L art de la nature - article ; n°1 ; vol.64, pg 137-151
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Description

Communications - Année 1997 - Volume 64 - Numéro 1 - Pages 137-151
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Gilles A. Tiberghien
L'art de la nature
In: Communications, 64, 1997. pp. 137-151.
Citer ce document / Cite this document :
Tiberghien Gilles A. L'art de la nature. In: Communications, 64, 1997. pp. 137-151.
doi : 10.3406/comm.1997.1976
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1997_num_64_1_1976Gilles A. Tiberghien
L'art de la nature
Le vocabulaire de l'art aujourd'hui ne fait plus du terme « création »
qu'un usage très circonspect, et si l'expression « création contemporaine »
est couramment employée, c'est pour désigner des pratiques globalement
qualifiées dans le champ social et dont les acteurs répugnent souvent
eux-mêmes à s'appeler des « créateurs » *. Quelles que soient les raisons
de cet abandon terminologique, si le mot disparaît, ce qu'il connote
demeure et s'attache à d'autres termes, celui d'« artiste » en particulier.
Alors, si on parle plus souvent du « travail » que de la création de l'artiste,
on ne donne pas pour autant à ce dernier le statut de travailleur, même
si certains peintres ou sculpteurs semblent parfois de véritables
neurs 2.
Certes, en parlant de travail, on insiste sur tout ce qui concerne le
processus - de fabrication ou de réception de l'œuvre. D'un certain point
de vue, en effet, la production compte autant - si ce n'est parfois plus -
que le produit. Il arrive que l'on se trouve devant des œuvres dont tout
l'intérêt réside dans leur caractère aléatoire ou qui offrent la possibilité
de transformations futures plus ou moins délibérément programmées. En
même temps, la position du spectateur face à elles, les mouvements du
corps nécessaires pour leur complète saisie ne sont pas dissociables de ce
qui, au bout du compte, constitue leur identité.
Les questions que suscite cette façon de présenter et d'appréhender les
œuvres viennent en partie de ce que subsiste dans la plupart des esprits
une certaine idée de la création qui suppose un quelque chose en plus du
travail qui distinguerait l'artiste des autres hommes. En d'autres termes,
ce que, depuis la Renaissance, mais surtout Kant et le romantisme, on
nomme le « génie ». Or, dans cette optique, une œuvre géniale est une
œuvre humaine, mais pas un produit de la nature3. Le génie, de surcroît,
est inné et s'accommode assez mal de l'attention désormais portée aux
techniques d'élaboration de l'œuvre. C'est pourquoi beaucoup restent
137 Gilles A. Tiberghien
perplexes devant ces réalisations et se demandent quel statut leur donner :
coupes forestières, semis agricoles, travaux de terrassement, abris de for
tune, tranchées d'irrigation ou œuvres d'art ?
Leur identité est en effet difficile à cerner — comme en atteste la
diversité de leurs dénominations, et ce en particulier depuis le début des
années 60. Ce qui rend leur appellation problématique tient à différents
paramètres, comme leur taille, leur lieu d'inscription, leurs matériaux,
mais aussi leur destination : ni architecturale, ni sculpturale, ni paysag
ère, et parfois aussi tout cela à la fois. C'est pourquoi on a tenté de les
reconsidérer dans une plus large extension, en ne retenant pour ce faire
que des critères essentiellement formels. Or il serait bon, à l'inverse, de ces pratiques en s'intéressant d'abord aux matériaux utili
sés, dans la mesure où leur choix fut le plus souvent déterminant pour
les artistes. Vues sous cet angle, les productions auxquelles nous avons
fait allusion retrouvent des problématiques très anciennes, agitées par la
philosophie classique, mais dans des domaines qui ne concernent pas
uniquement l'art. C'est précisément parce que celui-ci a perdu une part
de sa supposée spécificité qu'il peut être ainsi repensé à la lumière de
catégories qui, pour le dire brutalement, appartiennent plus au domaine
de la physique grecque que de la Poétique aristotélicienne. Alors, plutôt
qu'au beau ou à d'autres notions héritées de l'esthétique classique, c'est
à ces catégories que l'on peut avoir recours pour penser ces formes de
l'art d'aujourd'hui.
