La chanson de Damsan. Texte et traduction - article ; n°1 ; vol.33, pg 143-302
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Description

Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient - Année 1933 - Volume 33 - Numéro 1 - Pages 143-302
160 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1933
Nombre de lectures 25
Langue Français
Poids de l'ouvrage 10 Mo

Extrait

L. Sabatier
V. La chanson de Damsan. Texte et traduction
In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 33, 1933. pp. 143-302.
Citer ce document / Cite this document :
Sabatier L. V. La chanson de Damsan. Texte et traduction. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 33, 1933.
pp. 143-302.
doi : 10.3406/befeo.1933.4619
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/befeo_0336-1519_1933_num_33_1_4619LA CHANSON DE DAMSAN
LÉGENDE RECUEILLIE CHEZ LES RhADE DE LA. PROVINCE DU DaRLAC.
Texte et traduction par L. SABATIER,
Administrateur des Services Civils.
Introduction.
La Chanson de Damsan est un khan. Le khan est la légende chantée, si tant
est que l'on puisse appeler chant la triste et monotone mélopée que constituent
ces récits du passé, psalmodiés sur deux notes à raison de trois mots sur u:i
ton au-dessus du ton normal et trois mots sur un ton un peu au-dessous.
Maître, dans son premier ouvrage Le plateau du Darlac, déclare que les
Rhadé répugnent à chanter le khan devant un étranger et que, pour cette
raison, il ne lui a jamais été donné d'en entendre. Il ne me semble pas que
cela soit exact. Une question mal posée ou incomprise est souvent la cause de
ces méprises qui laissent supposer que les primitifs font mystère de certains
actes de leur vie courante, de certaines de leurs coutumes. Dans beaucoup
de cas, cette réserve de leur part est aussi le fait de la crainte. Ils ont trop
appris à leurs dépens qu'ils ont tout à redouter des organisateurs malad
roits ou des désorganisateurs inconscients que nous sommes parfois. Pendant
dix ans j'ai ignoré les khan, et cela uniquement parce que les circonstances
ne m'avaient pas amené à en connaître l'existence. Comme le furent les
lois, ils m'ont été révélés par un hasard fortuit. Je me souviens de la stupé
faction indignée de mes commensaux Ma Ngay, Ma Bli, Ma Bcrk à ma question :
«Qu'est-ce donc que le khan}», le jour où j'en entendis parler pour la
première fois. « Le khan, mais c'est ce qu'il y a de plus beau ! Lorsque dans
une maison quelqu'un chante le khan, le soleil qui se couche voit les gens
attentifs, immobiles et les retrouve tels à son lever ; lorsque dans une maison
quelqu'un chante le khan, les femmes cessent de crier, les enfants de pleurer,
personne ne dort, personne ne parle, tout le monde écoute... — Mais qui
connaît des khan ? — Y Bloy en connaît beaucoup. — Pourrait-il venir ? — Mais
il est mort. » Ils étaient tous morts, les chanteurs de khan. Après de longues
recherches, on découvrit un vieillard aveugle qui connaissait un khan, celui de
Damsan.
Je ne puis dire mon émotion lorsque j'entendis pour la première fois cette
■mélopée si triste évoquer un passé que la découverte des lois m'avait
fait soupçonner. Quelle révélation! Quelle preuve irréfutable que les tribus
«du Darlac avaient été autre chose que les misérables Moï d'aujourd'hui ! — — 144
Je revois sur l'avancée de la Résidence cet aveugle minable drapé dans sa
couverture élimée, grelottant sous les morsures de Tâpre bise de février;
je le vois accroupi sur le parquet, une jambe repliée, le coude sur le genou,
le front dans la main, les yeux éteints sur le présent, mais ouverts sur ce
passé que sa mémoire ressuscitait et que disaient ses lèvres. Je revois Ma
Bli, Ma Bo*k et le vieux Ma Ngay figés dans ces attitudes surprises et si bien
gravées par Roland Dorgelès. Un cliquetis d'anneaux, un raclement de
gorge, le vieux chef s'ébrouait dans son rêve, son regard encore embué de ce
voyage dans le passé évoqué par le chanteur, son visage creusé de puissantes
rides exprimait la détresse de son réveil dans le misérable présent. — Réveil
du vieux Kaa (*) ayant revécu des siècles en un rêve trop bref, ne disant pas
