Féminité et contre-utopie - article ; n°1 ; vol.47, pg 87-100
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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1993 - Volume 47 - Numéro 1 - Pages 87-100
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 33
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Pierre Picot
Féminité et contre-utopie
In: Les Cahiers du GRIF, N. 47, 1993. Misogynies. pp. 87-100.
Citer ce document / Cite this document :
Picot Jean-Pierre. Féminité et contre-utopie. In: Les Cahiers du GRIF, N. 47, 1993. Misogynies. pp. 87-100.
doi : 10.3406/grif.1993.1874
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1993_num_47_1_1874Féminité et contre-utopie
Jean-Pierre Picot
S'agissant d'expliciter le titre de cet exposé, on nous permettra de nous dispenser
de définir ce qu'est la féminité ; en revanche, le terme de contre-utopie, qui fait
référence à un genre littéraire très spécifique, nécessite quelques éclaircissements '.
Le fait est que le récit de contre-utopie, illustré par ces auteurs canoniques que sont
Verne, Wells, Zamiatine, Jack London, Huxley, Orwell, Bradbury, Stanislas Lem,
n'est pas toujours aisé à distinguer d'avec la science-fiction proprement dite.
Pour une definition de la contre-utopie
Nous prenons donc le risque de proposer, sous notre responsabilité, la tentative
de définition suivante :
« Le roman de contre-utopie est un texte de fiction constitué d'un cadre descript
if, implicite ou explicite, mettant en scène une société future, présentée comme
vraisemblable mais non nécessairement probable, gouvernée par un pouvoir de type
totalitaire, lequel s'appuie soit sur la violence despotique, soit sur des procédés futu
ristes de surveillance panoptique, soit sur l'endoctrinement idéologique, soit sur des
méthodes "scientifiques" de conditionnement hypnotique, chimique 2 ou biolo
gique ; quels que soient les piliers de ce pouvoir totalitaire, le résultat conduit à
deux sortes de sociétés contre-utopiques antinomiques, de type soft ou de type
hard.
À l'intérieur de ce cadre descriptif, le roman de contre-utopie développe une dié-
gèse du type * cheville ronde dans un trou carré », pour reprendre l'expression de
Huxley 3 : en d'autres termes, l'histoire d'un ou de plusieurs personnages soumis à
cette société, qui prennent conscience de son caractère inhumain, et se révoltent ;
ou bien d'un intrus, voyageur du temps ou de l'espace, qui vient jeter sur ce monde
un regard autre et qui tente de le changer. En règle générale, mais non absolue, ces
entreprises de révolte sont vouées à l'échec. .
Le roman de contre-utopie est donc une réflexion sur l'aptitude de l'humanité, ou
d'une fraction de l'humanité, à gouverner, à bloquer ou à remettre en route sa propre
histoire. C'est dire que l'historique du genre, au travers des quelques textes de notre
corpus, est étroitement solidaire de l'histoire mondiale des xixe et XXe siècles, des 87 antagonismes idéologiques et des affrontements guerriers, voire des grandes peurs
écologiques de ces dernières décennies ; c'est dire aussi, faut-il le souligner, que
l'une et l'autre moitié de l'humanité, et tout autant l'autre que l'une, sont concernées
chacune dans leur spécificité propre de victime consentante ou forcée du système
contre-utopique.
Ainsi cet exposé pourrait-il s'intituler, plus explicitement : « De la misogynie
comme dimension essentielle du pouvoir contre-utopique ». Il ne s'agit pas ici, ou
pas encore, de déterminer si tout totalitaire contre-utopique est nécessaire
ment du genre masculin, mais bien plutôt d'étudier en quoi la féminité apparaît,
dans tel ou tel récit, comme la menace virtuelle la plus obstinée que ce pouvoir ait
à redouter, et, par conséquent, comme l'entité qu'il convient, prioritairement, de
mettre hors d'état de nuire à l'ordre établi.
En d'autres termes, dès lors que le fantasme fondamental du pouvoir contre-uto
pique est d'arrêter, de figer, de geler l'Histoire, de la remplacer par une stabilité
toujours présente, par une identité pérenne et auto-idolâtre 4, dès lors, il s'agit de
s'en prendre prioritairement à celles que Jean Giraudoux, dans son Electre, nomme
des « femmes à histoires », à qui font des histoires, à celles qui font l'His
toire, la mettent ou la remettent en marche.
