Histoires locales, histoire globale - article ; n°1 ; vol.41, pg 219-231
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Description

Communications - Année 1985 - Volume 41 - Numéro 1 - Pages 219-231
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1985
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Chaunu
Edgar Morin
Histoires locales, histoire globale
In: Communications, 41, 1985. pp. 219-231.
Citer ce document / Cite this document :
Chaunu Pierre, Morin Edgar. Histoires locales, histoire globale. In: Communications, 41, 1985. pp. 219-231.
doi : 10.3406/comm.1985.1618
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1985_num_41_1_1618Pierre Chaunu/Edgar Marin
Histoires locales, histoire globale *
EDGAR Morin : Une chose m'a beaucoup frappé quand je faisais mes
études de géographie : je participais aux excursions du professeur
Faucher à Toulouse, et là j'ai découvert que lire un paysage, c'était lire
du temps. La est plus historisée que l'histoire puisqu'elle
traite de centaines, de milliers et de millions d'années, et bien comprend
re un paysage, c'est accéder à un temps formidable : des soulèvements,
des érosions, des glaciations. Cette géographie, en fait, est une science du
temps, et d'autre part l'histoire est inséparablement une de
l'espace. Civilisations, cités, nations, empires sont territorialisés, et leur
histoire est celle de leur implantation, extension, réduction puis élimi
nation de l'espace.
La deuxième chose à souligner, c'est la position spatio-temporelle de
l'historien. Ce dernier se situe dans un temps différent de celui qu'il
étudie, et malgré tout c'est son présent, sou hic et nunc, qui va l'aider à
interpréter ce passé. Souvent, il travaille sur le même espace que le sien.
Mais, de plus en plus, des historiens nous viennent d'un autre espace,
comme le montrent les vagues de chercheurs des Etats-Unis qui font
l'histoire de l'Europe, lis font l'histoire de Florence, de la Révolution
française, et se comportent un peu comme des anthropologues.
PlERRE ChaL'NU : Ce fut un peu mon cas. au départ. Je suis parti pour
Seville en 1947. A cette époque, nous sonunes hantés par l'idée qu'il y a
une corrélation entre la crise de 1929 et la guerre que nous venons de
connaître. Je suis fasciné par les théories de Simiand et. avec l'aide de
Braudel. après être tombé sur la page 43 de Hamilton **. je me dis : il y
a un certain nombre de grandes cassures dans le temps, de grandes
flexions ; il y en a une qu'on comprend très mal. c'est celle qui est au
début du XVII'" siècle ; si on arrive à comprendre ces flexions antérieures,
peut-être aura-t-on plus de prise sur celles qui risquent de se produire ;
peut-on faire quelque chose pour éviter que cela recommence ?
* Entretien réalisé en octobre ll)84.
** American Treasure and Price Revolution in Spain ( 1501-1650). Harvard.
Cambridge (Mass.) 19.'H.
219 Pierre Chaunu/Edgar Morin
Hamilton. Braudel et moi (le petit-fils en quelque sorte), nous partons
sur l'hypothèse suivante, qui va se révéler fausse : il y aurait eu. au
début du XVir. une sorte de phénomène de compensation entre le
Pacifique et l'Atlantique. Nous voulions vérifier l'idée, formulée dès
1637, que. si le système commercial s'était effondré dans l'Atlantique,
c'est qu'il avait été capté par le Pacifique, les Chinois tirant vers eux
l'argent de l'Amérique et provoquant ainsi la panne dans l'Atlanti
que.
Je vais donc en Espagne pour essayer d'établir les séries statistiques, je
patauge pendant plusieurs mois, puis je comprends comment sont faites
ces comptabilités (en chiffres romains), et j'établis une courbe qui
contredit pleinement l'hypothèse : la corrélation entre le Pacifique et
l'Atlantique est une corrélation positive et non négative. Les causes sont
ailleurs et je tombe sur cette évidence : la chute de la population des
Indiens fut beaucoup plus importante que les historiens ne le préten
dent. Les ordres de grandeur sont ceux que donnait Las Casas, et c'est
cette énorme chute qui a mis cette économie en panne. Elle a perdu ses
dominés, et finalement j'aboutis au système que j'ai construit dans les
années 1955-1960.
