L événement-Sphinx - article ; n°1 ; vol.18, pg 173-192
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Description

Communications - Année 1972 - Volume 18 - Numéro 1 - Pages 173-192
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Edgar Morin
L'événement-Sphinx
In: Communications, 18, 1972. pp. 173-192.
Citer ce document / Cite this document :
Morin Edgar. L'événement-Sphinx. In: Communications, 18, 1972. pp. 173-192.
doi : 10.3406/comm.1972.1273
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1972_num_18_1_1273Edgar Morin
L' événement-sphinx
La notion d'événement est aujourd'hui comme un rameau de Salzbourg où
viennent s'opérer de multiples cristallisations. Autrefois, elle faisait fuir les pro
blèmes scientifiques. Ce numéro montre qu'aujourd'hui elle peut les attirer. Le
terme est riche; du même coup, il est polysémique, complexe, incertain, et il
faut évidemment définir distinguer, opposer les différentes variétés d'événe
ments, se reconnaître dans la pluie événementielle, ce qui a été ici utilement
fait par de nombreux auteurs, alors que cela avait été à peine ou trop grossi
èrement esquissé dans « Le retour de l'événement ».
D'autre part la notion d'événement ne prend son sens que par rapport au sys
tème qu'elle affecte. Cela veut dire qu'il faut un minimum systémologique pour
que notre poisson trouve son eau. C'est ici qu'il y a lacune irrémédiable : le pro
blème systémique ne peut être introduit rapidement, non seulement parce qu'il
s'agit d'un problème de base pour toutes sciences et qu'il met en question des
fondements épistémologiques, mais aussi parce qu'il émerge à peine. La théorie
des systèmes (General Systems Theory ou Modem Systems Theory) commence à
se diffuser dans les sciences sociales, et encore sous ses formes les moins intéres
santes (théorie des organisations, analyse systémique des systèmes politiques).
Ladite théorie n'est elle-même qu'un rameau d'une recherche théorique zigza
guant entre cybernétique, axiomatique, biologie, sociologie, dont les multiples
visages signalent qu'elle n'a pas encore trouvé son visage.
Ainsi, privée de systémologie, la théorie de l'événement flotte encore. Au moins
permet-elle d'introduire directement dans la bouche d'ombre.
i. l'alternative a dépasser
Nous allons évidemment rencontrer les difficultés de toute problématique
nouvelle : comment éviter qu'on ne l'enferme dans l'alternative qu'elle s'efforce
de dépasser? La nouveauté se glisse plus aisément dans la recherche empirique,
où elle féconde, que dans les bastions théoriques, où elle dérange. La vulgate
théorique établie se croit d'autant plus autorisée à réduire le nouveau à de la
vieillerie quand le nouveau stade de la science ramène des notions chassées lors
d'un stade précédent : ainsi le retour de l'événement peut être conçu comme une
régression pré-scientifique alors qu'il constitue déjà un pas en avant dans les
sciences les plus développées.
De plus le débat nouveau sur l'événement risque de se déplacer et de se fondre
173 Edgar Morin
dans le vieux débat entre déterminisme et contingence. Cette dérive viendrait
non seulement de la difficulté à concevoir le nouveau champ épistémologique,
mais aussi, à travers la réanimation de la querelle du hasard et de la nécessité
provoquée par le livre de Jacques Monod, au réveil des deux djinns ennemis et
complémentaires qui se partagent l'esprit humain.
Le Déterminisme
De fait, le problème du déterminisme a été posé par Lupasco, ainsi que Labo-
rit, et son ombre pèse sur le débat. Il faut donc très rapidement tenter de nous
expliquer.
L'opposition du déterminisme à la contingence a été d'une importance extrême
quand elle a recouvert le conflit historique opposant l'esprit scientifique à l'esprit
religieux, l'esprit matérialiste à l'esprit idéaliste, l'idée évolutionniste à l'idée
émanationniste. Mais, de même que le conflit entre république et monarchie
s'est vidé de presque toute sa sève et ne saurait recouvrir les plus grands pro
blèmes politiques du xxe siècle, de même l'opposition déterminisme /contin
gence ne recouvre plus les grands problèmes scientifico-philosophiques, et appar
aît même comme le cadre fossile qui risque d'asphyxier les vrais débats.
