L art de l autre : didactique du texte et communication - article ; n°1 ; vol.70, pg 45-62
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L'art de l'autre : didactique du texte et communication - article ; n°1 ; vol.70, pg 45-62

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Description

Langue française - Année 1986 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 45-62
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Claudette Oriol-Boyer
L'art de l'autre : didactique du texte et communication
In: Langue française. N°70, 1986. pp. 45-62.
Citer ce document / Cite this document :
Oriol-Boyer Claudette. L'art de l'autre : didactique du texte et communication. In: Langue française. N°70, 1986. pp. 45-62.
doi : 10.3406/lfr.1986.6370
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1986_num_70_1_6370Claudette Oriol-Boyer
Université de Grenoble III
L'ART DE L'AUTRE
Didactique du texte et communication
Les recherches actuelles dans le domaine de la communication
peuvent-elles contribuer à une didactique du texte?
Autrement dit, quel est le statut de l'autre dans la production d'un
texte (synonyme ici d'objet d'art langagier)?
De l'aliénation : dialogue avec Bakhtine et quelques autres
Pour qui écrit, l'autre c'est le lecteur. Pour qui lit, l'autre c'est le
scripteur. Mais chacun s'accorde pour dire que c'est dans l'acte de lecture
que le texte accède à la communication. Il est fait pour être lu, c'est là
sa raison comme son mode d'exister.
En effet, l'écriture est une pratique calme, voilée, solitaire — du
moins l'admet-on communément. Seul dans sa tour, à l'écart, l'écrivain
ose le viol de la page vierge.
Tandis que la lecture, elle, se réclame volontiers du solidaire — du
pluriel qui permet la communication. Lues dans tout leur tracé, les lignes
proposent une nouvelle vie au lecteur de passage.
Ainsi l'analyse-t-on dans Le Monde en 1983 :
« Le lecteur nourrit son imaginaire sur celui du créateur. Le plaisir
de lire rend l'esprit agile et donne de l'acuité aux sens. Il donne le goût de
Tailleurs, de l'avenir et du passé. Il arrache le lecteur à l'instant pour le
convier à méditer. En peu de mots : la lecture vaut tous les passeports '. »
En ces ailleurs, la lecture a nom « aliénation » : elle est fuite hors
de soi, tentative de vie par autrui interposé.
Dans les premiers schémas linéaires de la communication (Shannon,
Jakobson), le lecteur occupe une place symétrique de celle du scripteur.
1. Le Monde, supplément n' 104, octobre 1983.
45 rapports sont de destinateur à destinataire, d'émetteur à récepteur. Leurs
Lire c'est retrouver, par un décodage correct, le sens du texte identifié
à l'intention de l'auteur. Toute science constituée sert alors à l'interpré
tation du message. Sur lui portent les premières recherches.
C'est avec l'esthétique de la réception — qui se veut science de la
communication — que l'instance du récepteur devient prioritaire : l'œuvre
d'art est réduite aux effets de ses lectures.
« Trop souvent l'esthétique marxiste ne veut voir dans la littérature
qu'un épiphénomène, un reflet de la réalité sociale; le formalisme au contraire
la considère comme un absolu, un système clos, coupé de cette réalité.
L'esthétique de la réception, qui s'est amplement développée en All
emagne depuis une dizaine d'années, tente de dépasser cette opposition figée
de deux approches également partielles.
Elle met l'accent sur une évidence longtemps négligée par la théorie
littéraire : la littérature est aussi une activité de communication (...).
Le rôle particulier qui revient, dans l'activité communicationnelle de
la société, à l'expérience esthétique peut donc s'articuler en trois fonctions
distinctes : préformation des comportements ou transmission de la norme;
motivation ou création de la norme; transformation ou rupture de la norme. (...)
La fonction communicative ou communicationnelle de l'art (...) joue déjà
lorsque le lecteur reprend virtuellement à son compte certaines normes,
certaines attentes, et qu'il apprend, par l'identification esthétique, ce que
peut être l'expérience et le rôle des autres, le tout pouvant déterminer son
