L autobiographie et ses jeux - article ; n°1 ; vol.19, pg 155-169
16 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

L'autobiographie et ses jeux - article ; n°1 ; vol.19, pg 155-169

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
16 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Communications - Année 1972 - Volume 19 - Numéro 1 - Pages 155-169
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 34
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Alain Finkielkraut
L'autobiographie et ses jeux
In: Communications, 19, 1972. pp. 155-169.
Citer ce document / Cite this document :
Finkielkraut Alain. L'autobiographie et ses jeux. In: Communications, 19, 1972. pp. 155-169.
doi : 10.3406/comm.1972.1289
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1972_num_19_1_1289Alain Finkielkraut
L' autobiographe et ses jeux
« Labyrinthe x », Fourbi, ou « Profusion baroque 2 », la Règle du jeu a égaré
son auteur. En choisissant pour fil directeur le discours du jeu, je n'ai pas voulu
retrouver la figure de celui-ci, dans la rectitude d'une démarche, la récurrence
d'un vocabulaire, ou la cohérence voilée d'une thématique. Car, au sein de cette
entreprise qui congédie l'opposition de l'essentiel et de l'accessoire 3, les diff
érences existent, mais il n'y a pas de point de vue dominateur pour les hiérar
chiser. Ou, si l'on veut, plusieurs problématiques du jeu se constituent dans le
texte, et prennent en charge le sens, avec une égale validité : j'ai donc cherché à
décrire, sans la réduire, leur indécidabilité.
LA RECHERCHE DU JEU : 1. LA RÈGLE ET LE RÔLE
L'idée de l'œuvre n'a pas préexisté au texte, elle est jaillie de lui. C'est en
écrivant Biffures que Leiris a découvert le sens, l'objet, et aussi le titre de son
entreprise : la Règle du jeu, ou « plus pompeusement : mon art poétique et le
code de mon savoir-vivre que j'aimerais découvrir fondus en un unique sys
tème 4 ».
Pour expliquer ce désir de synthèse, et la possibilité de son émergence, il
faut s'attarder aux chapitres initiaux de Biffures, car ceux-ci éclaircissent le
rapport de Leiris au langage, Habillé- en-Cour, Chansons, Alphabet, ces titres
concentrent de vertigineuses expériences enfantines, fragiles fascinations de
l'époque bénie dans laquelle la similitude régissait le langage. Les vocables, alors,
portaient le réel en leur physionomie et l'illusion référentielle était un autre
nom de la foi : « En ce temps-là, il est certain que Dieu était le verbe, que ce
verbe était dieu, et que ce dieu, dans les choses, s'était incarné 5. » II arrive
que le souvenir de l'enchantement s'abîme et s'oublie dans l'enchantement lui-
même. A relater l'ensorcellement, on peut revivre des charmes que l'on croyait
révolus. Abandon précaire... Une intermittente lucidité dénonce cette contami
nation du métalangage par le langage-objet, et marque ses distances, dans le
1. Michel Leiris, Fibrilles, Gallimard, 1966, p. 117.
2. Ibid., p. 197.
3. Cf. Ibid., p. 241.
4. Biffures, Gallimard, 1968, (lre éd. 1948), jaquette.
5. Ibid., p. 58.
155 Alain Finkielkraut
temps même qu'elles semblent s'estomper : « ce jeu pourrait durer longtemps (...)
si je ne savais qu'à la base de cela il y a une tricherie, consistant à prêter après
coup au langage des prestiges que, depuis que j'ai appris à lire, à écrire, à user
de ces signes auditifs ou visuels dans des buts définis (qu'ils soient utilitaires
ou non) le langage a presque perdus pour moi, réduit au rôle purement humain
d'instrument x ». L'instrumentalité du langage, et l'arbitraire du signe tel est
le triste lot de la maturité. Dieu est mort, le réel s'est retiré du verbe ; tous lam
pions éteints, la fête est finie. L'histoire de l'individu est celle de son rapport aux
mots : la motivation sacrée correspond à l'enfance; l'adulte, ce défroqué malgré
lui, n'a que l'utilité. Mais l'instrumentalité se scinde et complique la clarté de
cette opposition diachronique. Leiris peut voir dans le langage, « le lot propre
ment sacré des bipèdes que nous sommes, sans doute parce qu'il est l'instr
ument de communication — et donc de communion — par excellence 2 ».
L'instrumentalité définirait donc aussi bien l'univers de la foi que le monde
