L accomplissement des corps - article ; n°1 ; vol.56, pg 69-90
23 pages
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L'accomplissement des corps - article ; n°1 ; vol.56, pg 69-90

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Description

Communications - Année 1993 - Volume 56 - Numéro 1 - Pages 69-90
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Daniel Vidal
L'accomplissement des corps
In: Communications, 56, 1993. pp. 69-90.
Citer ce document / Cite this document :
Vidal Daniel. L'accomplissement des corps. In: Communications, 56, 1993. pp. 69-90.
doi : 10.3406/comm.1993.1849
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1993_num_56_1_1849Daniel Vidal
L'accomplissement des corps :
d'un jansénisme en mal et en miracle
Toute société suscite corps duels, divisés, équivoques. De pleine trans
parence — visages évidents ; et aussitôt masqués — et d'autant plus mas
qués qu'ils ont vocation de témoigner de quelque vérité publique. Corps
aussi bien fermés sur leur douleur, et reclus d'autant plus qu'ils disent
du monde qu'ils habitent cette douleur même. D'autres corps, tatoués,
avérant leur lignage, dans le temps où ils usent de leur marquage comme
signe d'individuation. On pourrait multiplier les occurrences de ces corps
dualisés, selon leur inscription en l'histoire, leur héritage culturel, leur
indexation politique. Je m'en tiendrai, concernant cette question du corps
crucial, à la configuration particulière de sens qui s'est forgée au
XVIir siècle, dans le décours du grand jansénisme de Port-Royal. En ce
décours, plusieurs crurent pouvoir saisir l'occasion de repousser l'œuvre
des convulsions et des miracles en des zones de trop forte irrationalité
pour prétendre à quelque légitime interrogation. Quand cependant s'épui
sent débat théologique et dispute doctrinale, quand l'argumentaire cul
turel et l'énoncé savant ne répondent plus au questionnement d'une société
où se déplacent en permanence les enjeux de connaissance, à ce moment
précis s'ouvrent des espaces insoupçonnés de savoirs et se définissent
des réseaux de questions novatrices.
Non que ces savoirs et ces questions aient été sans antécédents : rien
ne se déploie dans le jansénisme du XVIIIe siècle, dont le principe n'ait
été posé dès le siècle précédent, et longuement mûri. Ainsi de l'énoncé
disant le corps, de son inscription en une théorie du tragique plénier,
du malheur ontologique, de l'inéluctabilité du péché, de la toute-éminence
du mal. Plus encore : à Port-Royal, bien des solitaires sont assiégés de
maux et connaissent miracles. Sans doute en moindre véhémence qu'après
la mort du diacre Paris, en 1727, lorsque des foules rompues de maux,
miraculées et convulsives, convergent au cimetière de Saint-Médard. Mais,
au-delà du nombre et de l'intensité du drame corporel, un même espace
69 Daniel Vidal
de signification, lentement fécondé au temps de Saint-Cyran, d'Arnauld
et de Pascal, et qui, venue l'heure des convulsions, s'accomplit1.
Ce furent temps déraisonnables : hors des positivités que le siècle, en
ses lumières, devait porter à pleine efficience. Ultime sursaut, sans doute,
d'une raison théologique commençant à tourner à vide, désamarrée de
son intrigue sociale, incapable de répondre aux défis du siècle, ses hori
zons et procédures neufs de connaissance, et l'institution polémique de
nouveaux modes de pratique politique. Mais, en ce sursaut, cette raison
cardinale qui nous concerne ici : du corps, rien ne s'énonce qui ne soit
signature du mal — le corps, marque ultime de la créature déchue, gis
ement de malédictions, en tous ses états. Et c'est ce corps, pourtant, qu'il
convient d'habiter, et en ce destin qu'il faut, en toute lucidité, et patience,
demeurer. La vaste entreprise du spasme et du miracle, qui traversera
le siècle entier après la mort du diacre janséniste de Saint-Médard, ne
se comprend que sous la garantie de cette nécessité du mal, et sa conduct
ibilité sociale.
Du malheur biologique, longuement répertorié dans les récits jansé
nistes du XVIIIe siècle, au miracle qui doit en principe en lever l'hypo