comportement dans le sens de l'imitation de modèles, certes, mais aussi de
la motivation consciente et du changement de son expérience à venir (...) 2. »
Autrement dit, au lieu défaire lui-même l'expérience du monde et
du discours qui en résulterait, le lecteur se construit du discours d'un
autre sur une réalité qu'il ne connaît pas.
Pourtant, dès 1924, Bakhtine avait compris les limites de cette mala
die infantile de la pratique lectorale. Todorov rend ainsi compte de sa
pensée :
« On pourrait dire qu'il y a trois types d'interprétation (...). Le premier
consiste à unifier au nom de soi : le critique se projette dans l'œuvre qu'il
lit, et tous les auteurs illustrent ou exemplifient sa propre pensée. Le second
type correspond à la « critique d'identification » (appellation toujours reven
diquée) : le critique n'a pas d'identité propre, il n'existe qu'une seule identité,
celle de l'auteur examiné et le critique s'en fait le porte-parole; nous assis
tons à une sorte de fusion dans l'extase et donc encore à l'unification. Le
troisième type d'interprétation serait le dialogue préconisé par Bakhtine où
chacune des deux identités reste affirmée (il n'y a pas d'intégration ni
d'identification), où la connaissance prend la forme de dialogue avec un
« tu », égal au « je » et pourtant différent de lui. Comme pour la création,
Bakhtine ne donne à 1 empathie, ou identification, qu'un rôle transitoire,
préparatoire 3. »
2. Jaus, 1978, pp. 260-261.
3. Todorov, 1981, p. 166.
46 dernier va jusqu'à affirmer : Ce
« Le premier moment de l'activité esthétique est l'identification : je dois
éprouver — voir et connaître - ce qu'il éprouve, me mettre à sa place, en
quelque sorte coïncider avec lui (...). Mais cette plénitude de la fusion inté
rieure est-elle la fin dernière de l'activité esthétique (...)? Pas du tout : à
proprement parler, l'activité esthétique n'a même pas commencé. (...) L'ac
tivité esthétique ne commence proprement que lorsqu'on revient en soi et
à sa place, hors de la personne qui souffre, et qu'on donne forme et finition
au matériau de l'identification 4. »
Les conséquences de ces positions sont claires : c'est à partir du
moment où le lecteur (qui peut être l'auteur) prend sa distance avec le
texte qu'il accède à la production esthétique; il acquiert en effet ainsi
la capacité de modifier ce qu'il lit, c'est-à-dire le pouvoir d'écrire.
Une anecdote de Bruno Bettelheim montre combien la lecture cap
tivante de l'identification, en interdisant de transformer un texte, bloque
tout mécanisme producteur et peut se retourner contre elle-même :
« Une petite fille se trouva dans une impasse où se mêlaient blocage et
substitution de mots. Elle lisait un poème (...). L'enfant remplaça « trem
blons » par « regardons », puis elle se bloqua sur « frissonnons » et se déclara
incapable de lire le mot. (...)
En faisant comprendre à la petite fille que sa substitution avait un
sens, était légitime, la maîtresse l'avait rassurée et, en même temps, l'avait
nettement séparée du héros de l'histoire. Maintenant qu'elle ne s'identifiait
plus à ce dernier, elle pouvait lire ses aventures et corriger d'elle-même
son erreur. Il avait suffi de lui dire : tu as parfaitement le droit d'avoir des
sentiments différents de ceux de l'histoire 5. »
Ce rapport aliénant empêche non seulement de lire mais d'écrire
car, Bakhtine l'explique, il anéantit le principe dialogique qui fonde toute
compréhension et, de là, toute production.
« Dans son interprétation naïve et réaliste, le mot " compréhension "
induit toujours en erreur. Il ne s'agit pas du tout d'un reflet exact et passif,
d'un redoublement de l'expérience d'autrui en moi (un tel redoublement
est du reste impossible), mais de la traduction de l'expérience dans une
perspective axiologique entièrement autre, dans des catégories d'évaluation
et de formation nouvelles (...).
Toute compréhension véritable est active et représente déjà l'embryon
d'une réponse (...). Toute compréhension est dialogique. La compréhens

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