L ironie dans les « Provinciales » de Pascal - article ; n°1 ; vol.38, pg 39-50
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L'ironie dans les « Provinciales » de Pascal - article ; n°1 ; vol.38, pg 39-50

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Description

Cahiers de l'AIEF - Année 1986 - Volume 38 - Numéro 1 - Pages 39-50
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 37
Langue Français

Extrait

Gérard Ferreyrolles
L'ironie dans les « Provinciales » de Pascal
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1986, N°38. pp. 39-50.
Citer ce document / Cite this document :
Ferreyrolles Gérard. L'ironie dans les « Provinciales » de Pascal. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1986, N°38. pp. 39-50.
doi : 10.3406/caief.1986.1964
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1986_num_38_1_1964L'IRONIE DANS LES « PROVINCIALES »
DE PASCAL
Communication de M. Gérard FERREYROLLES
{Université de Rouen)
au XXXVIIe Congrès de l'Association, le 23 juillet 1985
Qui croirait, à entendre depuis plus de trois cents ans la
critique vanter dans les Provinciales un chef-d'œuvre d'ironie,
qu'il n'existe aucune étude d'ampleur spécifiquement consa
crée à ce thème ? Nous n'avons qu'une dizaine de pages (ce
qui est bien court : je le mesure en ce moment) dans Je livre
de Patricia Topliss, The rhetoric of Pascal (1). Le travail
le plus approfondi sur l'ironie pascalienne, celui de J. Mes-
nard, porte sur les Pensées (2). Significativement, l'ouvrage
canonique de Jankélévitch sur l'Ironie, s'il emprunte plu
sieurs exemples à Pascal, ne les puise jamais dans les Pro
vinciales mais toujours dans les Pensées : ce choix est
révélateur d'une prédilection que nous a léguée le romantisme
et que nous commençons seulement de remettre en ques
tion (3). D'autre part, l'évidence même du procédé ironique
dans les Provinciales semblait le dispenser d'analyse. C'est
à cette conjonction d'un obscurcissement historique et d'un
ébíouissement stylistique que notre sujet doit, malgré sa
vastitude, d'être pratiquement inexploré. Il méritait une thèse,
(1) Leicester University Press, 1966.
(2) Chapitre « l'Ironie » dans Les Pensées de Pascal, Paris, SEDES, 1976
(p. 277-299). Nous lui devons l'origine de plusieurs idées ici présentées.
(3) Cf. notre Biaise Pascal : les Provinciales, coll. « Etudes littéraires »,
Paris, P.UJ7., 1984 (p. 107-108). 40 GÉRARD FERREYROLLES
il se contentera pour le moment d'une communication. Celle-
ci traitera, d'une façon nécessairement sommaire, du double
aspect que l'ironie nous paraît revêtir dans les Provinciales :
l'ironie rhétorique et l'ironie socratique (4) ; une troisième
partie envisagera le problème, crucial dans une polémique
religieuse, de la justification de l'ironie.
En premier lieu, l'usage le plus évident que Pascal fait de
l'ironie dans les Provinciales relève de ce que l'on peut appeler rhétorique. Par cette expression, entendons tout ce
que les rhétoriciens désignent comme le mécanisme caracté
ristique de l'ironie : l'inversion sémantique. Voici, par
exemple, la définition que donne un des traités illustres du
siècle de Pascal, Je Commentariorum Rhetoricorum (...) de
Vossius : « II y a ironie quand, au travers de ce qui est dit,
on comprend le contraire » (5). Immédiatement, le lecteur
des Provinciales songe à toutes les formules par lesquelles
Montalte semble louer les maximes des casuistes jésuites qui,
en réalité, le scandalisent ; à la IVe Lettre, lorsqu'un premier
interlocuteur jésuite lui apprend que l'oubli entier de Dieu
excuse le péché : « О que cela me plaît ! lui répondis-je ;
que j'en vois de belles conséquences ! (...) Mais, mon Père,
ne me donnez-vous point une fausse joie ? » (IV, 58) (6) ; à
la Ve : « Voilà un honnête homme, lui dis-je, qu'Escobar »
(V, 82) ; à la VIe, devant une maxime qui heurte de front
une décision pontificale : « Cela est très respectueux, lui
(4) Ce sont deux modes de l'ironie distingués depuis l'antiquité : voir
Cicéron, De Oratoře (II, 269-270) et Quintilien, Institution oratoire (VIII, 2).
