L inceste dans les textes de la Grèce classique et post-classique - article ; n°1 ; vol.9, pg 99-115
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Description

Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens - Année 1994 - Volume 9 - Numéro 1 - Pages 99-115
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Françoise Héritier-Augé
L'inceste dans les textes de la Grèce classique et post-classique
In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 9-10, 1994. pp. 99-115.
Citer ce document / Cite this document :
Héritier-Augé Françoise. L'inceste dans les textes de la Grèce classique et post-classique. In: Mètis. Anthropologie des mondes
grecs anciens. Volume 9-10, 1994. pp. 99-115.
doi : 10.3406/metis.1994.1014
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/metis_1105-2201_1994_num_9_1_1014L'INCESTE DANS LES TEXTES DE LA GRÈCE CLASSIQUE ET
POST-CLASSIQUE
Je m'appuie sur des textes grecs - mais on peut faire le même travail sur des
textes de lois hittites ou assyriennes, ou sur la Bible ou le Coran - pour
témoigner de l'existence d'une variété d'inceste jusqu'ici non perçue de
façon claire, et qui me paraît à l'analyse être plus fondamentale que
l'inceste tel qu'il est défini classiquement: à savoir un rapport de nature
sexuelle entre des consanguins de sexe différent ou des alliés, aux degrés
prohibés par la loi. J'appelle cette deuxième variété de l'inceste, Vinceste du
deuxième type, ou de façon plus littéraire, en me référant à la plus ancienne
mention juridique connue dans le droit hittite: l'inceste des deux sœurs, ou
des deux sœurs et leur mère.
Emile Littré avait donné dans son Dictionnaire la définition suivante de
l'inceste: "conjonction illicite entre des personnes qui sont parentes ou
alliées au degré prohibé par la loi". Je suis remplie d'admiration pour la
pertinence et la finesse de cette définition. Littré en effet se garde bien de
restreindre l'inceste au rapport charnel (conjonction illicite); il ne précise
pas que les partenaires devraient être de sexe différent; enfin il rapporte
l'inceste à la loi qui le prohibe, dont l'ampleur sociale peut varier selon les
groupes humains.
Mon admiration pour Littré porte essentiellement sur le deuxième point:
il ne précise pas que les partenaires de cette conjonction illicite devraient
être de sexe différent. Il s'agit vraisemblablement d'une omission qui tient à
ce que la chose semble naturellement aller de soi. Il serait donc redondant de
le dire explicitement. Cependant, ce détail est troublant quand il s'agit d'un
homme aussi épris de précision que Littré. Avait-il la prescience que la
notion d'inceste pouvait recouvrir des catégories plus larges que celles que FRANÇOISE HÉRITIER - AUGE 100
l'on entend habituellement? Auquel cas, Littré serait un anthropologue
génial.
Car à côté de l'inceste du premier type, qui est un rapport illicite
hétérosexuel entre apparentés, existe cet inceste du deuxième type dont je
souhaite parler ici, et qui est le rapport établi entre deux personnes de même
sexe, consanguines ou alliées, par le fait qu'elles partagent ou ont partagé un
même partenaire sexuel. L'inceste est établi sans contact charnel direct
entre ces deux consanguins de même sexe, et très généralement, lorsqu'il est
explicitement condamné, il convient de faire cesser par divers moyens,
rituels ou autres, ce rapport incestueux qui est dangereux pour la collectivité
tout entière.
Ce qu'il nous faut comprendre, c'est les raisons de l'interdiction de
certaines liaisons sexuelles, en prenant notamment au pied de la lettre des
catégories indigènes englobantes, où se trouvent rangés des délits sexuels qui,
selon la manière occidentale actuelle de voir, recouvriraient indifféremment
des cas d'inceste dit "vrai" (du premier type) et d'autres qui seraient de
simples adultères (un homme marié qui aurait pour maîtresse sa belle-sœur
ou sa belle-fille), ou même de simples fornications (un homme célibataire qui
aurait des rapports sexuels avec deux sœurs, elles-mêmes non mariées, par
exemple).
Quand une société définit des interdits portant sur la sexualité,
qu'entend-elle rejeter et pourquoi? Que veut-elle proscrire et prescrire?
