L apatè de Nitocris (Hdt 1187) - article ; n°2 ; vol.22, pg 109-125
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L'apatè de Nitocris (Hdt 1187) - article ; n°2 ; vol.22, pg 109-125

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Dialogues d'histoire ancienne - Année 1996 - Volume 22 - Numéro 2 - Pages 109-125
Les usages funéraires mésopotamiens rendent hautement improbable la sépulture qu'Hérodote attribue à la reine Nitocris (I 187), sépulture qu'il situe à l'intérieur de la porte d'Ishtar, à Babylone, et que Darius aurait violée par cupidité. Les inscriptions qu'Hérodote attribue à la reine relèvent bien de modèles mésopotamiens, mais de telles inscriptions visaient à dissuader un violateur de sépulture, plutôt qu'à le piéger en le tentant. L'anecdote témoigne, non seulement de l'impopularité qu'a value à Darius la réorganisation de la perception du tribut, mais aussi de la popularité qu'avaient conservée les souverains qui ont successivement reconstruit Babylone, de la reine assyrienne Naq'îa à Nabuchodonosor. On s'attachera moins à rappeler ce sens politique, relativement évident, qu'à reconstituer les strates culturelles constitutives du récit, par la pratique d'une véritable archéologie du texte.
Herodotus (I 187) locates the tomb of the queen he calls Nitocris inside the Ishtar Gate, in Babylon, and states that Darius opened the grave under the inducement of the inscription she left outside the tomb. Such inscriptions existed in Mesopotamia, but they aimed at dissuading violators of tombs, rather than tempting them. In any event, Mesopotamian funerary customs make the whole story most unlikely. Clearly, the story functions not only as testimony of Darius's unpopularity following his reorganization of the collecting of the tribute, but also of the continuing popularity of those rulers who rebuilt Babylon, from the Assyrian queen Naqi'a to Nebuchadnezzar. The article focuses less on this relatively obvious political interpretation than on the discovery of the various strata of meanings on which the story was constructed.
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 24
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Alexandre Tourraix
L'apatè de Nitocris (Hdt 1187)
In: Dialogues d'histoire ancienne. Vol. 22 N°2, 1996. pp. 109-125.
Résumé
Les usages funéraires mésopotamiens rendent hautement improbable la sépulture qu'Hérodote attribue à la reine Nitocris (I
187), sépulture qu'il situe à l'intérieur de la porte d'Ishtar, à Babylone, et que Darius aurait violée par cupidité. Les inscriptions
qu'Hérodote attribue à la reine relèvent bien de modèles mésopotamiens, mais de telles inscriptions visaient à dissuader un
violateur de sépulture, plutôt qu'à le piéger en le tentant. L'anecdote témoigne, non seulement de l'impopularité qu'a value à
Darius la réorganisation de la perception du tribut, mais aussi de la popularité qu'avaient conservée les souverains qui ont
successivement reconstruit Babylone, de la reine assyrienne Naq'îa à Nabuchodonosor. On s'attachera moins à rappeler ce sens
politique, relativement évident, qu'à reconstituer les strates culturelles constitutives du récit, par la pratique d'une véritable
archéologie du texte.
Abstract
Herodotus (I 187) locates the tomb of the queen he calls Nitocris inside the Ishtar Gate, in Babylon, and states that Darius
opened the grave under the inducement of the inscription she left outside the tomb. Such inscriptions existed in Mesopotamia,
but they aimed at dissuading violators of tombs, rather than tempting them. In any event, Mesopotamian funerary customs make
the whole story most unlikely. Clearly, the story functions not only as testimony of Darius's unpopularity following his
reorganization of the collecting of the tribute, but also of the continuing popularity of those rulers who rebuilt Babylon, from the
Assyrian queen Naqi'a to Nebuchadnezzar. The article focuses less on this relatively obvious political interpretation than on the
discovery of the various strata of meanings on which the story was constructed.
Citer ce document / Cite this document :
Tourraix Alexandre. L'apatè de Nitocris (Hdt 1187). In: Dialogues d'histoire ancienne. Vol. 22 N°2, 1996. pp. 109-125.
doi : 10.3406/dha.1996.2298
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/dha_0755-7256_1996_num_22_2_2298d'Histoire Ancienne 22/2, 1996, 109-125 Dialogues
VAPATÈ DE NITOCRIS (Hdtll87)
Alexandre TOURRAIX
Université du Maine
Après avoir décrit Babylone (I 178-183), Hérodote se réserve de
raconter ailleurs l'histoire de ses rois, et fait mention de deux reines,
Sémiramis et Nitocris. Il leur attribue divers travaux d'hydraulique
(I 184-186), assimilés à des ouvrages de défense, et narre pour finir
Yapatè de Nitocris (I 187), avant de passer au récit de la campagne
babylonienne de Cyrus. Il attribue à la reine, qu'il présente comme la
mère de Nabonide, une sépulture placée au-dessus de la "porte la
plus fréquentée, jiáXmxa Ашфорос, de la ville". Cette sépulture
aurait été accompagnée d'une inscription, invitant l'un de ses succes
seurs, simplement désigné comme "l'un de ceux qui régnerait après
moi à Babylone", sans aucune précision quant à son appartenance
ethnique, à ouvrir son tombeau, et à y prendre des richesses, хрт^ата,
si, et seulement si, il se trouvait à en manquer.
