La décriminalisation de la sorcellerie en France - article ; n°2 ; vol.4, pg 179-203
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Description

Histoire, économie et société - Année 1985 - Volume 4 - Numéro 2 - Pages 179-203
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1985
Nombre de lectures 98
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Alfred Soman
La décriminalisation de la sorcellerie en France
In: Histoire, économie et société. 1985, 4e année, n°2. pp. 179-203.
Citer ce document / Cite this document :
Soman Alfred. La décriminalisation de la sorcellerie en France. In: Histoire, économie et société. 1985, 4e année, n°2. pp. 179-
203.
doi : 10.3406/hes.1985.1393
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1985_num_4_2_1393LA DECRIMINALISATION DE LA
SORCELLERIE EN FRANCE*
par Alfred SOMAN
LA CHASSE AUX SORCIERS : EST ET OUEST
Dans une société sédentaire, où le procès criminel selon la loi n'est pas encore
l'unique voie admise pour l'exercice de la vengeance, subsistent certains outrages à
la sensibilité commune dont le châtiment ne paraît pas devoir revenir au seul Pouvoir.
La lésion subie par le groupe semble telle qu'elle exige un rite de purification avec
une participation plus vaste, qui prend la forme du lynchage. Dans le Sud des Etats-
Unis, jusqu'en plein milieu du XXe siècle, le Noir qui tuait un Blanc, ou qui violait
une Blanche, s'exposait — et lui-même le savait à l'avance — à la vindicte, ou de la
partie lésée ou de ceux qui en avaient la mission coutumière. Nous devons à la plume
de William Faulkner de remarquables tableaux d'une petite ville du Mississippi engagée
dans cette besogne collective (« la plus sauvage, la plus sanglante des injustices ») :
tableaux ne manquant pas d'affinités avec la situation du sorcier de l'époque Moderne
qui avait franchi des bornes placées sans doute depuis la nuit des temps (1). Et d'autant
(*) La matière du présent article fera l'objet d'analyses plus détaillées dans notre thèse d'État ac
tuellement en préparation. En attendant, nous renvoyons le lecteur à plusieurs de nos travaux déjà
parus, fondés sur des recherches moins complètes mais toujours valables :
1977 — « Les Procès de sorcellerie au Parlement de Paris (1565-1640) » dans Annales E.S.C.,
t.32,pp.790-814 ;
1978 — « Procès pour homicide d'une sorcière au XVIIe siècle » dans L'histoire n 1, mai 1978,
pp. 74-75 ;
1980 (a) — « Aux origines de l'appel de droit dans l'Ordonnance criminelle de 1670 » dans XVIIe
siècle, t. 32, pp. 21 -35 ;
1980 (b) - « Deviance and criminal justice in western Europe, 1300-1800 : an essay in structu
re » dans Criminal justice history, t.l , pp. 3-28 ;
1981 — « La Sorcellerie vue du Parlement de Paris au début du XVIIe siècle » dans les Actes du
104e Congrès national des Sociétés savantes (Bordeaux, 1979), Section d'histoire moderne et contemp
oraine, 2 vol., Pans, Bibl. nat., t.2, pp. 393-405 ;
1984 — « La justice criminelle au XVIe et XVIIe siècles : le Parlement de Paris et les sièges
subalternes » dans les Actes du 107e Congrès national des Sociétés savantes (Brest, 1982), Section de
philologie et dbistoire jusqu'à 1610, Paris, Bibl. nat., t.l, pp. 15-52 (une première version en anglais
parue dans Crime and criminal justice in Europe and Canada, éd. Louis A. Knafla, Waterloo, Canada,
1981,pp.43-75).
Les documents cités sont tous conservés aux Archives nationales.
Mes remerciements les plus vifs vont à Nicole Huet, à Yves-Marie Bercé et à Denis Crouzet pour
leur aide inappréciable au cours de la rédaction.
1. Wm. Faulkner, L'intrus (Intruder in the dust), chap.3, éd. Folio, p. 95 ; cf. Sanctuaire, où il
s'agit d'un Blanc accusé à tort de viol et de meurtre, violé à son tour puis brûlé. Le souvenir de la
sorcière lynchée perce dans quelques œuvres littéraires du XIXe siècle : Sir Walter Scott, La Prison
d'Edimbourg (The Heart of Midlothian) (1818), chap. 40 ; La Sorcière de Jasmin, publié par E. Le
Roy Ladurie, Paris, 1983 ; Arrigo Boito, livret de l'opéra La Gioconda (1876), 1er acte. 80 HISTOIRE ÉCONOMIE ET SOCIÉTÉ 1
plus que la justice semblait indifférente à l'inculpation — ou, si elle l'entérinait, elle
percevait des frais exorbitants, offrait au criminel trop d'échappatoires de la chicane,
de la fuite ou d'une clémence notoire en cas d'appel au Parlement.
