La « hiérarchie des sentiments » - article ; n°1 ; vol.12, pg 129-157
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Description

Mots - Année 1986 - Volume 12 - Numéro 1 - Pages 129-157
LA « HIÉRARCHIE DES SENTIMENTS » Travail réalisé sur un corpus où dominent les éditoriaux du Front National. On montre le caractère discriminatoire de ce discours, marqué par l'héritage barrésien. La relation à la terre y exprime la hantise de l'homogénéité raciale, l'élargissement à l'Europe des valeurs nationalistes recouvre des préoccupations eugénistes, l'immigré est redéfini en conséquence. La mise en scène de l'étranger présente un caractère alarmiste, accentué par des représentations catastrophistes et par la description, hors de tout champ symbolique, d'un état de guerre. Sous une argumentation qui prétend démystifier l'antiracisme, sous la sélection prudente des désignants, sous l'euphémisation, on constate la charge raciste de ce discours. La relation proposée entre « ce qui se pense » et « ce qui se dit » crée, vis-à-vis de la famille d'esprit à laquelle se rattache le Front national, mais aussi vis-à-vis d'une opinion travaillée par des thèmes racistes, une inter-compréhension qui éclaire en les dépassant les ambiguïtés du sens manifeste. Stratégie du sous-entendu et de la conclusion implicite, confortable parce que toujours susceptible d'être niée, mais susceptible aussi de dérapages qui confirment, s'il en est besoin, que le Front national, malgré ses dénégations, s'inscrit dans la tradition de l'extrémisme xénophobe.
THE « HIERARCHY OF FEELINGS This work is based upon a study of various texts but mainly on leading articles from the « Front National ». It shows the discrimatory aspects of its language, marked by Barrès's political heritage. The stress put on the relation to the land expresses an obsession of racial unity ; the nationalistic values, extended to the whole of western Europe, cover eugenic preoccupations. As a result, a new definition is given to the word immigré. The foreigner is characterized in an alarmist way. This impression is reinforced by images of catastrophes and by the description, far from symbolic, of a state of war. Concealed behind arguments that pretend to reveal the real meaning of anti-racism, behind a careful selection of terms, behind euphemisms, we can discover the racist implications of such a discourse. For the political family to which the « Front National » belongs, but also for a public opinion influenced by racist themes, the connection J.-M. Le Pen suggests between « what is thought » and « what he says » creates a feeling of mutual understanding that goes beyond and clarifies the ambiguities of the literal meaning. This strategy of hints and implicit conclusions is convenient in so far it can always be denied ; but it is also liable to slips which clearly reveal, if necessary, that the « Front National », in spite of J.-M. Le Pen's denials, is linked to the tradition of xenophobic extremism.
29 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jean-Paul Honoré
La « hiérarchie des sentiments »
In: Mots, mars 1986, N°12. pp. 129-157.
Citer ce document / Cite this document :
Honoré Jean-Paul. La « hiérarchie des sentiments ». In: Mots, mars 1986, N°12. pp. 129-157.
doi : 10.3406/mots.1986.1226
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1986_num_12_1_1226Abstract
THE « HIERARCHY OF FEELINGS This work is based upon a study of various texts but mainly on
leading articles from the « Front National ». It shows the discrimatory aspects of its language, marked
by Barrès's political heritage. The stress put on the relation to the land expresses an obsession of racial
unity ; the nationalistic values, extended to the whole of western Europe, cover eugenic preoccupations.
As a result, a new definition is given to the word immigré. The foreigner is characterized in an alarmist
way. This impression is reinforced by images of catastrophes and by the description, far from symbolic,
of a state of war. Concealed behind arguments that pretend to reveal the real meaning of anti-racism,
behind a careful selection of terms, behind euphemisms, we can discover the racist implications of such
a discourse. For the political family to which the « Front National » belongs, but also for a public opinion
influenced by racist themes, the connection J.-M. Le Pen suggests between « what is thought » and «
what he says » creates a feeling of mutual understanding that goes beyond and clarifies the ambiguities
of the literal meaning. This strategy of hints and implicit conclusions is convenient in so far it can always
be denied ; but it is also liable to slips which clearly reveal, if necessary, that the « Front National », in
spite of J.-M. Le Pen's denials, is linked to the tradition of xenophobic extremism.
Résumé
LA « HIÉRARCHIE DES SENTIMENTS » Travail réalisé sur un corpus où dominent les éditoriaux du
Front National. On montre le caractère discriminatoire de ce discours, marqué par l'héritage barrésien.
La relation à la terre y exprime la hantise de l'homogénéité raciale, l'élargissement à l'Europe des
valeurs nationalistes recouvre des préoccupations eugénistes, l'immigré est redéfini en conséquence.
La mise en scène de l'étranger présente un caractère alarmiste, accentué par des représentations
catastrophistes et par la description, hors de tout champ symbolique, d'un état de guerre. Sous une
argumentation qui prétend démystifier l'antiracisme, sous la sélection prudente des désignants, sous
l'euphémisation, on constate la charge raciste de ce discours. La relation proposée entre « ce qui se
pense » et « ce qui se dit » crée, vis-à-vis de la famille d'esprit à laquelle se rattache le Front national,
mais aussi vis-à-vis d'une opinion travaillée par des thèmes racistes, une inter-compréhension qui
éclaire en les dépassant les ambiguïtés du sens manifeste. Stratégie du sous-entendu et de la
conclusion implicite, confortable parce que toujours susceptible d'être niée, mais susceptible aussi de
dérapages qui confirment, s'il en est besoin, que le Front national, malgré ses dénégations, s'inscrit
dans la tradition de l'extrémisme xénophobe.JEAN-PAUL HONORÉ
URL « LEXICOMÉTRIE ET TEXTES POLITIQUES »
INALF - saint-cloud, CNRS Mots, 12, 1986, p. 129-157.
