La formation de l'écocitoyen - article ; n°1 ; vol.74, pg 103-116

Marie Jacqué

Description

Communications - Année 2003 - Volume 74 - Numéro 1 - Pages 103-116
Les éducateurs à l'environnement ont l'ambition de former un nouveau type de citoyen, un homme nouveau selon les idéaux du développement durable. Ils cherchent à codifier et à moraliser les liens entre l'enfant et son environnement urbain par l'apprentissage de la gestion des déchets, des économies d'eau et d'énergie, du respect du cadre de vie. Au-delà d'une remise en ordre de l'environnement, leur pédagogie vise une remise en ordre des rapports sociaux.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: COMMUNICATIONS
• Publié le: 01 janvier 2003
• Nombre de lectures: 19
• Langue: Français

Extrait

Mme Marie Jacqué
La formation de l'écocitoyen
In: Communications, 74, 2003. pp. 103-116.
Résumé
Les éducateurs à l'environnement ont l'ambition de former un nouveau type de citoyen, un homme nouveau selon les idéaux du
développement durable. Ils cherchent à codifier et à moraliser les liens entre l'enfant et son environnement urbain par
l'apprentissage de la gestion des déchets, des économies d'eau et d'énergie, du respect du cadre de vie. Au-delà d'une remise
en ordre de l'environnement, leur pédagogie vise une remise en ordre des rapports sociaux.
Citer ce document / Cite this document :
Jacqué Marie. La formation de l'écocitoyen. In: Communications, 74, 2003. pp. 103-116.
doi : 10.3406/comm.2003.2131
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2003_num_74_1_2131Marie Jacqué
Eduquer à l'environnement :
la formation de Pécocitoyen
Depuis le rapport Brundtland (1988) et le sommet de Rio (1992), qui
en a institutionnalisé les principes, la gestion et la préservation de l'env
ironnement sont conçues en liaison étroite avec les modes de développe
ment économique des sociétés industrielles. Le principe du développement
durable est un support de revendications pour une partie du milieu asso
ciatif environnemental (ONG, , associations d'éducation à l'environne
ment) et tient lieu, dans le même temps, de référence justificatrice aux
systèmes actuels de gestion. Autrement dit, le développement durable sert
à la fois d'argument de contestation et de moyen pour pérenniser un type
de fonctionnement économique. Le chapitre 36 de Y Agenda 21 est consa
cré « à l'éducation, à la prise de conscience du public et à la formation »,
qui doivent, par l'intervention du secteur associatif; « susciter une prise de
conscience des questions écologiques et éthiques ainsi que des valeurs et
des attitudes compatibles avec le développement durable » 1. Dans cette
perspective, une partie des associations a recentré ses modes d'action
autour d'une construction pédagogique de la nature et de l'environnement
qui repose, d'une part, sur les thèmes gestionnaires (l'eau, les déchets, les
espaces naturels, l'air, le bruit, les risques, etc.) et, d'autre part, sur la
notion de citoyenneté. Les pratiques qui se réclament du développement
durable visent à transformer la société sans remettre en cause le système
économique, mais en modifiant l'attitude de l'individu.
En France, les associations qui proposent aujourd'hui des activités
d'éducation à l'environnement sont les héritières des groupes naturalistes
de découverte de l'espace naturel, dont beaucoup de membres se sont
professionnalisés 2. Elles sont situées en milieu rural, à proximité des
espaces naturels protégés (parcs nationaux et régionaux, réserves natur
elles), et prises en charge par les grandes structures de protection de la
nature et de défense de l'environnement à vocation gestionnaire (SNPN,
FFNE, LPO, RNF3), mais aussi par le tissu associatif local4. Leur com-
103 Marie Jacqué
position sociale a été modifiée par l'arrivée de nouveaux militants, ceux
que nous appelons les « éducateurs à l'environnement », qui se disti
nguent en bien des points des naturalistes qui les ont précédés ou qu'ils
peuvent encore côtoyer. Ils sont jeunes (entre 18 et 36 ans), salariés par
leur association et fortement diplômés, souvent dans le domaine des scien
ces de la vie ou de l'écologie appliquée 5. Ce qui fonde l'unité de ce groupe,
c'est le rapport militant qu'il entretient avec la pédagogie. L'essentiel du
travail réside dans la conception d'outils pédagogiques ou dans la réali