Pour ce dernier, l'ironie, sous la forme que nous dénommons ici « rhéto
rique », est un trope ; sous la seconde forme, une figure.
(5) Livre IV, chap. 9 (4e éd., Leyde, 1643). La traduction est celle qui
est donnée dans le numéro de la revue Poétique consacré à l'ironie (n° 36,
nov. 1978, p. 498).
(6) Le numéro en chiffres romains est celui de la Lettre ; en chiffres
arabes, celui de la page dans l'éd. Cognet, Paris, Gamier, 1965. Cette édi
tion, à la fois savante et accessible, a toutefois l'inconvénient de reproduire
l'édition de 1659 (2* tirage), où les corrections — qui ne sont pas de
Pascal — réduisent notablement la part de l'ironie (cf. Le Guern, Les
Provinciales ou les excès d'un polémiste abusé, l'Imposture littéraire dans
les « » de Pascal, par R. Duchêne, Publications de l'Université
de Provence, 1985, 2" éd., p. 309-311). L'IRONIE DANS LES « PROVINCIALES » 41
dis-je » (VI, 100). On pourrait multiplier les exemples pour
les Lettres IV à X (où Pascal imagine un dialogue entre
Montalte et un Père jésuite), parce que les approbations
feintes sont présentées comme indispensables à la poursuite
de l'entretien : le bon Père, dit Montalte, ne « continuerait
pas » ses discours « s'il s'apercevait que j'en fusse si cho
qué » (VIII, 134). Montalte est indigné, mais si son indigna
tion éclate, il ne peut plus remplir sa mission d'informateur.
L'ironie apparaît donc nécessaire à la cohérence de la fiction,
à la constitution même du texte. Un second avantage procuré
par l'emploi de l'ironie est de permettre l'identification des
points de vue du lecteur et de Montalte : ils ont en effet en
commun la jouissance du sens authentique des paroles pro
noncées et peuvent ainsi jeter un regard condescendant sur
le pauvre jésuite réduit au fallacieux bonheur du sens littéral.
La libido dominandi permet rarement à l'homme déchu de
s'identifier aux victimes.
Mais l'ironie, dans ces Lettres IV à X, est perceptible
encore à d'autres niveaux. Outre l'ironie de Montalte-locuteur,
il y a celle de Montalte-narrateur, qui ajoute ses commenta
ires aux « conférences » qu'il rapporte (7). Devant un texte
des jésuites, par exemple, affirmant que les Pères de la
Compagnie ont « changé la face de la Chrétienté », Montalte-
narrateur commente : « il le faut croire puisqu'ils le disent »
(V, 73) ; et Montalte ne se contente pas d'une approbation
ironique, il rend ironique le texte lui-même en lui prêtant
un second sens opposé au premier : « Vous l'allez bien voir
dans la suite de ce discours », ce qui revient à dire que les
jésuites ont effectivement changé la face de la Chrétienté,
mais pour l'avoir avilie et non ennoblie. Enfin demeure
l'instance de l'auteur. C'est à lui seul qu'on peut attribuer
les hyperboles à valeur ironique placées dans la bouche du
jésuite (que ce soit celui de la IVe Lettre ou celui des sui-
(7) Ceux-ci portent principalement sur les jésuites, mais parfois sur
Montalte lui-même comme locuteur. Ce dernier cas relève plutôt de l'hu
mour, si on le définit par Pauto-ironie. 42 GÉRARD FERREYROLLES
vantes) : « voyez ce livre du Père Annat », dit-il à Montalte,
« voyez les lignes que j'ai marquées avec du crayon ; elles
sont toutes d'or » (IV, 57). L'emphase ridicule avec laquelle
le bon Père annonce ses illustres confrères et leurs admirables
méthodes qui transforment l'assassinat en l'un des beaux-
arts, disqualifie le Père lui-même, ses casuistes corrompus
et leurs diaboliques maximes. Son propre discours se détruit
dans l'affirmation délirante de son omnipotence.
Quoique le rôle des différentes instances que nous venons
de distinguer (locuteur, narrateur, auteur) se modifie dans
les autres Lettres, il serait hasardeux de limiter, comme tend
à le faire P. Topliss, l'emploi de l'ironie au dialogue entre
Montalte et le Père jésuite. Même si elle est rare dans la XIVe
Provinciale (où Montalte se défend sur le sujet de l'homicide),
et limitée dans les deux dernières (où Pascal ménage la
possibilité d'un accommodement avec le P. Annat), l'ironie
rhétorique n'est absente d'aucune des « petites Lettres ».
Elle prés

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