Je suis donc d'entrée de jeu un historien déspatialisé. Je suis parti, et
j'insiste bien là-dessus, pour résoudre un problème : celui de comprend
re le passage, dans le modèle de Simiand. des phases A aux phases B. et
je voulais par conséquent agrandir le champ de l'observation. Sur 1929.
les économistes avaient beaucoup écrit. 1873. il me semblait que c'était
assez bien éclairé, et 1815-1817 également. Mais sur cette crise du
début du XVir on ne savait pratiquement rien, juste qu'il y avait eu un
changement de climat économique. On est donc parti sur une hypothèse
qui s'est révélée fausse, mais qui n'était pas absurde a priori , celle d'une
grande compensation planétaire.
Je suis allé à Seville parce que c'était là que devaient se trouver les
documents : on savait, qu'on était suffisamment historien, qu'é
tant donné le fonctionnement administratif de l'Empire espagnol, de
grandes comptabilités avaient existé et qu'elles étaient là-bas, notam
ment quelque chose qui s'appelait la contaduria. J'avais l'espoir
d'apporter une modeste contribution à une meilleure explication des
grandes crises, d'être l'humble artisan qui pourrait permettre aux
économistes d'être plus efficaces.
Une fois le problème résolu, cela ne m'intéresse plus. Je suis
absolument incapable de passer ma vie à penser la même chose.
D'ailleurs, nous nous ressemblons un peu là-dessus. Nous ne ferons
peut-être jamais de grandes découvertes, car on prétend que, si Watt a
amélioré la machine de Newcomen. c'est parce qu'il n'a pensé qu'à ça
pendant quarante ans.
Ensuite, j'ai fait un retour sur l'Europe, et c'est là que je me suis
passionné pour la démographie historique : je voulais comprendre les
220 Histoires locales, histoire globale
crises, je viens de le dire. A l'origine, il y avait eu les Indiens, leurs
malheurs, et j'avais contribué à expliquer le collapsus. Nous avons
travaillé avec l'École de Berkeley, d'abord sans nous connaître puis en
nous rencontrant, et nous nous sommes liés d'amitié avec Woodrow
Borah. Les Américains avaient établi une courbe, mais ils ne l'expl
iquaient pas. De mon côté, j'avais leur courbe et en même temps j'avais
fait une lecture ethnobiologique des textes classiques. J'avais lu Las
Casas, j'avais lu surtout Fernandez de.Oviedo. qui raconte les faits et
fournit des clefs. Ces deux auteurs décrivent avec précision ce qui se
passe, le choc microbien et viral, le fonctionnement des viruelas et du
matlazahualu et dans le fond tout est là.
Autrement dit. j'ai fourni des explications, alors que pendant sept-
huit ans les chercheurs de Berkeley se sont fait insulter à l'américaine.
On insinuait que c'étaient des fous, que jamais il n'y avait eu dix. a
fortiori vingt-cinq millions d'habitants au Mexique. Puis il y a eu les
travaux de Sauer. qui ont montré que le Conuco, expérimentalement
reconstitué, pouvait faire vivre quatre-vingt ou cent habitants au
kilomètre carré. Et moi, de mon côté, j'ai fourni le type d'explication
biologique qui montrait que tout cela était cohérent.
En 1959-1960. il se trouve qu'un hasard de carrière me place à Caen.
On commence à faire de la démographie historique. Et. si j"ai pu
apporter quelque chose, c'est parce que je connaissais bien l'exemple des
Indiens. Quand je lisais dans Coubert. à propos des Normands : « c'est
un système démographique naturel ». je répondais : « Comment cela,
une démographie naturelle ? Les gens se marient à vingt-six ans. et
seulement quatre mois par an. Cela n'est pas du tout naturel ! » J'étais
d'ailleurs un peu aidé par Lévi-Strauss, qui m'avait fait quelques
remarques à juste titre, et j'ai contribué à vulgariser le système d'Hajnal.
à l'expliquer et à le placer dans un ensemble plus vaste, parce que j'avais
un regard d'ethnologue sur les populations européennes.
Alors, je suis quand même un drôle d'historien. Edgar Morin. je suis
un drôle de bâtard, comme vous, et d'emblée un historien déspatia-
lisé.
Edgar Morin : Je dirais plutôt trans-spatialisé. et même planétaire. Ce
qui est éton

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