En 1564 le présidial de Poitiers passa outre à l'appel de quatre sorciers (trois
hommes, une femme) et les fit brûler vifs ; et au président d'Aventon de s'en expliquer:
« On avoit envoyé absous auparavant d'autres Sorciers appellans, qui depuis avoient
infecté tout le pays, et que le peuple se mutinoit » (2). Puisqu'il en était ainsi, tout
devenait licite, voire nécessaire : depuis la vengeance personnelle ou familiale jusqu'à
l'utilisation à des fins para-légales de l'appareil judiciaire et de son rituel, lui-même
parfois dérivé de coutumes populaires. En novembre 1640 à Belval-en-Argonne, des
paysans traînèrent Catherine Le Moyne par les chemins criant « Desorcelle ma va
che ! » — avant de la tuer d'un coup de carabine. A Juniville (Rethélois) en 1587, lors
d'une baignade solennelle de sorciers qui tourna à la violence, le maire Pierre Quinquet
ne put dompter la foule furieuse : l'un de ses concitoyens le menaça, « s'il vouloit
soustenir les sorciers, que on le jeteroit en l'eaue luy-mesmes » ; puis sans autre forme
de procès, la populace dressa un bûcher pour Guyot Girard, coupable selon ses voisins
de seize envoûtements. La même année et toujours dans la même région, on lyncha
à Somme- Yèvre une sorcière dénoncée par deux de ses enfants au pied de la potence :
deux officiers et deux particuliers furent chargés « d'avoir emprisonné en une cave
deffuncte Ysabeau La Nayanne, femme de Jehan Piort, icelle menée ignominieusement
et violamment à l'estang dudict Sommyevre, précipitée en icelluy par deux diverses
fois, luy avoir bruslé les piedz et usé d'aultres cruaultez soubz pretexte qu'ilz disoient
estre sorciers, desquelz excedz ladicte Ysabeau soit decedée quelques jours après ».
Le Parlement remonta à Pierre de Villiers que, « comme eschevyn, il le debvoit em-
pescher » ; et l'échevin de protester « qu'il ne pouvoit empescher le peuple, que s'il
les veult empescher, il dist estre luy-mesme jeté en l'eaue » (3)... Jean Bodin en tira
la conséquence :
C'est doncques chose bien fort salutaire à tout le corps d'une Republique de rechercher dil
igemment et punir sévèrement les Sorciers : autrement il y a danger que le peuple ne lapide et Magist
rats et Sorciers : comme il est advenu depuis un an à Haguenone pres cestě ville de Laon, que deux
Sorcières qui avoient mérité justement la mort, furent condamnées, l'une au fouet, l'autre à assister :
mais le peuple les print, et les lapida et chassa les officiers. (4)
Alors que les autres démonologues de l'époque ne s'y arrêtaient guère, le lynchage
figure au premier plan dans l'ouvrage de Bodin. Sans doute en reçut-il une vive impres
sion quand il assista au procès de Jeanne Harvillier à Ribemont (près de St-Quentin)
en 1578 — procès qui l'incita à écrire sa Démonomanie : « II fust presque impossible
de garder les paysans de la ravir des mains de justice pour la brusler, craignans qu'elle
rechapast » (Préface). La leçon s'imposait : seule la fermeté des magistrats à prononcer
des peines rigoureuses pouvait éviter les actes de violence sommaire, scandale suprême
aux yeux de la justice. Bodin, résidant à Laon, se serait ainsi figuré la chasse aux
2. J. Bodin, De la démonomanie des sorciers, 1 580, Préface.
3. Le Moyne : X2B 1224, 5 août 1645 (Jean Boyer) ; X2A Ю10, 2 oct. 1645 ; X2A 278, 7 oct.
1645. Girard : X2A 956, 30 mai 1588 (Nicolas Léger) et 29 août 1588 ; X2B 157,31 mai 1588; X2B
158, 29 août 1588 ; voir le récit du lynchage, publié dans notre article, 1977, p. 809. La Nayanne :
X2A 956, 8 et 9 juil. 1588 ; X2B 158, 9 juil.1588 ; X2B 159, 1er sept. 1588 (mandat d'arrêt contre
huit autres responsables du malheur).
4. Démonomanie, IV,i. EN FRANCE 1 8 1 SORCELLERIE
sorciers, que Fhistorien ne s'en étonnerait guère. Car le lynchage pour fait de sorcellerie
était un problème particulièrement grave dans cette région : formant une bande étroite
de territoire le long des anciennes frontières du royaume, de St-Quentin à Langres,
puis s'étendant vers Troyes.
Huit ans de recherches dans les archives du Parlement de Paris, couvrant la période
1540-1670, m'ont permis de

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