L amour de la patrie dans Le temps retrouvé de Marcel Proust - article ; n°1 ; vol.20, pg 35-48
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Description

Vingtième Siècle. Revue d'histoire - Année 1988 - Volume 20 - Numéro 1 - Pages 35-48
Love of the fatherland in Marcel Proust's « Le temps retrouvé », Annick Cochet.
Proust denied any documentary value to art and the characters of Le temps retrouvé have only a partial and relative view of the First World War. The analysis of the novel is nevertheless a mine of observations which the historian can use profitably : on Parisian life in the rear, on the manipulations of public opinion, on naive or carefully cultivated love, on the Fatherland. Heroes, egoists, or simple good people , the characters of Le temps retrouvé reveal a lot about the minds of French people at war and about the emergence of a system of control of social representations which were to have so many successors throughout the history of the 20th century.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 63
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Annick Cochet
L'amour de la patrie dans Le temps retrouvé de Marcel Proust
In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°20, octobre-décembre 1988. pp. 35-48.
Abstract
Love of the fatherland in Marcel Proust's « Le temps retrouvé », Annick Cochet.
Proust denied any documentary value to art and the characters of Le temps retrouvé have only a partial and relative view of the
First World War. The analysis of the novel is nevertheless a mine of observations which the historian can use profitably : on "
Parisian life " in the rear, on the manipulations of public opinion, on naive or carefully cultivated love, on the Fatherland. Heroes,
egoists, or simple " good people ", the characters of Le temps retrouvé reveal a lot about the minds of French people at war and
about the emergence of a system of control of social representations which were to have so many successors throughout the
history of the 20th century.
Citer ce document / Cite this document :
Cochet Annick. L'amour de la patrie dans Le temps retrouvé de Marcel Proust. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°20,
octobre-décembre 1988. pp. 35-48.
doi : 10.3406/xxs.1988.2794
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1988_num_20_1_2794L'AMOUR DE LA PATRIE
DANS LE TEMPS RETROUVÉ
DE MARCEL PROUST
Annick Cochet
Histoire, opinion publique et littéra les premiers en faveur de Dreyfus, Proust
ture peuvent faire bon ménage. A preuve, est l'un de ceux dont le « silence » durant
cette tentative pour lire la Grande Guerre le conflit laisse penser qu'il s'est évadé hors
de son époque. Lorsque Le temps retrouvé1' avec les personnages de Proust. Quand
se frôlent les « embusqués » et les « gé est publié en 1927, on apprend que Proust
s'était par devoir refusé à toute « proclanéreux », que les braves se mettent à
parler comme « dans le journal », le mation », comme il avait refusé à l'art toute
temps est venu où nul ne peut plus valeur de document. Le roman, tel qu'il le
soupçonner le caractère mystificateur de conçoit, n'a pas à restituer le vécu, ne doit
ses propres représentations. Ainsi, aurait pas être « une sorte de défilé cinématogra
dit un Péguy, se forge une opinion « mo phique des choses » 4. Il n'accorde d'ailleurs
pas d'importance aux grands événements derne ». Voici, grâce au roman, la claire
vision de l'aube d'un système dont le 20e extérieurs aux consciences, ne romance pas
siècle développera tout au long le terrible l'Histoire et ne respecte pas davantage sa
éclat. chronologie. Ce refus du témoignage et ce
silence ambigu expliquent peut-être la ré
Jean-Paul Sartre disait que l'écrivain, à serve des historiens à l'égard de l'œuvre
certaines époques de l'histoire, est tou proustienne. Ne seraient-ils pas aussi révé
jours « compromis, jusque dans sa plus lateurs d'une attitude plus largement par
lointaine retraite » 1 et que même son tagée à l'époque (mais moins aisée à définir)
silence a le sens d'une prise de position dont que les deux positions extrêmes du bellicisme
il est responsable. Patriotes ou pacifistes, et du pacifisme à tout prix ?
