Georges Sorel, marxiste ? - article ; n°1 ; vol.2, pg 37-56
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Description

Cahiers Georges Sorel - Année 1984 - Volume 2 - Numéro 1 - Pages 37-56
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 21
Langue Français
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Extrait

Yves Guchet
Georges Sorel, marxiste ?
In: Cahiers Georges Sorel, N°2, 1984. pp. 37-56.
Citer ce document / Cite this document :
Guchet Yves. Georges Sorel, marxiste ?. In: Cahiers Georges Sorel, N°2, 1984. pp. 37-56.
doi : 10.3406/mcm.1984.884
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_0755-8287_1984_num_2_1_884Georges Sorel, marxiste ?
YVES GUCHET
II y a quelques années encore, poser cette question aurait pu
paraître une interrogation saugrenue. Le flirt de Sorel avec
l'Action Française, même s'il s'est agi d'un malentendu vite
reconnu, son intérêt porté à la philosophie bergsonienne et au
pragmatisme de William James, l'influence exercée par la
pensée sorélienne sur un certain nombre de syndicalistes italiens
ralliés au nationalisme au moment de la guerre de Libye, enfin
l'attrait avoué par Mussolini (encore que l'on ne sache pas très
bien dans quelles circonstances) pour la violence sorélienne,
semblait rendre vaine toute recherche sur le rapport de Sorel
à la théorie de Marx. D'autant plus qu'il avait été un jour
qualifié par Lénine de « professeur de confusion » et que
Lukâcs, dans sa période stalinienne, l'avait proprement exécuté
en parlant des « composantes bourgeoises idéalistes et réaction
naires » de sa pensée l. Althusser lui-même, s'interfogeant sur
la faiblesse théorique du marxisme français, traite Sorel comme
quantité négligeable 2.
1. La Destruction de la raison, Paris, l'Arche, 1958, t. I, p. 30.
2. « De fait hormis les utopistes Saint-Simon et Fourier que
Marx aime tant à évoquer, hormis Proudhon qui n'était pas
marxiste et Jaurès qui l'était peu où sont nos théoriciens ?
L'Allemagne a eu Marx et Engels et le premier Kautsky; la
Pologne, Rosa Luxemburg ; la Russie, Plekhanov, Lénine ; L'Italie,
Labriola qui (quand nous avions Sorel), correspondait d'égal à
égal avec Engels, puis Gramsci. » Pour Marx, Paris, Maspero,
1966, pp. 13-14.
37 Lorsqu'il était traité avec plus de considération, l'analyse ne
se révélait pas toujours d'une pertinence exemplaire dans la
mesure où son rapport au marxisme était apprécié en fonction
du révisionnisme. C'est ainsi que dans le livre qu'il a consacré
à Sorel, Pierre Andreu écrit : « En 1898, Sorel est bernstei-
nien > a. Or, si effectivement il approuva certaines conclusions
révisionnistes relatives à l'évolution du capitalisme, l'analyse
qu'il fait ne consiste nullement à déplorer le décalage qui
pourrait apparaître entre la théorie de Marx et l'évolution du
capitalisme. La critique est d'ordre théorique, et doit beaucoup
plus aux travaux de Benedetto Croce qu'à Bernstein.
L'historien anglais Cole ne s'embarrasse pas non plus de
subtilités. « For a number of years he wrote as a socialist, and
did not dissociate himself from the main trend of marxist
thought » 4. Ce qui laisse entendre que Sorel a été marxiste à
une certaine période et ultérieurement cessé de l'être. Mais
à partir de quand ? De la publication de Y Avenir socialiste des
syndicats (1898), ce que semble suggérer Cole conforté en cela
par une donnée d'ordre chronologique : la cessation de la
collaboration de Sorel à deux revues marxistes, YEre nouvelle et
le Devenir Social5. Mais alors devrait-t-on considérer la lutte
des classes qui constitue le fil conducteur des Réflexions sur la
violence comme étrangère à toute influence de Marx?
Plus récemment, Daniel Lindenberg fait de Sorel un marxiste
dans le « désert français » du marxisme théorique e. Il s'appuie
pour cela sur une citation tirée de « Mes raisons du syndica
lisme », texte publié par Sorel en 1910 et intégré ultérieurement
dans les Matériaux d'une théorie du prolétariat : « J'étais
persuadé en 1894 que les socialistes soucieux de l'avenir
devaient travailler à approfondir le marxisme... ». Malheureu-
