La parole dans « L Heptaméron » de Marguerite de Navarre - article ; n°1 ; vol.31, pg 35-46
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Description

Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance - Année 1990 - Volume 31 - Numéro 1 - Pages 35-46
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 52
Langue Français

Extrait

Calogero Giardina
La parole dans « L'Heptaméron » de Marguerite de Navarre
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°31, 1990. pp. 35-46.
Citer ce document / Cite this document :
Giardina Calogero. La parole dans « L'Heptaméron » de Marguerite de Navarre. In: Bulletin de l'Association d'étude sur
l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°31, 1990. pp. 35-46.
doi : 10.3406/rhren.1990.1741
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1990_num_31_1_1741PAROLE DANS « L'HEPTAMÉRON » LA
DE MARGUERITE DE NAVARRE
La parole de l'Heptaméron a un rôle très important. Les personnages
prennent véritablement forme dans le processus du discours, et ce de deux
façons : par les commentaires qu'ils font dans les débats, et surtout par les
propos qui se font entendre à l'intérieur du récit dans la plénitude de la fiction.
La parole des conteurs, dans le récit, se distingue de celle des devisants, dans le
débat, en ce qu'elle est plus libre car contrairement au débat qui renvoie aux
échos du monde de la réalité, le récit est ludique. Par conséquent, le discours
de celui qui parle ici révèle beaucoup mieux le personnage qui est l'auteur de
l'énoncé. Il permet de dépeindre la société du XVIe siècle et celle que forment
les devisants dans leur rapport d'une part au désir et d'autre part au pouvoir.
I - PAROLE ET POUVOIR.
Les personnages qui ont la possibilité de s'exprimer sont souvent ceux
qui occupent un rang élevé. Ceux qui n'ont pas le droit de parler ou qui tout
simplement se taisent, aussi bien à l'intérieur des nouvelles que dans le débat,
sont de condition plus modeste1.
1 Ce phénomène caractérise surtout huit nouvelles (3e, 8e, 9e, 15e, 19e, 21e, 22e, 47e).
Le gentilhomme de la troisième nouvelle, notamment, ne déclare pas son amour à la reine parce
qu'il occupe une position inférieure. De plus, si le roi ne se gêne pas pour apprendre
brutalement au gentilhomme qu'il est cocu, ce dernier n'a pas la même liberté au niveau du
langage, il ne parvient à apprendre au roi qu'il est lui-même trompé par sa femme que grâce à
une circonlocution : « Si le secret du Roy est caché au serf, ce n'est pas raison que celluy du
serf soit déclaré au Roy » (p. 26. Toutes les références renvoient à l'Heptaméron, Edition
Gamier. 1967. Texte établi par Michel François).
Dans la 19e nouvelle, la marquise, abusant de son pouvoir, empêche Poline de parler à celui
qu'elle aime : « la marquise, désirant que, par sa faveur, Poline fust mariée plus richement, l'en
dégoustoit le plus qu'il luy estoit possible et les empeschoit souvent de parler ensemble »
(p. 143). De même, la reine de la vingt-et-unième nouvelle s'oppose à ce que Rolandine « parle 36
Dans la neuvième nouvelle, Dagoucin raconte l'histoire d'un genti
lhomme pauvre qui aime une jeune fille d'un niveau social supérieur au sien. Le
jeune homme, qui ne peut épouser celle qu'il adore, finit par en mourir. Pen
dant longtemps, le gentilhomme a refusé de déclarer son amour à la jeune fille,
autrement dit, il n'a pas parlé. Or, Dagoucin, dans le débat surtout et dans une
certaine mesure aussi dans le récit, présente le silence du jeune homme comme
la conséquence du caractère vertueux de celui-ci. Le mot « vertu » est
d'ailleurs employé à plusieurs reprises1.
Mais, en même temps, dans le récit Dagoucin ne peut s'empêcher, en
racontant, de dire que le gentilhomme, en réalité, cache son amour « a cause
qu'il n'estoit de maison de mesme elle » (p. 45). Il meurt parce que la parole
lui est interdite. En effet, le jeune homme n'est pas l'aîné de sa famille, il n'a
donc pas de biens. Sa pauvreté ne lui conférant aucun pouvoir, il ne peut avoir
accès à la parole.
Le récit exprime l'idée selon laquelle l'amour comme désir et comme
