravisibles
« ayant la faculté de se multiplier et de se propager rapidement ». La
question que j'aborderai ici se fait désormais plus précise : comment, à
deux moments historiques particuliers du fait de l'évolution des théories
médicales mais aussi du contexte politique, au début puis à la fin du
22 Entre médecine et société
XIXe siècle, se construit l'opposition entre l'infection et la contagion ; puis
quels sont ses réarrangements au cours du siècle en fonction du progrès
des connaissances et du contexte historique ?
La nouvelle donne médicale.
A la fin du XVlir siècle, la naissance de la clinique est accompagnée
d'une médecine de l'environnement5. Ce néo-hippocratisme établit des
rapports étroits et directs entre l'homme malade, la nature et la société.
Si bien que changer de milieu - d'air par exemple -, c'est véritablement
guérir et non seulement aider à la guérison. Ainsi naissent la notion de
« constitution médicale » et la pratique fort répandue de la rédaction des
« topographies médicales ». Tous les médecins néo-hippocratiques croient
alors en l'aérisme 6. Les affections et la contamination se produiraient par
l'air plus que par l'eau. Poussières et pollens ont désormais un rôle très
néfaste : vers 1800, l'ensemble des poussières suspendues dans l'air est
appelé contage, car il est fortement suspecté d'effectuer la contamination.
Il s'agit d'un contexte intellectuel évidemment favorable à la notion
d'infection, qui paraît de plus en plus se substituer à celle de contagion
dans les années 1820 et 1830. Même si cette dernière n'est cependant
pas totalement remplacée par la première, contrairement à ce que soute
nait Ackerknecht, on ne peut nier qu'un changement dans la façon. de
penser les épidémies s'opère alors.
L'origine médicale de la théorie de la contagion, les écrits de Fracastor,
ne, plaide guère en faveur de sa scientificité aux yeux de la médecine
physiologique de Broussais, qui combat cette doctrine, parce qu'elle impli
que un statut de la maladie dépassé : le mal, sorte de maladie-démon qui
prendrait possession du corps, serait un être et appartiendrait donc à la
nature, idée qui va à l'encontre des thèses de l'école physiologiste 7. Pour
celle-ci, les affections aiguës, quelles qu'elles soient, proviennent de la
gastro-entérite. Il est important d'en déterminer le trouble primitif, qui
se trouve dans le registre de la médecine néo-hippocratique : vicissitudes
atmosphériques, mais aussi insalubrité des lieux et dégradation des corps
(sorte d'alliance entre Sydenham et Villermé). Le fond de l'épidémie est
son foyer, qu'il convient sur le plan collectif de neutraliser en le désin<

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