L œuvre ethnologique et sociologique de Maurice Leenhardt - article ; n°10 ; vol.10, pg 51-69
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Description

Journal de la Société des océanistes - Année 1954 - Volume 10 - Numéro 10 - Pages 51-69
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1954
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Métais
L'œuvre ethnologique et sociologique de Maurice Leenhardt
In: Journal de la Société des océanistes. Tome 10, 1954. pp. 51-69.
Citer ce document / Cite this document :
Métais Pierre. L'œuvre ethnologique et sociologique de Maurice Leenhardt. In: Journal de la Société des océanistes. Tome 10,
1954. pp. 51-69.
doi : 10.3406/jso.1954.1810
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jso_0300-953X_1954_num_10_10_1810Ill
L'ETHNOLOGUE
L'OEUVRE ETHNOLOGIQUE ET SOCIOLOGIQUE
DE MAURICE LEENHARDT
Nous nous proposons de marquer d'une manière brève quelques-uns
des aspects de l'œuvre de Maurice Leenhardt et d'indiquer les pro
blèmes qu'elle pose. Évoquons tout d'abord les événements dominants
de sa vie qui éclairent cette œuvre et aident à sa compréhension.
Fils d'un professeur de philosophie des sciences et de géologie de la
Faculté protestante, il manifeste très tôt un goût marqué pour les pro
blèmes sociaux et la vocation missionnaire. Les historiens de sa pensée
en chercheront les raisons dans l'enveloppement religieux familial,
mais plus encore dans un donné psychologique et social, son affec
tivité particulière qui constituait un des traits les plus attachants de
sa personne. Affectivité prédéterminant et peut-être s'imposant
toujours à l'intelligence, toute de sérénité digne, de stabilité, qui, vivi
fiée par le christianisme, donnait à sa personne une atmosphère de
patriarche. Affectivité qui irradiait, sympathie pénétrante, tact subtil,
mode de connaissance, d'une sûreté comparable à celle de l'intell
igence, s'installant en Y alter par-delà le corps. Maurice Leenhardt,
selon nous, « éprouvait » les êtres par participation, communion,
amour, plus qu'il ne les connaissait par analyse intellectuelle. C'est
grâce à cette affectivité spécifique qu'il a vécu, senti, saisi la vie con
crète, la pérennité, l'archaïsme de la société mélanésienne. On peut
dire encore qu'elle était tension et conquête, transmuée par l'éducation
religieuse et chrétienne en un messianisme généreux qui a pris forme
sans doute avec l'apostolat, une « caritas » chrétienne expansive,
intuitive, humainement persuasive dans son effort pour arracher le
sceptique à son devenir incertain et insuffler en lui la « Vie ». C'est
cette attitude, méthode prémonitoire de la science, qui donne un climat SOCIETE" DES OCÉANISTES. 52
humain, humaniste aux ouvrages de M. Leenhardt, les colore d'une
atmosphère de quiétude, de philosophie.
Il effectue ses études de théologie protestante et passe son bacca
lauréat dans cette discipline, avec un mémoire sur « le mouvement
éthiopien en Afrique du Sud », travail qui affirme son intérêt pour les
sciences humaines. Consacré pasteur, il part en Nouvelle-Calédonie
en 1902, avec sa jeune épouse, créer, animer et donner un prestigieux
développement et éclat à Do Neva, le « Vrai Pays », près de Gondé,
sur les pentes de la route qui mène de Coula à Houaïlou. Écoles,
ateliers allaient s'édifier, les champs se débrousser et les attelages
de bœufs apparaître, que les tracteurs modernes suppléent depuis
quelques années.
L'on a peine, avec le recul du temps, à s'imaginer l'atmosphère,
- le « climat psychologique » des tribus indigènes victorieuses ou vain
cues, vingt-cinq ans environ, après la révolte de 1878, et les problèmes
sociaux que devait affronter le missionnaire catholique ou protestant.