Le primat de la formes
Le travail des artistes dans et sur la nature est aussi ancien que l'art
lui-même. Il est clair néanmoins que l'intérêt artistique porté à la nature
en tant que telle, à ses puissances de métamorphose, à l'instabilité consti
tutive de ses éléments, est probablement un phénomène récemment
apparu dans le domaine de l'art. L'art topiaire des jardiniers classiques
procédait d'un désir de maîtrise et de transformation soumettant les phé
nomènes naturels à une organisation qui correspondait aux critères esthé
tiques du moment. Ce processus d'« artialisation » in situ, pour reprendre
un terme qu'affectionne Alain Roger (qui l'emprunte à Montaigne), peut
être compris comme une schématisation adhérante, c'est-à-dire encore
une manière d'inscrire une forme dans le paysage et correspondant à un
certain code artistique 4.
De même, on a pensé longtemps la sculpture sur le modèle classique,
par rapport à la forme élevée depuis l'Antiquité à la dignité artistique.
Si la forme a parfois été condamnée comme apparence externe, simple
138 Uart de la nature
image, elle a toujours au contraire été valorisée comme principe interne.
Certes, chez Platon, la forme est ontologiquement séparée de la matière
alors que, pour Aristote, elle s'actualise dans l'individu ou l'objet où elle
se trouve inscrite en puissance. Mais dans le couple forme-matière, et en
dernière instance, la forme est à la fois déterminée et déterminante, tandis
que la matière est un substrat sans forme, ou susceptible de les recevoir
toutes.
De ce point de vue, ce qui se passe dans l'art est comparable à ce qui
arrive dans la nature ; la différence réside essentiellement en ce que les
formes (c'est-à-dire ce par quoi les êtres sont produits) existent naturel
lement dans la nature tandis qu'elles existent « idéellement » dans l'esprit
de l'artiste. C'est de ce schéma que la théorie de l'art va hériter, en le
pérennisant avec de multiples aménagements?.
Le statut . ontologiquement inférieur, et en conséquence artistiqu
ement dévalorisé, accordé à la matière expliquera en retour l'introduction
d'une hiérarchie entre les matériaux nobles et les autres, les premiers
devant leur prééminence sur les seconds à leur transmutation vénale
sous forme marchande. Le travail de l'artiste sera alors perçu comme
une valeur ajoutée à la valeur intrinsèque du marbre ou du métal
précieux, par exemple. On retrouve ce privilège de la .forme sur la
matière en . art dans toute la tradition occidentale, jusqu'aux débats
opposant le dessin à la peinture et, sur un autre plan, la peinture à la
sculpture.
Ce qui n'a jamais empêché les sculpteurs d'utiliser des matériaux très
divers, même si c'est au XXe siècle que cette diversité a peut-être été
explorée de la façon la plus systématique. Les années 60 aux Etats-Unis
(mais aussi, dans une moindre mesure, en Europe) cristallisèrent un cer
tain nombre d'apports de la sculpture moderne - celle des premières
décennies du XXe siècle en particulier. On retrouva ainsi combinées, et
bien que dans un tout autre contexte, diverses problématiques : celles du
monument (Tatline et Rodin), de l'horizontalité et de la verticalité (Lis-
sitzky), du socle (Brancusi) ou de l'espace « réel » (Gabo et Pevsner),
pour ne prendre que ces exemples. Cependant, si les constructivistes
avaient insisté sur l'importance des matériaux et sur leur mise en évi
dence, ils n'avaient pas poussé leur utilisation jusqu'à la négation des
formes qu'ils servaient à édifier6.
139 Gilles A. Tiberghien
L'expérience de la durée
et l'instantanéité « moderniste ». -
Dans les années 50, l'intérêt pour la gestuelle dans la peinture des
expressionnistes américains (Yaction painting, comme Rosenberg l'avait
qualifiée) ou pour les happenings (dont la

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