La « hiérarchie des sentiments »
Description et mise en scène du Français et de l'immigré
dans le discours du Front national
Notons au passage que la sémantique elle-même n'est pas neutre... »
(J.-M. Le Pen, Les Français d'abord, p. 180)
Cette étude repose sur un corpus de textes (1974-1984) réunis et commentés dans la
perspective du 3e Colloque international de lexicologie politique. Dans ce corpus dominent
les éditoriaux de la presse frontiste : Le National puis, à partir de 1980, RLP Hebdo. La
plupart de ces textes sont signés de J.-M. Le Pen, et beaucoup sont repris dans son livre-
manifeste Les Français d'abord1, intégré au corpus. Ont été retenus aussi des éditoriaux
ou des articles d'autres figures du mouvement, notamment J.-F. Chiappe (Le National) ,
R. Gaucher, M. Collinot, P. Chevalier (RLP Hebdo), ainsi que des interviews2 et jusqu'à
l'hagiographie confuse publiée sous le titre Le Pen sans bandeau3.
1. J.-M. Le Pen, Les Français d'abord (FDA), Paris, Carrère/Lafon, 1984. D'autres éditoriaux ont été
repris sous forme de brochure : La vraie opposition : le Front national, Paris, Front national, s.d. (1981 ?).
2. Notamment : Antenne 2, « L'heure de vérité », 13 février 1984, reprise in RLP (Radio Le Pen),
2 mars 1984, et in FDA. J.-P. Apparu, La droite aujourd'hui, Paris, Albin Michel, 1979.
3. J. Marcilly, Le Pen sans bandeau, Paris, Grancher, 1984. Les discours de J.-M. Le Pen et de son
interlocuteur, qui se dit journaliste, s'y interpénètrent parfois dans un mépris total du code journalistique. JEAN-PAUL HONORÉ 130
On ne perdra pas de vue que, par rapport à l'oral et surtout à l'oral spontané des
frontistes, ces textes sont euphémisés. J.-M. Le Pen, en particulier, ne transpose pas dans
ses écrits, mot pour mot, toute la rhétorique du « coup de gueule » qui, colorant d'images
outrancières et de désignations agressives ses interventions publiques, force l'attention, ravit
l'auditoire et lui permet de faire peuple. En tenant la plume, le batteur d'estrade conserve
un style agressif et pittoresque, mais perd de sa virulence sur les sujets les plus dangereux1.
Le même décalage peut être parfois observé entre les textes de J.-M. Le Pen et ceux de
ses collaborateurs. Le directeur du National sait qu'il attire l'attention de tous ceux
qu'inquiète le réveil de l'extrême droite. S'il laisse certains de ses amis publier des propos
dont le caractère raciste est patent, il est clair que lui-même souhaite adopter dans ses
éditoriaux un profil plus discret. Mais la politique, aime à déclarer J.-M. Le Pen, est « un
art de communication » 2. Ce qu'il ne dit pas, le leader des frontistes sait fort bien le
faire dire ou le laisser dire. Il ne pratique pas seulement la démagogie du « franc parler » :
il maîtrise parfaitement l'art du sous-entendu, « arme redoutable en ce qu'il peut toujours
être nié par son auteur, et mis sur le compte d'une mauvaise interprétation, voire d'une
interprétation maligne»3. Ainsi, «J.-M. Le Pen ne dit pas tout haut ce que les Français
pensent tout bas : il dit à voix basse ce que certains pensent tout haut » (M. Tournier).
Or ce qui s'avoue crûment autour de M. Le Pen et chez ceux qui se reconnaissent
en lui, c'est le racisme. On retrouvera donc dans les éditoriaux du National le discours
barrésien sur la terre et les racines, axe de la discrimination ethnique, et qui introduit
cette « hiérarchie des sentiments » présentée par J.-M. Le Pen comme un aspect de l'ordre
naturel. Races « créées par Dieu », « aptitudes ethnologiques », civilisation « supérieure »,
« peuplade », « meute », « amalgame »..., ces formules se recoupent impitoyablement.
Le discours du Front national ne se contente donc pas de définir le Français et
l'immigré : il les inscrit dans une « hiérarchie des sentiments » sous-tendue par une hiérarchie
1. Sur le style oral de J.-M. Le Pen et ses justifications pédagogiques, cf. « L'heure de vérité », in
FDA, p. 221 et 227-228.
2. Ibid., p. 228.
3. Cf. P.- A. Taguieff, « Les droites radicales en France : nationalisme révolutionnaire et national
libéralisme », Les Temps modernes, 465, avril 1985, p. 1782. Dans le même numéro a paru une autre version,
centrée sur l'idéologie identitaire, du présent article. LA « HIERARCHIE DES SENTIMENTS » 131
des aptitudes. En outre, il les confronte, il les oppose, il met en scène un conflit. Le
réseau actantiel qui enserre les mots étranger, immigré, immigration exprime la hantise du
métissage, de la dégradation biologique, du complot, de l'invasion brutale, de l'anéantis
sement. Ce message prend une dimension passionnelle et un caractère d'urgence par la
stimulation d'obsessions concrètes et quotidiennes : phobie sécuritaire, phantasmes catastro
phiques. Métaphores et comparaisons de gros bon sens jouent ici un rôle essentiel. On
verra cependant que le rejet de l'étranger est sélectif : n'est

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