Wells et les premières dépossessions
Commençons donc par le grand ancêtre, Herbert George Wells. Wells qui,
s'agissant du sujet de ce colloque, a payé de sa personne dès le début de ce siècle :
ayant écrit dans les années 1890 quelques-uns des chefs-d'uvre absolus de la litt
érature d'anticipation, il renoncera vite à cette voie sous la pression de son public
féminin, pour consacrer sa plume à la défense et à l'illustration des mouvements
féministes (les suffragettes) et socialistes.
1898. When the Sleeper wakes. Histoire d'un homme, nommé Graham, à tel
point frappé d'insomnie chronique que, lorsqu'il s'endort enfin, son sommeil va
durer deux siècles. Entre temps, il est à son corps défendant devenu le propriétaire
de la planète, sa fortune placée en banque n'ayant cessé de fructifier de manière
exponentielle. Il est aussi devenu l'objet d'une vénération quasi religieuse, et son
réveil ne va pas sans poser de sérieux problèmes à ceux qui gouvernaient en son
nom.
Le Londres que visite Graham, désireux de s'informer des changements surve
nus en deux siècles, lui réserve bien des surprises. L'infantilisation, sinon la dégé
nérescence de l'humanité future, sont en bonne voie : entre autres, la maternité a été
pour ainsi dire abolie, les mères se contentant de mettre au monde des enfants qui
88 sont intégralement pris en charge par des crèches robotisées : Le système de crèches avait presque entièrement remplacé les
risques aventureux de l'antique nourrice. Le médecin qui
accompagnait Graham attira aussitôt son attention sur les
« nourricières », perspective de personnages mécaniques, avec
bras, épaules et poitrine, dont le modelé, les articulations et la
substance étaient d'un réalisme étonnant, mais consistaient seu
lement en un buste sur un trépied, avec, au lieu de visage, un
disque plat couvert de réclames intéressant les mères 5.
Même si George Orwell écrira plus tard de Wells qu'« il était trop censé pour
comprendre le monde moderne 6 », il est cependant aisé de constater quelle est la
dette d'un Huxley à l'égard de ce beau roman trop méconnu. Et déjà, les « femmes
aisées », chez Wells, « ne prennent pas grand intérêt à la politique, sauf quelques
unes, par ici, par là7 ». Quant aux hommes, ils « avaient généralement comme coif
fure une masse de boucles efféminées, le menton toujours rasé, et souvent les joues
fardées ou même coloriées 8 ».
C'est ici le premier jalon d'une dépossession, qui se vêt des oripeaux de la scien-
tificité pour dépouiller les femmes de ce monde-là de la maternité ; de cette mater
nité que tant de mâles maternés perçoivent encore comme une intolérable
supériorité, à leur préjudice :
Le docteur démontrait, statistiquement et sans contexte, qu'au
xixe siècle la période la plus dangereuse pour l'enfant était celle
qu'il passait entre les bras de sa mère 9.
Mais en dépit des apparences, et conformément à la boutade d'Orwell, Wells est
un timide, qui reste sur le seuil de son siècle.
Être I ou être O : Zamiatine le fulgurant
Eugène Zamiatine, écrivain soviétique, ingénieur naval de formation a, quant à
lui, perçu très tôt à quelles « dérives » la révolution de 1917 pouvait être le prélude.
Nous Autres, écrit en 1920, interdit de publication en 1923, inaugure de manière
fulgurante et géniale la série des grands textes contre-utopiques de ce siècle.
Quarante brefs chapitres rédigés par l'ingénieur D. 503, mille ans après l'instau
ration de l'État unique, Etat que chacun, sur ordre du Bienfaiteur, est tenu de glori
fier. Société idéale, à en croire le narrateur, régie strictement par les lois
mathématiques et par les joies de la contrainte et de l'obéissance. Et quel apitoie
ment, de la part de notre diariste, quand il pense à ce qu'était la vie à notre époque :

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