Personne n'ouvre le tombeau, jusqu'à ce que "la royauté eût échu à
Darius". Ce dernier commence par éviter de passer sous la tombe, et
n'emprunte donc pas la porte, puis cède à la tentation, et trouve, en
fait de richesses, une inscription moralisatrice, accompagnant le
cadavre : "Si tu n'étais pas insatiable de richesses, et honteusement 110 Alexandre Tourraix
cupide, tu n'ouvrirais pas les tombeaux des morts"1 . Nitocris aurait
donc laissé deux inscriptions, l'une sur sa tombe, et l'autre à l'in
térieur. Son apatè, terme par lequel les Grecs entendent à la fois une
ruse et une tromperie2, aurait donc consisté à tromper l'auteur d'un
véritable sacrilège, et à l'amener à révéler sa vraie nature, en lui
tendant un piège et en spéculant, si l'on ose écrire, sur sa cupidité. La
brièveté de l'anecdote lui confère la densité d'un syncrétisme, dans
l'élaboration duquel on peut distinguer plusieurs plans, ou plusieurs
strates, de signification culturelle. On la considérera à la lumière
des coutumes funéraires mésopotamiennes, dans sa dimension
politique, pré-achéménide et achéménide, et dans sa réécriture, tant
babylonienne que grecque.
Le nom même de Nitocris procède de la transcription grecque de
celui d'une princesse égyptienne, Net-aker-ti, confondue par Hérodot
e avec la mère de Nabonide. L'historien mentionne aussi la Nitocris
égyptienne, et remarque qu'elle porte le même nom que la reine sup
posée babylonienne (II 100). Quant à Nabonide, Hérodote l'appelle
Labynète, comme il le précise au chapitre suivant : "C'est contre le
fils de cette femme que Cyrus guerroya ; il portait le nom de son père,
Labynète" (1 188). Manéthon cite aussi une Nitocris égyptienne, qui
aurait succédé vers 2200 à son frère Merenrê II, et qui serait donc le
septième souverain de la VIe dynastie. "Toutefois, aucun monument
n'est encore venu confirmer l'existence de [Net-aker-ti]"3 ■
La Nitocris babylonienne, dont Hérodote fait la mère de
Labynète-Nabonide, serait en réalité son ancêtre, eu égard aux
usages linguistiques mésopotamiens, comme le confirme J. Bottéro :
"en sumérien comme en accadien, le mot "fils" ou "fille" est ambigu,
dans la mesure où il peut se référer, non au progéniteur, mais à
un ancêtre plus ou moins éloigné en ligne ascendante directe"4 .
Il s'agirait, selon H. Lewy, de la reine assyrienne Naq'îa, dont
le nom constitue la forme ouest-sémitique d'un équivalent akkadien,
Zakûtu(m) : les deux formes nominales signifient "la Pure". La
reine ainsi dénommée était l'épouse de Sennacherib, et la mère
d'Asarhaddon. Chargée du gouvernement de l'Est et du Sud de la
Babylonie, entre 683 et 670, elle aurait présidé à la reconstruction de
1 . Traduction de Ph.-E. L EGRAND.
2. LIDDELL-SCOTT, s. v.
3. J. V ERCOUTTER, Les Premières Civilisations (dir. P. LÉVÊQUE), p. 136 et tableau
chronologique, p. 218.
4. J. BOTTÉRO, Poikilia ..., p. 168.
DHA 22/2, 1996 L'apatè de Nitocris (Hdt 1 187) 111
Babylone, détruite par son défunt mari Sennacherib en 6895. Une
reine assyrienne, dont Nabonide prétendait descendre dans ses
inscriptions6, a donc bien régné à Babylone, et y a effectué des tr
avaux d'hydraulique, rendus nécessaires après que Sennacherib eut
fait inonder la ville, après l'avoir incendiée, comme il s'en vante
lui-même : "Je détruisis, dévastai et incendiai la ville ... je la
désintégrai dans les eaux"7 .
Asarhaddon ne mentionne pas Naq'îa sur le fragment de prisme
sur lequel il se targue d'avoir reconstruit Babylone, et restauré
l'Esagil8, mais il s'agit d'un fragment ; il est de toutes façons logique
que le roi s'attribue la paternité intégrale de la restauration, sans en
mentionner l'exécutrice, pas plus qu'aucun auxiliaire. Hérodote ne se
tromperait en somme que sur l'identité de la reine, et sur sa chronolog
ie, antérieure de plus de cent ans à celle qu'il lui attribue. W. Rôllig
n'accepte pas l'identification de Nitocris avec Naq'îa /Zakûtu(m),
et propose de suivre Hérodote, en voyant bien en Nitocris la mère
de Nabonide, Adad-guppi, princesse d'origine araméenne9. A la
limite, l'identité historique exacte de la reine qu'Hérodote appelle
Nitocris importe peu, pour l'élucidation du chapitre I 187 : plus
exactement, la Nitocris babylonienne d'Hérodote ne correspond à
aucun personnage historique précis, mais constitue plutôt ce que l'on
serait tenté d'appeler une personnalité de synthèse, plutôt qu'un
"personnage de fiction"10.
Nous ne connaissons pas la sépulture de Naq'îa, mais les rois
assyriens se faisaient traditionnellement enterrer à Assur, même
après le transfert de la capitale politique à Ninive : ces tombes
étaient creusées sous le palais,

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