sans promesses de l'incroyance linguistique. Mais la foi dans la motivation, et
le culte de l'outil ne sont-ils pas incompatibles? N'y a-t-il pas,^chez Leiris, un
polythéisme du langage?
L'expérience précieuse dont la relation ouvre le texte, permettra de démêler
l'écheveau de ces contradictions. Un soldat de plomb tombe sur le sol. Inquiet,
le petit enfant ramasse le jouet menacé, le palpe, et le regarde. S'étant assuré
qu'il n'avait pas été cassé par la chute, le bambin s'écrie, soulagé : « reusement! »,
une observation faite par quelqu'un de plus âgé 3, corrige l'interjection écorchée :
« l'on ne dit pas... « reusement », mais « heureusement4 ». Cette rectification
imprime au langage une métamorphose soudaine et décisive : en un éclair,
l'enfant est privé de la parole viscérale, et prend obscurément conscience qu'il
dispose d'un « vaste instrument de communication 5 ». Prise de ou
révélation, premier contact avec le monde utilitaire des adultes, ou soudaine
intronisation dans le monde sacré, un double signe peut affecter cette nouvelle
perception du langage. Première vérité : nécessité objective et médiation ano
nyme, le langage détruit l'illusion solipsiste qui s'entretenait en lui. La mise en
perspective distraite, laconique, et brutale qui résulte de l'expérience précipite
l'éducation linguistique, et vieillit subitement l'enfant en lui donnant accès à
la réalité de la communication. Seconde interprétation possible : aucun homme
ne peut se dire le créateur ou le propriétaire de son langage. Dans ce brusque
dévoilement de la socialisation, réside le pressentiment d'une promesse. Transcen
dance instrumentale, le langage invite son utilisateur inessentiel à communiq
uer. Cette invite est aussi bien un mandat: le langage étant chose commune,
la loyauté est l'impératif qu'il recèle et qui le divinise. On ne parle pas tout seul,
il y a là l'exigence de ne pas dire n'importe quoi. Tel est le glissement, le déca
lage, la « Bifur » infime qui peut faire passer Leiris de la constatation objective
à la révélation. Et s'efforcer de formuler en des règles denses et précises, ce man
dat contenu dans les mots, qu'est-ce sinon tirer du langage ses « tables de la
loi « »?
1. Ibid., p. 48.
2. Fibrilles, p. 181 (c'est Leiris qui souligne).
3. Biffurea, p. 11.
4. Ibid., p. 11.
5.p. 12.
6. Fibrilles, p. 243.
156 V autobiographe et ses jeux
« Ne pas mentir
Ne rien promettre qu'on ne soit sûr d'exécuter
Ne pas payer de mots, ni se payer de mots 1 » (...)
Mais dans cette morale de la parole, Leiris préserve les deux aspects de l'expé
rience enfantine, il « ménage la chèvre et le chou 2 ». Si le langage est sanctifié,
la rhétorique morale élaborée par Leiris lui est dévotieuse obéissance; si le lan
gage n'est plus qu'un entremetteur complaisant, un « intermédiaire bon à toutes
les besognes 3 », la responsabilité remplace le mandat, force rassurante mais
factice, et les règles redorent, par volontarisme, le blason terni des mots. De
même, alors que la poésie rémunère l'arbitraire du signe, la loyauté autobio
graphique en corrige le vice. La poésie naît du défaut des langues, l'éthique
jaillirait de leur indifférence. A la loi se substitue le jeu, ce mode de vie et d'écri
ture du monde profane, cette relève de la croyance par la convention, et de la
réceptivité par l'action. En un mot, dans le jeu « tout se passe comme si », car
la métaphore supplée la Foi.
Le sacré, donc, est multiforme : par-delà leur contradiction, la motivation et
l'instrumentalité mandatrice sont des marques de la transcendance dans les
mots. Et à ces deux niveaux, le balancier de l'œuvre oscille sans cesse entre le
jeu et la Foi. Mais aux deux termes du mouvement pendulaire, il y a cette même
évidence : la juridiction du langage dépasse le cadre linguistique où l'on croit
l'épuiser. La morale, en d'autres termes, est aussi l'affaire de langage. Et c'est
l'autobiographie qui réalise seule l'impératif que les mots contiennent ou que le
sujet déduit de la présence de l'autre en eux. Submergée de correctifs et d'except
ions, malmenée et remise en c

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents