La distribution de la viande dans la Cyropédie - article ; n°2 ; vol.4, pg 185-209
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Description

Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens - Année 1989 - Volume 4 - Numéro 2 - Pages 185-209
La Distribution de la viande dans la Cyropédie (pp. 185-209)
Quelle que soit son utilité pour reconstruire le banquet des rois Achéménides, la distribution des viandes à leurs sujets par Astyage et par le jeune Cyrus que nous trouvons racontée par Xénophon dans la Cyropédie est présentée par un citoyen d'Athènes en fonction de son propre discours sur le politique en Grèce. Xénophon loue la méritocratie qu'il attribue à Cyrus en tant qu'expression idéologique du principe aristocratique et devient même monarchiste pour mieux plaider la cause du régime que ses adversaires appelaient oligarchique.
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 45
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Cristiano Grottanelli
La distribution de la viande dans la Cyropédie
In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 4, n°2, 1989. pp. 185-209.
Résumé
La Distribution de la viande dans la Cyropédie (pp. 185-209)
Quelle que soit son utilité pour reconstruire le banquet des rois Achéménides, la distribution des viandes à leurs sujets par
Astyage et par le jeune Cyrus que nous trouvons racontée par Xénophon dans la Cyropédie est présentée par un citoyen
d'Athènes en fonction de son propre discours sur le politique en Grèce. Xénophon loue la méritocratie qu'il attribue à Cyrus en
tant qu'expression idéologique du principe aristocratique et devient même monarchiste pour mieux plaider la cause du régime
que ses adversaires appelaient oligarchique.
Citer ce document / Cite this document :
Grottanelli Cristiano. La distribution de la viande dans la Cyropédie. In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens.
Volume 4, n°2, 1989. pp. 185-209.
doi : 10.3406/metis.1989.935
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/metis_1105-2201_1989_num_4_2_935LA DISTRIBUTION DE LA VIANDE
DANS LA CYROPÉDIE*
C'est en historien des religions et non comme helléniste, encore moins
comme spécialiste de Xénophon, que je me propose d'étudier la division
des chairs dans les deux premiers livres de la Cyropédie. Ce que je pense
avoir vu dans la Cyropédie, c'est, après des études que j'ai conduites sur le
sacrifice dans l'antiquité grecque, un texte dans lequel la répartition du
corps comestible d'un animal tué par un groupe social fonctionne comme
ce que Marcel Mauss appelait un fait social total, et en même temps
comme un acte symboliquement efficace1.
* Ces pages reproduisent presque sans changements l'exposé que j'ai présenté, au
mois de mai 1989, au Séminaire des Religions de la Grèce ancienne de l'École Pratique
des Hautes Études, (Section des Sciences Religieuses), à Paris. Je remercie tous mes
amis du Centre Louis Gernet qui ont écouté et discuté mes élucubrations carnivores. Un
merci spécial à Jean-Louis Durand et à François Lissarrague, pour leur accueil si géné
reux, et à Pauline Schmitt-Pantel qui a revu ce texte franco-héllène. Ma recherche sur les
viandes de Cyrus fait partie du travail que je fais depuis quelques années avec un groupe
de collègues de l'Université de Rome (Ricerca Finanziata "L' Alimentazione nel Mondo
Antico"). Ma traduction de Xénophon en français suit presque toujours celle de M.
Bizos (voir infra, note 2).
1. Sur le dépeçage et sur la distribution des viandes au sacrifice et au banquet en
Grèce et ailleurs dans le monde ancien, on avait déjà: F. Puttkammer, Quomodo Graeci
victimarum carnes distribuerint, Konigsberg, 1912; M. Détienne, J.-P. Vernant, et al.,
La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, 1979 (surtout le travail de J.-L. Durand, pp.
133-181). Plus récemment: G. Berthiaume, Les rôles du mageiros. Étude sur la boucher
ie, la cuisine, et le sacrifice dans la Grèce ancienne, Leiden, 1982; G.J. Baudy, Hiérar
chie oder: Die Verteilung des Fleisches, dans le volume B. Gladigow, H. G. Kippenberg
(edd.), Neue Ansâtze in der Religionswissenschaft, Munchen, 1983, pp. 131-174; C. 186 CRISTIANO GROTTANELLI
Dans la notice qui précède l'édition "Les Belles Lettres" de la Cyropéd
ie, Marcel Bizos écrivait en 19712 que la Cyropédie est "une œuvre diffi
cile à classer, ainsi qu'en témoigne la diversité des appellations qui lui ont
été données: histoire, histoire romancée ou roman historique, biographie
romancée, roman philosophique ou moral, roman didactique, traité
d'éducation, institution militaire, ouvrage socratique, éloge". Et il conti
nuait: "En fait, elle est tout cela. Elle se présente comme la Somme des
idées sur l'éducation, la politique, la morale, l'art militaire, la chasse,
l'équitation, que Xénophon avait déjà exprimées ou qu'il exprimera plus
tard —c'est là affaire de dates— dans ses autres écrits, notamment dans ses
traités plus courts et plus spécialisés. Une chose n'est pas douteuse, c'est
qu'il n'a pas fait œuvre d'historien". Ce dernier point est toujours
contesté3.