L'existence d'un inceste du deuxième type nous conduit à concevoir la
prohibition de l'inceste comme un problème de circulation des fluides d'un
corps à un autre. Le critère fondamental de l'inceste, c'est la mise en contact
d'humeurs identiques. Il met en jeu ce qu'il y a de plus fondamental dans les
sociétés humaines: la façon dont elles construisent leurs catégories de
l'identiqUe et du différent. C'est en effet sur ces catégories qu'elles fondent
leur classification des humeurs du corps et le système de prohibition/sollici
tation qui régit leur circulation.
L'opposition entre identique et différent est première, parce qu'elle est
fondée, dans le langage de la parenté, sur ce que le corps humain a de plus
irréductible: la différence des sexes. C'est un butoir pour la pensée naissante
d'Homo Sapiens, que l'on ne peut assimiler dans des catégories plus larges,
que l'on ne peut pas contourner. Thema archaïque, de ceux qui sous-tendent
toute production intellectuelle, on la trouve au coeur de tout discours
scientifique et de tout système populaire de représentations. D'elle dérivent
les problématiques du même et de l'autre, de l'un et du multiple, du continu
et du discontinu... Sur un plan moins abstrait, des valeurs propres, présentées
sous forme d'oppositions - chaud/froid, clair/obscur, sec/humide, lourd/lé
ger, etc. - connotent les éléments du monde, dont le masculin et le féminin, L' INCESTE DANS LES TEXTES DE LA GR ÈCE CLASS IQUE 101
selon leur classement dans l'une ou l'autre catégorie. Mais au sein de
l'opposition en deux catégories déterminées par le sexe, chacune qualifiée de
différentes valeurs, des identités de substance particulièrement fortes
caractérisent certains individus: les couples de jumeaux, deux frères, deux
sœurs, un père et ses fils, une mère et ses filles, comme aussi, selon différents
points de vue, les membres d'un même lignage, les commensaux à une
même table, etc.
Reste la question, naturellement, de savoir pourquoi la mise en rapport
de deux identiques, de deux personnes ayant même partiellement une
substance commune, est interdite dans de nombreuses sociétés, et notam
ment toutes celles qui fonctionnent avec un large éventail de prohibitions
matrimoniales. A travers l'analyse de données historiques ou ethnographi
ques, il apparaît qu'au-delà des variations locales, il n'y a de choix qu'entre
deux possibilités, en raison des effets bons ou mauvais, qu'elles sont censées
produire. Lorsque le cumul de l'identique est censé produire de mauvais
effets, il sera interdit et seront recherchées des juxtapositions ou combinai
sons entre des éléments classés comme étant de nature différente. Le cumul
de l'identique sera au contraire recherché dans des sociétés ou dans des
situations particulières où il serait censé produire de bons effets. Au sein
d'une même société, il peut être interdit dans l'appariement des corps, mais
recherché en médecine, pour de mêmes raisons fondamentales. En effet,
lorsqu'ils sont interdits, les cumuls d'identique sont généralement
sanctionnés par divers maux individuels ou collectifs, au premier rang
desquels vient la stérilité selon deux modes apparemment contradictoires
mais concourant au même effet: par dessèchement ou par liquéfaction. Le
dessèchement fatal pour la reproduction peut être recherché pour guérir des
purulences, par exemple.
C'est dans cette expérience et prise de conscience originaires de la
différence des sexes, et dans les élaborations intellectuelles complexes qui
s'en sont suivies dans l'histoire de l'humanité, que je place l'origine et la
raison d'être de la prohibition de l'inceste, comme nous le verrons plus loin.
Mais il m'a fallu pour intégrer tous les aspects connus, élargir la définition
de l'inceste.
L'idée d'inceste du deuxième type m'est venue à la lecture d'un article
déjà ancien de Reo Fortune publié dans Γ Encyclopaedia of the Social
Sciences1. Il pose incidemment la question de savoir pourquoi, quand on
1. Reo Fortune, "Incest", International Encyclopaedia of the Social Sciences, New
York, vol. 7, 1932, p. 115. "The prevai

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