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Publié par | CAHIERS_DU_CENTRE_GUSTAVE_GLOTZ |
Publié le | 01 janvier 2004 |
Nombre de lectures | 70 |
Langue | Français |
Extrait
PIERRE COSME ET PATRICE FAURE
IDENTITÉ MILITAIRE
ET AVANCEMEMENT AU CENTURIONAT
*DANS LES CASTRA PEREGRINA
Pour qui s’intéresse à la procédure de nomination au centurionat, l’inscrip-
tion CIL,VI, 3328, connue depuis longtemps mais peu étudiée jusqu’ici,
mérite un examen attentif. Cette épitaphe attire en effet l’attention par une
formule originale, précisant que le défunt — M. Orbius M[---] — est mort
cinquante et un jours avant de devenir centurion. Ce document nous a paru
aussi propice à une réflexion plus générale sur le sens des termes frumentarii et
peregrini, portés par les soldats cantonnés dans les castra peregrina, à Rome, et
dont faisait partie M. Orbius.
L’inscription se trouve aujourd’hui au musée archéologique national de
1Naples, en raison de son ancienne appartenance à la collection Borgia . Elle
2provient de Rome, mais son lieu de découverte exact est inconnu .
E. Bormann et G. Henzen l’ont intégrée dans le CILVI avec un court com-
mentaire de Th. Mommsen, mais le document avait déjà été plusieurs fois
3décrit .Très récemment, l’inscription a été incorporée, avec photographie,
4dans le catalogue des inscriptions latines du musée de Naples .
* Nous remercions vivement N. B. Rankov de nous avoir fourni les textes de deux articles
à paraître et d’avoir correspondu avec nous, ainsi que P. Le Roux, pour les discussions stimu-
lantes que nous avons échangées. Il va de soi que nous sommes seuls responsables d’éventuel-
les erreurs. Nous remercions enfin F. Zevi et la direction du musée archéologique de Naples,
qui nous ont permis d’accéder à l’inscription CIL, VI, 3328.
1 Numéro d’inventaire 2866. Sur l’histoire de cette collection épigraphique, cf.
G. Camodeca, H. Solin et alii, Catalogo delle iscrizioni latine del museo nazionale di Napoli, 1
(ILMN, 1), Naples, 2000, p. 45-54.
2 eLes premiers commentateurs, au XVIII siècle, ne donnent aucune indication sur sa prove-
nance originelle : cf. B. Passionei, Iscrizioni antiche disposte per ordine di varie classi ed illustrate con
alcune annotazioni, Lucques, 1763, p. 20, n° 16 ; S. Donato, Ad nouum thesaurum ueterum inscrip-
tionum Cl.V. Ludovici Antonii Muratorii Supplementum, 2, Lucques, 1774, p. 296, n° 3.
3 Avant le CIL, les mentions les plus importantes sont celles de G. Marini, Gli atti e monu-
menti dei fratelli arvali, 2, Rome, 1795, p. 434 (fac-similé) et notes 36, 37, 38, p. 474-476 (com-
mentaires, qui éclaircissent déjà beaucoup le sens du texte) ;Th. Mommsen, Inscriptiones regni
Neapolitani Latinae (IRNL), Leipzig, 1852, n° 6816 ; G. Fiorelli, Catalogo del museo nazionale di
Napoli. Raccolta epigrafica, II. Iscrizioni latine (CMN), Naples, 1868, n° 309. Sur les éditions anté-
rieures, cf. note précédente et CIL VI.
4 F. Nasti dans ILMN, 1, n° 78, avec photographie p. 290.
Cahiers Glotz, XV, 2004, p. 343-356344 PIERRE COSME ET PATRICE FAURE
Il s’agit d’une plaque de marbre blanc, fragmentaire, dont la partie droite est
perdue. Les dimensions de la partie conservée sont de 29 cm de haut pour
32 cm de largeur maximale. L’épaisseur de la plaque est de 3,5 cm. La partie
perdue devait représenter moins d’un tiers du monument. Les lettres de l’ins-
cription sont hautes de 1,5 à 2,2 cm selon les lignes, et l’on distingue nette-
ment les lignes de guidage utiles au travail du lapicide. Des points de sépara-
tion sont visibles entre presque tous les mots, et une palme sépare les deux
premières lettres de l’inscription. Dans l’état actuel de conservation, l’inscrip-
tion se présente ainsi :
D M
M ORBIVS M F AQVIS M[---]
SEX OPTIO MIL PEREGR M[---]
4 NIS XVII VIX AN XXXV RE[---]
HVIC DIES LI VT FIERET 7 FEC[---]
MVAL DIONYSIVS PATRO[---]
SVETONIVS TAVR VS FR[---]
8 HER FACIEND CV[---]
VAL DIONYSIVS SIB[---]
POST[---]
L’épitaphe de M. Orbius M[---] a été gravée à l’initiative de ses héritiers,
M.Valerius Dionysius et Suetonius Taurus. La lecture des lettres conservées est
certaine, mais le texte, lacunaire, appelle des compléments et commentaires.