3. Notre maître M. Sorel, Paris, Grasset, 1953, p. 116. Lukács
affirmera la même chose, la connotation péjorative en plus : « Les
convictions de Sorel sont typiques de l'intellectuel petit-bourgeois.
Tant sur le plan de l'économie que sur le plan philosophique,
il accepte la révision de Marx par Bernstein. » (Op. cit., p. 30.)
4. G.D.H. Cole, Socialist Thought. The Second International
(1889-1914), t. I, Londres, Mac Millan, p. 383.
5. Pour cause de mésentente avec Laf argue que Sorel consi
dérait comme étranger à toute intelligence de la pensée de
Marx. Il écrira à Benedetto Croce le 14 janvier 1896 : «Je me
doutais bien en lisant ce que disait M. Lafargue des Pères de
l'Eglise, de la philosophie juive, que son mémoire était l'œuvre
d'un homme incompétent; mais je ne croyais qu'il fût aussi
incompétent que vous l'établissez d'une manière si irréfutable. »
La Critica, XXV, 1927, p. 39.
6. Le Marxisme introuvable, Paris, Calmann Lévy, 1975, p. 107 sq.
38 Lindenberg omet de citer quelques lignes qui viennent sèment,
en complément de cette phrase et qui éclairent la signification
de cet effort d'approfondissement de la pensée de Marx. II
s'agit pour Sorel de doter le prolétariat d'une idéologie destinée
à l'action. « Je ne suis pas de ceux qui pensent que les transfor
mations du monde doivent être des applications de théories,
fabriquées par des philosophes ; mais il me semble que si l'on
réfléchit un peu sur l'histoire moderne on reconnaît facilement
la vérité du principe suivant ; une révolution ne produit des
changements profonds, durables et glorieux, que si elle est
accompagnée d'une idéologie dont la valeur philosophique soit
proportionnée à l'importance matérielle des bouleversements
accomplis. Cette donne aux acteurs du drame la
confiance qui leur est nécessaire pour vaincre. Elle élève une
barrière contre les tentatives de réaction que des juristes et des
historiens préoccupés de restaurer les traditions rompues vien
dront préconiser ; enfin elle servira à justifier plus tard la
révolution qui apparaîtra grâce à elle comme une victoire de la
raison réalisée dans l'histoire » 7.
La théorie de Marx et son « approfondissement » sorélien
apparaissent ainsi comme l'arme essentielle de la révolution, le
mythe qui animera le prolétariat. Ce texte aurait pu permettre
à Lindenberg de ne pas se borner à faire de Sorel un connaisseur
exemplaire de la pensée de Marx, face aux vulgarisateurs du
genre Deville et Lafargue, et de voir que la fonction assignée à
la pensée de Marx est tout autre que celle d'un schéma explicatif
du devenir de la société capitaliste. Ce point essentiel, absent
de l'introduction donnée à la publication de morceaux choisis de
Sorel par Larry Portis 8, qui parle de l'analyse rigoureuse et
juste du marxisme (!), a au contraire été magistralement mis en
lumière par Gregorio de Paola dans le second volume de la
Storia del marxismo 9.
Ces incertitudes relatives à la pensée de Sorel peuvent s'ex
pliquer pour une raison simple à saisir. Sorel s'est exprimé le
plus souvent sans aucun souci didactique et de manière parfois
obscure. Il en a d'ailleurs été parfaitement conscient, ainsi qu'en
témoigne un bref passage de la lettre à Daniel Halevy qui sert
d'introduction à l'édition en volume des Réflexions sur la
violence, publiées en 1906 dans le Mouvement socialiste. Sorel
7. Paris, Rivière, 1929, p. 249-250 (souligné par V. G.).
8. Georges Sorel, Présentation et textes choisis, Paris, Maspero,
1982.
9. « Sorel, dalla rnetafisica al mito », in : Storia del
marxismo, vol. H, Turin, Einaudi, 1979, pp. 661-692.
39 rappelle « qu'on lui a reproché de ne pas respecter les règles de
l'art, auxquelles se soumettent tous nos contemporains et de
gêner ainsi mes lecteurs par le désordre de mes expositions » 10.
Il y est même question du « vice incorrigible » de ses écrits.
Toutefois ce défaut aurait plutôt tendance à lui apparaître
comme une qualité car les fameuses règles de l'art liées aux
nécessités de l'exposition scolaire

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