au jeune Ma Bcrk : «Es-tu encore vivant, petit d'homme?», mais «Qu'êtes-
vous devenus, malheureux enfants de Dé?» — Ce qu'ils sont devenus ? De
pauvres hères que l'on réquisitionne pour travailler cette terre qui ne leur
appartient plus et qu'ils continuent à appeler « le dos des ancêtres » ; des
coulis corvéables dont l'alcool hâte la déchéance, un groupement humain
que la civilisation anéantit.
Malgré tout, une tâche à accomplir demeure, préserver de l'oubli total le
Darlac antique, le Darlac de paix et de sécurité où les tribus vécurent le
premier stade de leur évolution vers le mieux-être, le Darlac de Damsan,
celui que j'avais voulu ressusciter.
L'auteur inconnu de cet étrange poème, le poète à peau bronzée, ceint de
la longue écharpe aux broderies géométriques, qui sut chanter les splendeurs
de la nature primitive, la prospérité du clan, la bravoure des chefs, qui sut
rendre par de puissantes images la vie de famille, l'organisation sociale de la
tribu, les luttes épiques, les joutes héroïques par l'amour et pour l'amour des
filles des Nak Dé, ce troubadour de la vallée de la Ea Krong A'na, le fleuve
femelle, a droit à quelque renommée. Qu'on le connaisse, cet Homère du
plateau du Darlac qui nous révéla le passé d'une race agonisante ! Assurons-
lui une continuité du souvenir un peu moins éphémère que la tradition orale
transmise par l'obscure mémoire des chanteurs ambulants.
* * *
La création de Damsan me paraît remonter au XVIIe siècle. Cette hypothèse
peut être justifiée comme suit. Ce khan ou chanson de geste est, a\ec
beaucoup d'autres, le fruit et l'expression de la période de sécurité, de paix,
fl) Kipling, Le Livre de la Jungle. — — 145
de prospérité et de grandeur naissantes que vécut le groupement rhadé après
son exode du littoral vers les hauts plateaux du Sud indochinois. Son
installation dans ces régions nous est révélée par la légende du Bang Hdrenh.
Elle eut lieu probablement dans le début du XVIe siècle et voici ce qui autorise
cette conjecture. La généalogie de la famille Né Kdam, qui prit possession du
sol à sa sortie du trou Hdrenh, est connue depuis cette époque ; elle l'était
encore en 191 8. date à laquelle ces renseignements furent recueillis par moi
au village de Buon Krieng (actuellement en bordure de la route coloniale 14,
à 55 km. de Buon Ma Thuot, territoire de la tribu Krung), dernière résidence
des derniers descendants de cette famille, actuellement éteinte en la personne
d'une fillette décédée en 19 16. Cette généalogie (classée aux archives de la
Résidence du Darlac), comporte sept générations dont la durée peut être
évaluée sans exagération à trois cent cinquante ans. Pendant un siècle et
demi les tribus s'organisèrent et prospérèrent dans la paix et la sécurité que
leur garantissait l'infranchissable barrière de la Chaîne annamitique. Pendant
cette période furent élaborées les lois, furent chantés les khan. Un autre
point de repère plus précis nous est donné par l'arrivée des Chams sur les
hauts plateaux. Les débris de la population chame, dont l'empire venait d'être
définitivement anéanii par les Annamites, cherchèrent au début du XVIIe
siècle un refuge dans l'hinterland, en remontant les vallées du Sông Ba et de
la Ea Iun. Ils envahirent les territoires occupés par la puissante tribu des
Djaray, par les Adham, par les xMdhur et les Krung. De cette pénétration et
des luttes qui en résultèrent aucun souvenir ne subsiste aujourd'hui chez les
descendants des premiers occupants ; le nom de Cham est même ignoré des
Rhadé actuels. Or dans Damsan, pour indiquer que de nombreux étrangers
ont pénétré dans une maison, l'expression «elle est pleine de Chams» est
souvent employée ; c'est là la conséquence du souvenir, encore vivace à cette
époque, de l'envahissement récent des villages par les fugitifs chams.
Le Damsan parvenu jusqu'à nous n'est certainement qu'une faible repro
duction du Damsan primitif. Malgré la fidélité de la mémoire des autochtones,
il est incontestable que la tradition orale n'a pu transmettre intégralement et
sans défaillances l'œuvre originale ; des lambeaux en sont restés accro

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