thèque, quelle chaîne de significations se met-elle en place, qui puisse
nous informer sur les modalités dont usent les convulsionnaires pour
s'assurer pleine maîtrise sur leur corps ? A quelle économie du mal res
sortit l'itinéraire allant du corps malade à son entrée en l'instance du
miracle ? Maladies et miracles relèvent de deux énoncés homologues,
qui n'opposent pas deux ordres de symbolisation dont les signes seraient
simplement inversés, mais qui apposent et aboutent deux argumentaires
fondant deux régimes du corps, deux «figures». Par sa catastrophe bio
logique, le corps est déporté vers sa figure minimale, abstraite, vers ce
qui fut dit sa « vérité » : le mal comme seul foyer de sens pour ce corps
parvenu à sa machinerie. Par le récit miraculiste, ce même corps demeure,
en un paradoxe vite annulé, l'exacte matrice du mal, mais un mal désor
mais versé au compte du système social où il se profère et s'épand.
Dès lors, de même qu'un corps malade ne peut en aucun cas se réduire
à n'être que corps de pathologies, mais valence pleine, et figure, du mal,
de même un miraculé ne saurait être contraint en son semblant
de guérison, mais, pris à son tour dans la logique impérieuse du mal,
avère de ce mal l'assignation sociale. Aussi bien peut-on repérer quel
ques moments privilégiés en cette économie maudite du corps, du temps
du malheur biologique au procès des miracles bouclant sur lui-même
le mal.
70 L'accomplissement des corps
MAL, ÉQUATION DU CORPS*
Le mal intact.
Porté à l'absolu de sa violence par le mal même qui l'habite, le corps
janséniste s'épanouit, tel quel, en emblématique du mal, et pleinement
absorbé en sa mouvance. Cela implique que le mal ne puisse — ne doive
— se résoudre par des actes de retranchement : incisé, amputé, ouvragé,
outragé par une intervention médicale, le corps est invité à choir en
l'espace de la manipulation technique, quand il est tout entier figure du
mal. Aussi bien, menacé de ces procédures, les récusera-t-il. La menace
ne fit pas défaut, cependant, seul recours d'une chirurgie vite requise
en cas extrêmes. Mais c'est précisément lorsqu'un corps atteint l'extré
mité de son mal qu'il doit durer en sa façon : toute entame serait rup
ture du contrat entre le présent de ce corps et son aptitude à dire le
mal comme ultime, et souveraine, signifiance.
Ainsi, chaque fois qu'un sujet malade sera exposé au risque d'une abla
tion, et quel que soit le morceau de corps à retrancher, il opposera un
refus sans appel. Des malades au crâne lésé, blessé, carié, refusent la
trépanation ou F« incision cruciale» qu'on leur propose2. Depuis plus
de trois ans « attaquée d'une fistule lacrymale » mettant sa vue en dan
ger, telle femme, anonymement venue jusqu'à nous, interdit qu'on
l'opère3. Un regard aveugle suffit à faire vision nue. Marie Cartéri ne
cédera pas aux pressions de son chirurgien qui, pour lui éviter une cécité
fatale, exigeait que l'on brûlât son œil enflammé. Un seul feu suffisait4.
Il faut en effet que le mal atteigne son paroxysme pour que le corps en
son entier demeure en cette radicalité où s'accomplira le miracle. De
là le refus opposé par la mère de Françoise Fontaine aux projets d'inci
sion dans les yeux de sa fille. Et le mal, prenant le corps entier sous
son empire, pourra porter le corps pourri à sa limite — à son dessin5.
A demeurer dans l'œil, prenons en compte le destin du corps lorsqu'une
opération, quand même, s'effectue. Quentin Guerdou «se fait ôter les
cataractes» par un oculiste de Cambrai. Il demeurera non-voyant6.
Échec de la technique. Mais, plus radicalement, indice que corps et
mal ne constituent qu'un seul et même signe. Plus encore : le mal est
* Liste des abréviations utilisées dans le texte ou en notes : AN : Archives nationales ; Ars. : Arsenal,
Fonds Bastille ; BN : Bibliothèque nationale, Nouvelles acquisitions françaises ; NNEE : Nouvelles ecclésias
tiques (publication janséniste clandestine) ; RM : Recueil des miracles opérés au tombeau de M. de Paris, 1732,
I... X ; VM : Carré de Montgeron, La Vérité des miracles opérés par l'intercession de M.

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