Génération du récit et stratégie du sens - article ; n°1 ; vol.39, pg 102-124
24 pages
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Description

Communications - Année 1984 - Volume 39 - Numéro 1 - Pages 102-124
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jamel Eddine Bencheikh
Génération du récit et stratégie du sens
In: Communications, 39, 1984. pp. 102-124.
Citer ce document / Cite this document :
Bencheikh Jamel Eddine. Génération du récit et stratégie du sens. In: Communications, 39, 1984. pp. 102-124.
doi : 10.3406/comm.1984.1584
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1984_num_39_1_1584Jamel Eddine Bencheikh
Génération du récit et stratégie du sens
L'Histoire de Qamar Az Zamân et de Budûr 1
1. De la version au texte juxtaposition ou appel de sens ?
L'examen du tableau des éditions et traductions des Mille et Une Nuits 2
révèle que seul Mardrus exclut la dernière partie du conte, qui est consacrée aux
aventures des fils de Qamar, les princes Amjad et As'ad. L'étude de la filiation
amont de cet ensemble semble prouver par ailleurs qu'il s'inspire d'un texte
indien réparti à l'origine en trois contes indépendants :
A. Un premier relatant le mariage du prince de Malawa et de la princesse de
Handsadwipa, tel que nous le rapporte la grande compilation de Soma-
deva 3.
B. Un second relatant la séparation puis la réunion des deux époux.
C. Un troisième l'histoire de deux jumeaux Sita et Vasanta (AT
567), qui se distingue totalement des deux précédents. En somme, la version
Mardrus représenterait l'état indien A+B du conte. Les autres éditions et
traductions attesteraient, à quelques différences près, son état arabe A+B+C.
Mais il faut noter tout de suite que cet état conserve les traces de la découpe
indienne du récit sous forme de l'ordre donné par un souverain de mettre par
écrit l'histoire qui vient de lui être contée. Cette formule indique toujours dans
les Nuits soit une conclusion, soit une pause 4.
Nous la retrouvons à deux reprises :
1. A la fin de la 234e Nuit (A., 1/549), lorsque le roi Ghayûr constate que sa
fille Budûr est guérie depuis qu'elle a retrouvé Qamar, il s'écrie : « II faut que
votre histoire soit écrite dans les livres et qu'elle soit lue après vous par les
générations qui se suivront. » Boulaq ne mentionne pas cet ordre (11/15,
fin 205e N.) ; par contre Mardrus (1/579, fin 205e N.) et Galland (H/188,
milieu 222e N.) le traduisent. Nous avons donc là une trace de la fin du conte
indien A.
2. Lorsque Qamar et Budûr se retrouvent une seconde fois, Armanus
ordonne qu'on écrive leur histoire en lettres d'or. Aussi bien Boulaq (11/27, fin
de la 217e N.), Awda (1/569, fin de la 247e N.) que Mardrus (T/603, 235e N.)
mentionnent cet ordre, alors que Galland, qui altère considérablement le
déroulement des retrouvailles en censurant leur mise en scène erotique, l'omet.
Nous avons ici la trace d'une pause qui correspondrait à la fin du conte
indien B.
Si la mise bout à bout, dans le texte arabe, de A et B ne pose aucun problème,
il n'en est pas de même de l'adjonction à cet ensemble de C, c'est-à-dire de
l'histoire des princes Amjad et As'ad, non retenue par Mardrus ou son
manuscrit. Car il s'agit d'un raccordement à première vue étonnant : A+B
s'achevait par l'union de deux êtres qu'une volonté irréductible avait réunis, C
prononce leur séparation. Par quel appel de l'un à l'autre cet enchaînement de
102 Génération du récit et stratégie du sens
deux contes a-t-il pu se réaliser ? ou pour quel affrontement et quel enjeu ?
Car il ne s'agit pas pour nous d'un problème d'établissement d'une version,
mais de l'analyse des mécanismes profonds qui l'ont générée. On peut certes
nous faire remarquer que nous construisons notre étude sur un texte qui
pourrait après tout être le résultat d'une manipulation et d'un artifice de
conteur ou de copiste.