Mais, un certain nombre de faits paraissent sûrs. Le passage d'une
forme de vie dynamique, de paysans, chasseurs, pêcheurs, mais aussi
et surtout guerriers, à une autre infiniment plus statique, contrôlée;
l'acceptation d'une tutelle appuyée sur la force, en l'occurrence, le
changement de rythme amène nécessairement, chez les peuples
vaincus ou colonisés, une période de découragement, plus ou moins
longue et intense, plus ou moins mortelle. En Nouvelle-Calédonie,
il semble qu'elle ait pris un aspect tragique, à cause du volume rel
ativement peu dense des tribus, de leur caractère particulariste :
poussière de communautés à pénétration relativement facile, et
surtout en raison de leur proximité des centres européens qui apport
aient et apportent encore avec eux les bienfaits de la culture, mais
aussi les méfaits : jadis l'alcool et les maladies contagieuses, maintenant
la bière « Marie Bert » et mettaient en contact le jeune autochtone
avec certains éléments de la main-d'œuvre, aux mœurs douteuses.
Henri Ponkoyeux de Kouaoua, un homme d'une cinquantaine
d'années, dans un discours de tempérance fait aux jeunes l'an dernier,
à Choea, Canala, évoquait d'une manière réaliste et ironique cette
époque : « N'allez plus sous le banian aux c... ». A la suite d'une visite
du gouverneur, les chefs des environs s'étaient réunis sous l'arbre
en question et avaient absorbé de nombreuses bonbonnes de vin
avant de se battre entre eux. Ailleurs, dans la plaine de Kouaoua, l'on
voit une vaste étendue tapissée de vestiges de tarodières et où pais
sent quelques rares têtes de bétail, acquise, m'a-t-on dit, par des
moyens discutables, l'alcool y compris. Ailleurs encore, à Couli, MAURICE LEKNHAHDT. 5 H
c'est une caféerie cédée pour quelques bouteilles de rhum. Cette
phrase d'un vieil indigène de l'époque, rapportée par Maurice Leen-
hardt, évoque la perte du goût de vivre et la malédiction dont ils
se croyaient l'objet : « II vaut mieux boire et puis crever ».
Voici donc des images réalistes qui ravivent le « sombre climat »
social autochtone du début de ce siècle, s'offrant au missionnaire
et au pasteur. Elles illustrent le problème capital qui se posait à eux.
Il fallait créer une communauté chrétienne s'adaptant progressive
ment, intellectuellement, affectivement, par son comportement et
sa vie matérielle, etc., à celle des nouveaux venus. Ou encore, le problème
consistait à infuser une « vie » chrétienne dans une pensée du néoli
thique, à édifier une société moderne.
Dans l'aire où il exerçait son apostolat, Maurice Leenhardt fut guidé
par ce double aspect de la transmission de la civilisation : le culturel
et l'économique, le spirituel et le matériel. D'où la création à Do Neva
d'une école formatrice de pasteurs qui évangéliseraient dans leur langue,
le houaïlou, fait capital, — et d'une école professionnelle. Notre pro
pos n'est pas, ici, d'examiner les thèses, les résultats intellectuels,
sociaux de cette éducation chrétienne et humaniste, ni de prétendre
porter un jugement de valeur sur l'œuvre missionnaire de M. Leen
hardt. Qu'il nous soit permis seulement de dire, sans la moindre
nuance d'esprit thuriféraire, que son nom, comme d'ailleurs celui
du Père Luneau, mort accidentellement à Bahrein, surgit dans les
vallées même les plus éloignées, comme un emblème vivant, comme
le sceau de la renaissance de la population autochtone (1). Pour l'étran
ger qui vient à la tribu et le prononce, c'est un sauf-conduit et une
lettre d'introduction.
La vocation missionnaire de M. Leenhardt, animée par les exigences
affectives, précédemment notées, sa pédagogie, procédant du respect
de la personne, de sa liberté de jugement, de sa conscience, du souci
de transmettre l'esprit, non la lettre, et qui est celle des grands maîtres
quel que soit le courant philosophique, religieux ou laïque qui les
porte : de Montaigne à Paul Bert, Buisson, Pécaut, l'amènent à l'ethno
graphie et à la science. De là son souci premier d'apprendre le plus
profondément possible la langue de Houaïlou, puis de parler, de
penser, de repenser sans cesse les évangiles en autochtone avant de les
exposer sous forme « d'invitation » à penser, de « méditations » suivies
(1) Le Père Luneau, tué dans un accident d'aviation, possédait aussi un noble
et puissant prestige sur les autochtones. L'on se souviendra de la manifestation
imposante en sa mémoire, à Canala, le

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