Si la division des viandes sacrificielles —et non sacrificielles— est dans la
Cyropédie un "fait social total", et si la Cyropédie, elle-même, est un tout,
comme le pensait Bizos, la Cyropédie est surtout, pour employer encore
une fois les mots de Bizos, "la Somme des idées de Xénophon sur l'éduca
tion et la politique". C'est justement comme instrument et symbole de
l'éducation et de la politique que la distribution des viandes se présente
Grottanelli, N. Parise, P. G. Solinas (edd.), Sacrificio, organizzazione del cosmo, dina-
mica sociale. L'Uomo. Società tradizione sviluppo, 9, 1985; G. Di Mauro Battilana,
ΜΟΙΡΑ eAIXAin Omero. Una ricerca semantica e socio-culturale , Roma, 1985; J. Sven-
bro, "Le partage sacrificiel selon une loi de Cos (IVe siècle av. J.-C.)", dans La découpe
et le partage du corps à travers le temps et l'espace, Anthropozoologica (numéro spé
cial), 1987, pp. 71-76; C. Grottanelli et N. Parise (edd.), Sacrificio e società nelmondo
antico, Roma-Bari, 1988; B. Lincoln, Discourse and the Construction of Society, New
York - Oxford, 1989, pp. 75-88. Je me suis occupé du partage de la viande au moyen-âge
européen en discutant les théories de Norbert Elias: C. Grottanelli, "Cibo, istinti,
divieti", dans S. Bertelli et G. Crifo (edd.), Rituale, Cerimoniale, Etichetta, Milano,
1985, pp. 31-52. En attendant que la thèse de Pauline Schmitt Pantel, La cité au banquet,
soit publiée (Paris-Rome, sous presse). Sur des problèmes spéciaux: S. Said, "Les crimes
des prétendants, la maison d'Ulysse et les festins de l'Odyssée", Études de littérature
ancienne, Paris, 1979; G. Cerri, "Isos dasmos corne équivalente di 'isonomia' nella sil-
"L' ideologia loge teognidea", Quaderni Urbinati, 8, 1969, pp. 97-104; C. Grottanelli,
del banchetto e Γ ospite ambiguo", Dialoghi di Archeologia, n.s. 3, 1981, pp. 122-154.
2. M. Bizos, Notice, dans Xénophon, Cyropédie, tome I, Paris, 1972, p. V.
3. Il faut voir sur cela S.W. Hirsch, The Friendship ofthe Barbarians. Xénophon and
the Persian Empire, Hanover and London, 1985 (surtout le Chapitre 4, "The Cyropae-
dia and History", pp. 61-96), qui croit à l'historicité de bien des traits que l'on trouve
dans la Cyropédie. la Distribution de la Viande Dans La cyropédie 187
avant tout dans la Cyrupédie*. Dans le premier livre de l'ouvrage, qui est
dédié à l'éducation, digne d'un chef, du jeune Cyrus chez son oncle mater
nel Astyage, la division des viandes a surtout une fonction pédagogique,
tandis que dans le deuxième livre, là où Xénophon nous présente les prin
cipes moraux et politiques qui permirent à Cyrus de conquérir le monde, la
distribution des chairs, et avec elle la distribution de l'honneur et celle du
butin, sont un mode d'expression privilégié de ces principes et un terrain
préféré de leur application. Les modes de la distribution expriment donc,
on le voit, dans chaque cas, le thème principal du récit et, à travers ce
thème, le problème central de la réflexion de Xénophon dans cette partie
de l'ouvrage. Il ne sera donc pas inutile de regarder ensemble comment les
diverses parties de la Cyropédie présentent cet aspect apparemment
secondaire de la vie religieuse et sociale qu'est la division des viandes.
1. La distribution des viandes dans l'éducation de Cyrus
Cyrus est encore un enfant (un pais) d'un peu plus de douze ans quand sa
mère, Mandane, l'emmène chez son père à elle, Astyage, roi des Mèdes.
Pendant la période assez longue (il s'agit de quatre ans!) qu'il passe chez
son grand-père maternel, qui se présente comme une véritable période de
fosterage, Cyrus apprend toute une série de choses, et en particulier la bra
voure cynégétique. qui fera de lui un adulte. Mais, avant tout, il apprend à
la cour de son grand-père des nouvelles manières de table5.
4. Je ne m'occupe pas ici de la véridicité du tableau que Xénophon peint du repas
royal perse. J'ai beaucoup parlé de cela avec mon amie iranisante, Clarisse Herren-
schmidt; cf. P. Briant, «Table du roi, tribut et redistribution chez les Ach&

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