tous les écrivains furent impliqués par la Il est vrai que he temps retrouvé n'apprend
Grande Guerre et leurs engagements ont rien sur les événements du conflit mais la
bien sûr intéressé les historiens. Mais les majeure partie du livre traite des opinions,
quelques écrivains silencieux ? « Ces silences, des comportements, de l'état d'esprit des
écrit Jean-Jacques Becker, ne sont pas faciles
à interpréter et les raisons en peuvent être 3. Proust termina le manuscrit du Temps retrouvé (le dernier
diverses. 2 ». Alors qu'il s'était engagé parmi volume de La recherche) dans ses grandes lignes en 1918 ; le
début de la rédaction du chapitre sur la guerre remontait à
1917. Toutes nos citations du Temps retrouvé (désormais abrégé
1. Jean-Paul Sartre, Les Temps modernes, 1, octobre 1945. en TR) sont tirées de l'édition Garnier-Flammarion, Paris,
2. Jean-Jacques Becker, La première guerre mondiale, Paris, 1986.
4. TR, p. 274. MA Editions, 1985, p. 56.
35 COCHET ANNICK
Français depuis la mobilisation jusqu'à la fin soldats africains, des « Hindous enturbannés
de la guerre. Car les faits historiques n'inté de blanc », offre un spectacle qui fait penser
à « une imaginaire cité exotique » ; les taxis ressent Proust que dans la mesure où ils
suscitent des réactions psychologiques s sont « conduits par des levantins ou des
nègres ». Cette « impression d'Orient » fut ignificatives chez ses contemporains. Durant
la guerre, Proust vit à Paris, fréquente di sans doute celle d'un esthète, d'un homme
que la guerre a épargné. Elle confirme néanplomates, artistes et journalistes ; au Ritz ou
chez Larue, dans les beaux quartiers et les moins les réactions des permissionnaires ou
des étrangers arrivant à Paris. Gabriel Per- lieux de plaisir de la capitale, aux alentours
reux parlera de « frénésie générale » : « La du faubourg Saint-Honoré ou de la place
Vendôme, il côtoie un microcosme d'aris fête dans l'acception la plus large du mot,
avec son cortège habituel d'orgies et de tocrates, de grands bourgeois mais aussi
leurs domestiques, maîtres d'hôtel et grooms. débauches » 5.
C'est à partir d'eux que Proust composera Ce climat factice d'une guerre à la fois
les personnages du Temps retrouvé. Il analyse présente et lointaine est aussi éprouvé par
Robert de Saint-Loup, « venu du front » en les diffractions du réel historique dans les
consciences, les diverses réactions à l'év permission, lorsqu'un soir de 1917 des avia
teurs sont mis en alerte par un raid de énement : rumeurs et opinions, attitudes et
passions collectives, tout ce qui constitue zeppelins. Cet officier cultivé ressent « la
« le caractère purement mental de la réa beauté des avions qui mont(ai)ent dans la
lité » ' et qui intéresse aujourd'hui l'étude nuit » et s'imagine que les avions se
historique des mentalités. En 1916, une inconfondent aux étoiles et que les aviateurs
signifiante conversation de salon est en effet jouent aux Walkyries. Le combat aérien est
« une fête vraie » et belle qu'il contemple « utile pour décrire cette époque » 2.
« comme s'il n'y avait pas la guerre » 6 : les
O « COMBIEN ON SENTAIT PEU LA GUERRE fusées et les projecteurs, les sirènes et les
A PARIS»3 appels du clairon composent un fantastique
opéra. Cette vision esthétique et épique de Les premières réactions sont celles d'un
la guerre ressemble à certaines pages de homme qui, ayant quitté la capitale après la
Ulllustration de l'époque et traduit l'imagimobilisation, retrouve en 1916 « un Paris
naire des contemporains : le combat chebien différent de celui... d'août 1914». L'a
valeresque d'aviateurs déjà légendaires, ces tmosphère qui règne dans les rues le déconc
« as » que Henri Lavedan qualifiait « d'ariserte : partout la guerre est présente, rappelée
tocrates de la nue ». Gabriel Perreux se et célébrée, mais tout se passe « comme si
souvient aussi qu'il fut témoin de ces les gens, malgré elle, continuaient à être ce
combats nocturnes qui « remplissaient féé- qu'ils étaient » 4, comme si le drame national
riquement l'espace et offraient un des specexistait à leur insu. L'état de guerre prête
tacles les plus magnifiques » 7. aux rues une animation et un charme par
Le premier spectacle qu'offre Paris en ticuliers qui simultanément évoquent et
1916-1917 est donc celui d'une vie fascinante masquent la réalité du conflit. C'est dans un
et frivole ; le deuil, les difficultés à vivre, hôtel très « spécial » qu'on entend un jeune
l'angoisse n'apparaissent pas. D'ailleurs, le permissionnaire déclarer : « A Paris c'est épa
raid des zeppelins est aussi l'occasion d'« un tant ... on ne dirait pas qu'il y a la guerre ».
La capitale où arrivent des zouaves, des
5. André Ducasse, Jacques Meyer, Gabriel Perreux, Vie
et mort des Français, 19

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