L'historiographie d'Al-Andalus durant la période des Etats-Taifas - article ; n°1 ; vol.40, pg 123-141

M. Benaboud

Description

Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée - Année 1985 - Volume 40 - Numéro 1 - Pages 123-141
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: REVUE_DE_L-OCCIDENT_MUSULMAN_ET_DE_LA_MEDITERRANEE
• Publié le: 01 janvier 1985
• Nombre de lectures: 40
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

M. Benaboud
L'historiographie d'Al-Andalus durant la période des Etats-Taifas
In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°40, 1985. pp. 123-141.
Citer ce document / Cite this document :
Benaboud M. L'historiographie d'Al-Andalus durant la période des Etats-Taifas. In: Revue de l'Occident musulman et de la
Méditerranée, N°40, 1985. pp. 123-141.
doi : 10.3406/remmm.1985.2098
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1985_num_40_1_209840, 1985 - 2 R.O.M.M.,
D' AL-ANDALUS L'HISTORIOGRAPHIE
DURANT LA PERIODE DES ETATS-TAIFAS
par
M. BENABOUD
L'historiographie d'al-Andalus durant le XIe siècle est passionnante, car, sans rompre
avec la tradition des écrits historiques andalous jusqu'à la période des Banû-Umayya, elle
est caractéristisée par une complexité inhabituelle, dont le niveau n'a jamais été atteint
durant les siècles de l'histoire andalouse qui ont suivi.
Avant d'examiner l'historiographie andalouse de ce siècle, il est utile d'indiquer que
le terme d' «historiographie» peut être quelque peu vague, pour la raison essentielle qu'en
l'occurence, l'écriture y est multidimensionnelle. Elle concerne d'abord la matière du sujet
(celle qui est disponible dans les sources primaires), laquelle varie d'un sujet à l'autre. Il
faut ensuite noter l'angle, ou les angles sous lesquels l'écrivain historien choisit d'envisa
ger cette matière qu'il a sélectionnée, son choix pouvant être influencé par de multiples
facteurs ou critères. On pourrait y ajouter l'inévitable contribution personnelle de l'hi
storien à cette matière à travers l'interprétation qu'il en donne et la relation entre ce qu'il
a produit et la manière selon laquelle sa conception s'approche ou s'écarte de la réalité
historique qu'il essaie d'atteindre ou de recréer. La complexité de l'historiographie devient
surtout apparente lorsqu'elle traite de périodes, de zones géographiques et de sociétés dif
férentes etc. Par conséquent, la question : qu'est-ce que l'historiographie ? demeure dans
une certaine mesure un peu abstraite, jusqu'au moment où elle est appliquée à un sujet
concret, limité dans l'espace et dans le temps.
Notre but dans cet article est d'illustrer certains traits caractéristiques des écrits histo
riques dans al-Andalus durant le XIe siècle, dans la mesure où ils constituèrent une phase
importante dans le développement général de l'historiographie andalouse, laquelle fut carac
térisée par une tradition riche et variée. Ceci est d'autant plus vrai que certains des histo
riens les plus éminents, comme Ibn Hayyân (1), ont produit alors des oeuvres historiques
uniques en leur genre, se distinguant, aux yeux même des historiens du XXe siècle, par
leur profondeur. U est donc possible de parler d'une tradition historiographique andalouse
propre au XIe siècle. On pourrait également citer d'éminents historiens qui, tout en fai
sant partie intégrante de cette tradition, l'ont enrichie, réorientée et développée, en influen
çant les écrits historiques des siècles postérieurs non seulement en Andalus, mais aussi à
l'étranger, en particulier au Maghreb et au Moyen-Orient (2).
Il va de soi que pour être intéressante, toute étude de l'historiographie doit s'attacher
à l'examen d'historiens sérieux. Quelle est donc la valeur des écrits historiques dans al-
Andalus durant la période des Etats-Taifas, et quelle est celle de l'étude de l'historiogra
phie d'une période plus limitée encore ? Il est couramment reconnu par les historiens modern
es que l'écriture historique fut hautement développée à cette époque. Il suffit pour cela 124 M. Benaboud
de citer les œuvres de l'historien contemporain le plus représentatif, Ibn Hayyân. Mais
quels sont les critères à utiliser pour distinguer la bonne historiographie de la mauvaise ?