Déjà, depuis un siècle, la statistique ignore ou surmonte (au choix) l'alte
rnative. Elle envisage des phénomènes qui sont indéterminables sur le plan des
unités singulières et déterminables sur le plan des grands nombres. Certes on
peut nous jurer que l'indétermination de l'unité ne résulte que de notre ignorance,
mais une telle assertion est stérile ; au contraire la reconnaissance et l'utilisation
de la notion de « au hasard » a été la base heuristique qui a permis le développe
ment de la statistique. Depuis Mendel fondateur de la génétique, depuis Ludwig
Boltzmann, fondateur de la statistique mécanique, depuis Max Planck (le hasard
dans le champ de l'énergie), depuis Einstein jusqu'aux transformations stochas
tiques, l'utilisation des chaînes Markoviennes, etc. le hasard devient un élément
scientifique intégré, reconnu, et cette intégration en même temps qu'elle marque
une limite à la connaissance, lui fait faire un bond en avant.
Allons, allons ! Randomness — la « hasardité » — est une conquête du xxe siè
cle, et non une inquiétante régression. Certes, le mot hasard peut être connoté
de façon très diverse. L'indéterminabilité, au niveau des unités élémentaires
comme au niveau des interactions au sein des systèmes complexes, peut être
conçue, soit comme notre incapacité, peut-être provisoire, à saisir la conjonction
ou l'interférence de multiples facteurs, soit comme un principe pragmatique qui
ne préjuge en rien de la nature de la réalité étudiée, soit comme un trait constitut
if, ontologique de cette réalité. Il y a des glissements fréquents entre ces diverses
acceptions. Et la sentinelle déterministe est prête à voir, prévoir, dénoncer
d'avance le glissement.
Mais le terme de déterminisme non plus n'est pas univoque : ou bien il s'agit
d'un principe trivial, signifiant que rien ne naît ex nihilo, ou bien il s'agit d'un
principe heuristique, enjoignant à tout savant de rechercher des relations néces
saires, ou encore il renvoie à une ontologie mécaniste du type Laplace.
En fait ces notions ont des racines dans les zones obscures de l'esprit, lesquelles
existent aussi chez le savant où une ferveur épistémologique peut dissimuler un
attachement ontologique. Dans l'arrière-fond il y a deux attitudes psycho-
affectives, voire magico-religieuses, qui se disputent l'esprit humain. D'un côté,
comme disait Bacon « l'entendement humain est incliné à supposer l'existence
174 L'événement-sphinx
dans le monde de plus d'ordre et de régularité qu'il n'en trouve ». Machine à
rationaliser et à réduire le divers, il a très grande difficulté à admettre la coïnci
dence accidentelle et l'aléa. Du reste, partout où il y a hasard (jeu de cartes,
dés, collision), quelque chose en nous croit qu'il y a destin et fait même des jeux
de hasard (cartomancie) les révélateurs du destin. C'est cette tendance qui s'est
incarnée aussi bien dans l'astrologie (où tous les événements singuliers d'une vie
sont déterminés par la configuration astrale) que dans le déterminisme rationaliste.
Mais, d'un autre côté, la conscience subjective se sent ou se veut libre et auto
nome. D'où cet humanisme euphorique qui veut soustraire le royaume de l'homme
à l'inexorable nécessité des lois de la nature; la croyance en une surnature,
en un Dieu souverain, qui ne peut admettre le règne tout puissant du déte
rminisme sur le monde; et, enfin, le désespoir de ceux qui ne croient plus en Dieu,
mais ne peuvent croire que le monde soit auto-suffisant et auto-satisfaisant, et
ici le Hasard prend la place laissée vide par le Créateur, l'Inventeur...
Au départ, le déterminisme est aussi bien appelé que rejeté par des pulsions
ontologiques profondes, qui, transmutées

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