principe de plaisir serait une force capable de perturber l'ordre social s'il pouv
ait se réaliser. Si le jeune homme déclarait sa flamme, il tiendrait pour nulle
la distance qui le sépare de celle qu'il aime ; par là même, il remettrait en
cause les lois du groupe auquel il appartient. Il faut remarquer que Dagoucin
insiste sur la notion d'honneur : « il eust mieulx aymé mourir que désirer une
chose qui eust esté à son deshonneur »2.
(...) jamais au bastard » (p. 160) malgré l'amour que cette dernière lui porte. Le prieur de la
vingt-deuxième nouvelle contraint sœur Marie Heroet à ne pas divulguer les déclarations
d'amour qu'il a pu lui faire : « Ma fille, je vous commande, sur peyne d'inobediance et d'estre
dampnée, que vous n'aiez jamais à parler de ce que je vous ay faict icy » (p. 1 79).
Dans la quarante-septième nouvelle, un gentilhomme interdit à sa femme d'adresser la parole à
celui que pourtant il prétend considérer comme son ami : « (...) et néanmoins luy défendoit
parler à luy, si elle n'estoit en grande compaignye » (p. 312). En effet, dans l'Heptaméron,
l'homme peut, s'il le souhaite, dénier à son épouse le droit à la parole.
1 Dans le récit : « Et, voiant l'honneste amityé qu'il luy portoit tant plaine de vertu et bon
propos, se sentoit estre honorée d'estre aymée d'un si vertueux personnaige (p. 49-50. « Se
sentoit » renvoie à la jeune fille aimée par le gentilhomme). Dans le débat : « Dagoucin luy dist :
« Ma dame, puis que j'ay prouvé par exemple l'amour vertueuse d'un gentil homme jusques à
la mort, je vous supplye, si vous en sçaavez quelcune autant à l'honneur de quelque dame, que
vous la nous veullez dire » (p. 54). C'est nous qui soulignons.
2 p. 49. C'est nous qui soulignons.
Le terme « honneur » revient très fréquemment dans L'Heptaméron. Le plus souvent, il évoque
l'estime que l'on a pour soi-même et aussi celle que l'on est en droit d'attendre des autres dès 37
Dans cette société, avoir le sens de l'honneur, c'est avoir le sens des
valeurs de sa caste. Précisément, le gentilhomme se tait car il ne veut pas
remettre en question ces valeurs.
La mort du gentilhomme consacre le triomphe de la parole de la caste au
détriment de celle du désir. Mais, en même temps, cette mort a pour con
séquence de contester la société hiérarchisée de l'époque. En effet, dans la
mesure où le sort du jeune homme est perçu comme injuste, son amour devient
une force perturbatrice de l'ordre social.
Cette nouvelle est d'autant plus intéressante qu'elle conduit à s'interroger
sur le rapport qui existe entre deux types de paroles dans L'Hepîaméron : celle
des devisants et celle des conteurs.
Il est probable que Dagoucin a cherché à exprimer dans son récit un sens
différent de celui qu'il avait l'intention de formuler. Dagoucin est, de fait, un
personnage qui refuse d'extérioriser son amour1. Dans la neuvième nouvelle, il
souhaite essentiellement illustrer l'idée que le véritable amour doit être caché2.
Pourtant, sans le vouloir, dans le récit, il montre surtout que la mort du jeune
homme est due au respect d'une hiérarchie sociale trop rigide. D'ailleurs, dans
le débat de la neuvième nouvelle. Dagoucin, qui est encore sous l'emprise de sa
parole de conteur, reconnaît que « parfaicte amour mené les gens à la mort,
par trop estre celée et mescongneue » (p. 53). Par là, il exprime clairement
l'idée que la mort du gentilhomme est une conséquence du silence de ce
dernier, et non comme il le suggérait, dans le débat de la huitième nouvelle, le
stade ultime d'un mutisme qui aurait été philosophiquement choisi par l'amant.
Dagoucin est donc une personne double : dans le débat de la huitième
nouvelle, il fait entendre la parole de l'être social. Le sens qui se dégage ici est
que le véritable amour doit être tu. Dans le récit surtout, et en partie aussi dans
le débat qui suit la neuvième nouvelle, c'est le conteur qui parle. L'histoire que
le personnage raconte le mène beaucoup plus loin qu'il ne le souhaiterait. La
seule logique est celle de la fiction. La parole se libère de la censure socia

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