Cette objection ne nous semble pas fondée, pour deux raisons. Les disposi
tions prises pour réaccorder les deux parties originellement séparées sont trop
minutieuses être dues à un hasard. Nous maintiendrons que le texte arabe
les a groupées sous un appel de signification.
Il faut admettre, d'autre part, qu'un conte est un organisme vivant dont la
force de création et de renouvellement ne s'épuise pratiquement jamais. Nous
sommes de nouveau placés ici devant le problème de liberté et de finalité que
nous soulevions dans notre article consacré à Nûr et Shams. La présente étude
se situant dans l'exact prolongement de la précédente, nous sommes contraint
de nous citer très longuement afin que le lecteur non arabisant 5 puisse saisir le
sens de notre marche.
Nous écrivions à propos de la créativité d'un texte, c'est-à-dire la poss
ibilité d'une parole assignée à un discours de s'ouvrir à une signification
nouvelle : « il semble bien que le genre le moins régi par des règles, le moins
soumis à la sanction définitive de l'écriture, le plus livré donc aux aléas de la
mémoire mais, par conséquent, le plus libre d'adhérer aux inventions de
l'imagination, il semble bien que ce genre soit celui qui s'impose le plus d'être
au service de projets et d'en présenter l'expression une fois pour toutes
achevée.
« Problème de créativité encore lorsqu'il faut parler du pouvoir propre dont
dispose le conteur. Il s'avère qu'ici le conte, en son dessein profond, est
irréductible à toute entreprise de détournement. Ce que l'on appelle trop
vulgairement, et en s'émerveillant, la faculté imaginative des conteurs se réduit
à une utilisation maximale des possibilités qu'offre le conte de développer tel
point, d'insister sur tel trait, de multiplier les effets de dramatisation, d'allonger
les boucles ou d'imposer une lecture. Possibilités évidemment importantes et
qui ont pu donner le change. Mais à trop s'émerveiller sur les variétés d'un
habillage, on a fini par croire qu'ainsi s'imaginait un autre corps. Seul le
schéma générateur est porteur de l'imagination qui le crée. Il est cette
imagination. Il est cette force que s'est choisie l'un des traits qui configurent
notre conscience immergée. Dès l'aube de notre humanité, le désir a été de faire
surgir ces choses enfouies. Le conte est une pulsion instinctive et la nostalgie
absolue d'une parole dramatiquement attachée à dire ce qui n'est plus vécu, à
dire ce qui n'a jamais été vécu. Il n'y a pas d'autre imagination que cette
mémoire d'une parole de l'avant-vivre, ce seul lieu où tout est encore possible
parce que déjà tout a été décidé. Echo dans le son qui l'a produit. Espace en tout
sens parcouru sans que rien s'oppose au franchissement. Expérience qui se
dissocie de toutes expériences et qui, par conséquent, ne saurait être remise à
aucun expérimentateur. L'imagination du conteur est une imagination de
bribes. Celle du conte est seule capable de s'être imaginée elle-même. Tous les
mécanismes qu'elle met en branle rendent vaine une ingérence, et ne fent que
prouver son caractère d'absolu.
« Le problème de la liberté textuelle face à la finalité du conte ne pourra être
abordé convenablement que lorsque nous disposerons d'un généré par le
103 Jamel Eddine Bencheikh
dérèglement du fonctionnement d'un autre conte. Il ne s'agit pas du tout
d'établir entre eux deux des rapports de filiation ou de dérivation. Cela a été fait
à plusieurs reprises. Il s'agit de démontrer comment un texte a pu échapper à un
autre en perturbant le fonctionnement de ses mécanismes, en substituant une
imagination à une autre. Mais comment un texte peut-il ainsi se désancrer pour
dériver vers d'autres horizons ? Est-ce simplement affaire d'opérateur rede
venu personnage pour assurer son propre destin ? Est-ce affaire d'événement
qui, mal contrôlé, déclenche un processus imprévu ? Nous avons pu relever de
ces tentations tapies tout au long d'un itinéraire rigoureusement suivi. Mais
nous croyons que le " désir" du conte est trop puissant pour céder aux
injonctions d'une pulsion limitée.
« Alors pouvons -nous imaginer que les schémas socioculturels, et la routine
qu'ils instituent, sont en mesure d'entrer en conflit avec

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