Qu'est ce qui rendit l'historiographie andalouse si unique, et pourquoi le XIe siècle doit-il
être particulièrement mis en exergue ? De quelle manière l'historiographie de cette épo
que peut être comparée aux écrits historiques d'al-Andalus en général, et quels sont ses
traits essentiels ? Quels sont les grands écrivains andalous de l'époque et quelle est l'impor
tance de leur contribution ? Comment ont-ils écrit l'histoire et quelles sont leurs appro
ches et leurs techniques historiographiques ? Comment les historiens éminents et le mou
vement général des écrits historiques se sont-ils mutuellement influencés durant cette
période ? Nous essaierons de répondre à toutes ces questions dans cet article. L'objectif
réel n'en est pas de traiter un sujet aussi vaste d'une manière exhaustive, mais simplement
de susciter et de stimuler l'intérêt des chercheurs, de suggérer les domaines vers lesquels
la recherche pourrait être orientée dans le contexte du sujet, et de souligner certains de
ses aspects prééminents. Tout en dégageant les grandes lignes des questions que nous tra
iterons, nous citerons des exemples précis, pour mieux illustrer nos propositions d'ordre
général, et nous traiterons en particulier un cas, celui de 'Abd-Allâh Ibn-Buluggïh az-ZïiT,
à titre d'exemple.
L'historiographie d'al-Andalus durant le XI' siècle
Avant d'examiner la nature des écrits historiques dans al-Andalus durant le XIe siècle,
il convient de poser la question suivante : par quels moyens ont-ils atteint ce niveau et
cette importance ? De nombreux facteurs encouragèrent le développement de ce courant;
mais il faut souligner plus particulièrement les facteurs suivants : l'héritage culturel et intel
lectuel dans al-Andalus au XIe siècle; les figures intellectuelles exceptionnelles de l'époque;
la liberté de pensée et d'expression; l'intégrité et la créativité qui caractérisèrent les érudits
de cette période; enfin le développement de l'histoire en tant que discipline professionnelle.
1 . L'héritage culturel et intellectuel au XI' siècle en Andalus
Sans la tradition culturelle et intellectuelle héritée des trois siècles précédents, et plus
particulièrement du Xe siècle, le développement des différentes branches du savoir dans
al-Andalus, y compris l'histoire, n'aurait jamais atteint ce niveau durant le XIe siècle. Il
existe de nombreuses études sur les réalisations culturelles et intellectuelles andalouses durant
l'époque des Banû-Umayya, et le dernier calife effectif de cette dynastie, al-Hakam II, fut
renommé pour son savoir, et pour sa volumineuse bibliothèque, unique en son genre (3).
Ces réalisations étaient largement dues à l'influence du Moyen-Orient sur pratiquement
toutes les branches du savoir, et ce courant a été souligné plus nettement par les érudits
arabes qui ont étudié les domaines spécifiques où l'impact direct des savants arabes médié
vaux fut le plus fort.
Cependant, ce fut peut-être durant le XIe siècle que le développement du savoir attei
gnit son point culminant en Andalus, en partie, du fait qu'il fut marqué par un caractère
original propre. En d'autres termes, en Andalus, le savoir devint plus andalou durant le
XIe siècle. L'importance de ce changement radical ou de cette révolution est claire dans
de nombreuses branches du savoir. Cela ne veut pas dire que les érudits se coupaient de
leurs racines dès lors qu'ils se dégageaient de l'orientation de leurs prédécesseurs andalous
ou orientaux, mais simplement qu'ils fertilisaient cette tradition culturelle et intellectuelle
par l'élaboration d'un œuvre neuve et originale. Par exemple, le dictionnaire bio
bibliographique d'Ibn-Bashkuwâl sur les 'ulamâ et les fuqahâ andalous du XIe siècle est
une continuation ou une prolongation de l'ouvrage d'Ibn al-Faradr sur les savants anda
lous jusqu'au XIe siècle (4). Contrairement au livre intitulé al-'Iqd d-farïd d'Ibn-' Abd-Rabbih,
qui constitue une anthologie littéraire des poètes du Moyen-Orient, Ibn-Bassâm écrivit d' Al-Andalus 125 L'historiographie
l'anthologie littéraire de la poésie et de la prose andalouses du XIe siècle dans son œuvre
en huit volumes ad-Dahïrafî mahâsin ahl a