Le défunt s’appelle Marcus Orbius, fils de Marcus, et son cognomen com-
mence par M[---]. Le début de la ligne 3 ne peut être la fin du surnom, car il
5n’existe pas de cognomen se terminant par sex .Au contraire, ce dernier doit
être associé au mot Aquis mentionné à la ligne 2, entre la filiation et le cogno-
men. Il s’agit de la patrie du défunt: Aquis Sex(tis), c’est-à-dire Aix-en-
6Provence, en Gaule Narbonnaise . L’indication de la cité d’origine en deux
parties séparées se retrouve dans d’assez nombreux documents, datant parti-
e eculièrement de la fin du II siècle et du début du III . Selon G. Forni, cet usage
épigraphique, dont on trouve de nombreux exemples dans la garnison
7urbaine, serait lié à la perte de sens de la tribu . À sa place, et pour combler
un vide, on plaçait parfois le premier élément de la patrie, alors que le second
était rejeté derrière le cognomen. Il est impossible de restituer précisément le
cognomen de M. Orbius M[---], et la proposition de Mommsen, M[arcellus ?]
5 Cf. l’index inversé de H. Solin et O. Salomies, Repertorium nominum gentilium et cognominum
2Latinorum, Hildesheim, 1994 , p. 473 et 508. Des cognomina commencent par Sex. (cf. p. 402-
403), mais il est peu probable que le surnom de M. Orbius ait été abrégé.
6 G. Marini, Atti e monumenti, cit. supra n. 3, p. 474-475, n. 37 ; puis Th. Mommsen dans CIL,
VI, 3328. Cf. aussi H.-G. Pflaum, Les fastes de la province de Narbonnaise, Paris, 1978, p. 291. On
connaît une Orbia et un Orbius sur le territoire de la cité d’Apt, en Narbonnaise : cf.CIL, XII,
1118 (ILNApt, 28) et ILNApt, 91 (AE, 1998, 894).
7 G. Forni, Le tribù romane, III, 1. Le pseudo-tribù, Rome, 1985, p. 43, et appendice C1. Pour
quelques exemples : CIL, VI, 3884 = 32526a ; AE, 1931, 91 ; RIB, 671.IDENTITÉ MILITAIRE ET AVANCEMENT AU CENTURIONAT 345
8est gratuite .Tout au plus peut-on donner, comme l’a fait F. Nasti, une estima-
9tion du nombre de lettres manquantes, peut-être de l’ordre de quatre à cinq .
Le texte précise ensuite le statut militaire du défunt : mort au poste d’optio
mil(itum) peregr(inorum) à l’âge de trente-cinq ans, M. Orbius avait auparavant
servi durant dix-sept ans. Puis vient l’indication re[stabant] huic dies LI ut fieret
(centurio), indiquant qu’il est mort cinquante et un jours avant de devenir cen-
turion. La lacune ne peut guère être restituée autrement qu’à l’aide du verbe
restare. À la fin de la ligne 5, on lit les lettres fec., qui appartiennent évidem-
ment au verbe facere, conjugué au parfait.Th. Mommsen considérait que le
défunt était le sujet du verbe. Il aurait commandé l’épitaphe dans son testa-
ment et ses héritiers se seraient chargés de son exécution matérielle. Le savant
10comprenait donc fec[it] à la ligne 5, et faciend(um) cur[auerunt] à la ligne 8 . S’il
arrive effectivement que le défunt prenne soin de sa sépulture de son vivant
(on trouve alors des formules telles que uiuus fecit, ou sibi fecit), il semble ici
préférable, avec F. Nasti, de restituer fec[erunt] à la ligne 5, en rapport avec les
11héritiers de M. Orbius . Il est évidemment très fréquent de trouver le verbe
placé avant le sujet, et la même inversion se retrouve à la fin du texte, où
Dionysius est le sujet de faciend(um) cur[auit]. M. Valerius Dionysius et
Suetonius Taurus, tous deux héritiers, se sont associés pour faire l’épitaphe,
mais c’est Dionysius qui s’est spécifiquement chargé de sa réalisation maté-
12rielle . Le rôle particulier de ce dernier s’explique d’autant mieux que l’em-
placement funéraire était destiné à recevoir sa propre dépouille et celle de ses
proches : sib[i et suis] post(erisque) eo[rum].
À la ligne 6, M.Valerius Dionysius précise ses relations avec le défunt, qu’il
qualifie de patronus, sans se dire libertus. Mais le port d’un cognomen grec, la
qualité d’héritier de Dionysius et le partage de l’emplacement funéraire —
dénotant un rapport de forte proximité avec M. Orbius — font très certaine-
ment de lui l’affranchi du militaire, plutôt que son client. La différence de
gentilice entre le patron et l’affranchi, qui devraient logiquement tous deux
s’appeler Orbius, relève d’un cas de figure rarissime. À moins qu’il ne s’agisse
d’une coquetterie onomastique, il faut sans doute considérer, avec Th.
Mommsen, que l’affranchissement est dû à deux maîtres, qui possédaient
13ensemble l’ancien esclave . Effectivement, lorsqu’un seruus communis était
affranchi, il adoptait le nomen de l’un des propriétaires et prenait en général le
14praenomen de l’autre