sation d'activités et de sorties « nature et environnement », majoritair
ement destinées à un public scolaire. La pédagogie sert aussi de support
à un discours portant sur la transformation de l'individu comme moteur
du changement social.
Entre utopie citoyenne
et idéologie gestionnaire.
Le financement de ces nouvelles activités associatives professionnalisées
est assuré par les collectivités territoriales (communes, départements,
régions) dans le cadre des politiques de développement local et durable.
Le travail pédagogique s'est progressivement étendu aux espaces urbains,
en particulier au sein des « contrats de ville » . Ces actions résultent de la
rencontre d'une pratique de protection de la nature et d'une volonté poli
tique de susciter des comportements plus respectueux vis-à-vis de l'env
ironnement. Au cours des années 80, ce mouvement a pris son essor avec
la gestion patrimoniale des espaces naturels. « De l'homme destructeur à
l'homme alibi6 » : aux naturalistes, qui dénonçaient l'effet des activités
humaines sur les milieux, ont succédé les gestionnaires, qui n'ont eu de
cesse d'intégrer et de contrôler ces mêmes activités, parfois en les requal
ifiant de manière patrimoniale 7. « Inversion fonctionnelle des discipli
nes », aurait pu diagnostiquer Michel Foucault. La protection de la nature
s'est transformée en « gestion de l'environnement » et, à travers les dispos
itifs du développement durable, elle est devenue l'enjeu d'une réorgani
sation du social. L'analyse de Michel Foucault sur l'autorité hospitalière
et carcérale, et sur l'intériorisation de ses normes chez l'individu, me paraît
valoir également pour la question de l'environnement aujourd'hui :
On leur demandait à l'origine de neutraliser les dangers, de fixer les
populations inutiles ou agitées, on leur demande, car elles en deviennent
capables, de jouer un rôle positif faisant accroître l'utile possibilité des
individus 8.
104 Éduquer à V environnement : la formation de Vécocitoyen
Nées d'un souci de contrôle et de gestion de la fréquentation des espaces
sensibles, ces actions pédagogiques sont aussi motivées par un idéal : la
formation d'un « être nouveau », d'un « nouveau type de citoyen » 9, d'un
individu vivant en harmonie avec son environnement et capable par son
effet bénéfique sur cet environnement de redonner du sens à sa propre
existence sociale.
Le but essentiel de l'éducation à l'environnement est de promouvoir
une nouvelle citoyenneté [...] contribuant à doter les jeunes d'attitudes
et de comportements visant à respecter, protéger et finalement bien
gérer l'environnement, et donc leur permettre d'acquérir un savoir-vivre
environnemental [...] au service d'une gestion raisonnée et raisonnable
de notre habitacle spatial, d'une protection intelligente de notre cadre
de vie, d'un fonctionnement harmonieux de nos rapports sociaux 10.
Entre utopie citoyenne et idéologie gestionnaire, ce « savoir-vivre env
ironnemental » est au cœur des objectifs pédagogiques proposés par le
milieu associatif et soutenus par les collectivités locales. Nous centrerons
ici l'analyse sur le discours et les pratiques des éducateurs à l'environne
ment en milieu urbain11.
Les jeux sensoriels : un bain de nature.
Quel que soit l'objet ou le lieu de l'animation, c'est le rapport entre
l'enfant et les éléments naturels (l'arbre, l'eau, l'air, le sol) qui prime.
L'animation débute par une forme de réconciliation entre le petit citadin
et une nature perçue comme source de bien-être et de plaisir. Avant
d'entrer dans des explications techniques et scientifiques sur le fonctio
nnement de l'environnement, les éducateurs proposent un ensemble de
jeux et d'activités faisant appel au toucher, à l'odorat, à l'ouïe et à la vue.
Ces jeux sensoriels qui libèrent l'imaginaire et la rêverie sont le prélude
à toute compréhension de l'environnement. Dominique Gottereau 12, dont
les travaux en sciences de l'éducation ont largement inspiré ces pratiques,
et plus particulièrement celles du mouvement École et Nature 13, souligne
la nécessité d'un contact premier entre l'enfant et la nature, détaché de
tout rapport au savoir, de tout intermédiaire :
C'est en comprenant les forces vitales qui nous lient à notre environne
ment que nous apprendrons à composer avec les