La rhétorique du national-populisme - article ; n°1 ; vol.9, pg 113-139
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Mots - Année 1984 - Volume 9 - Numéro 1 - Pages 113-139
LA RHÉTORIQUE DU NATIONAL-POPULISME Racisme a servi à disqualifier la «droite». 50 ans plus tard, le mot est soigneusement évité. Les idéologies qui se paraient du discours scientifique sur l'inégalité des races parlent aujourd'hui de différences. Cette reformulation joue aussi sur la xénophobie populiste exarcerbée en période de crise. Le discours «national- populiste » du Front national recourt aux lieux communs pamphlétaires de la décadence ; mais, récusant le nazisme et l'antisémitisme, il se fonde sur les règles élémentaires de la propagande, l'équation immigrés = chômage = insécurité, les métaphores de la maladie, des 5e et 6e colonnes, du naufrage, de l'apocalypse, les stéréotypes antifiscalistes, antilaxistes, anticommunistes, taisant les mots-tabous sauf en cas de retournement (le «racisme antifrançais», le «fascisme rouge»). L'immigré maghrébin est devenu l'ennemi premier, dans le cadre du complot soviétique. Démarginalisation de l'extrême-droite au nom de l'autodéfense patriotique.
RHETORICS OF NATIONAL POPULISM Racism was used to disqualify the «right». 50 years later, the word is carefully avoided. Ideologies which relied on «scientific» references to racial unequality again speak today of differences. This new formulation tries again to capitalize on the populist xenophobia exacerbated in times of economic crisis. The «national-populist» speech of the Front national draws on the stock of polemical commonplaces about decadence; but, as it rejects nazism and antisemitism, it follows the most elementary rules of propaganda ; the result is the equation foreigners = unemployment = threats to law and order, metaphorical figures involving sickness, the 5th and 6th columns, wreck, apocalypse, anti-tax, anti-communist stereotypes, avoiding the use of taboo words excepts in phrases which effect a reversal: «Anti-French racism», «red fascism». The migrant of North Africa origin has become the major enemy, within the wider scope of the soviet conspiracy. The extreme right wing tries to reintegrate the political mainstream in the name of patriotic self-defense.
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 33
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Pierre-André Taguieff
La rhétorique du national-populisme
In: Mots, octobre 1984, N°9. pp. 113-139.
Abstract
RHETORICS OF NATIONAL POPULISM Racism was used to disqualify the «right». 50 years later, the word is carefully avoided.
Ideologies which relied on «scientific» references to racial unequality again speak today of differences. This new formulation tries
again to capitalize on the populist xenophobia exacerbated in times of economic crisis. The «national-populist» speech of the
Front national draws on the stock of polemical commonplaces about decadence; but, as it rejects nazism and antisemitism, it
follows the most elementary rules of propaganda ; the result is the equation foreigners = unemployment = threats to law and
order, metaphorical figures involving sickness, the 5th and 6th columns, wreck, apocalypse, anti-tax, anti-communist stereotypes,
avoiding the use of taboo words excepts in phrases which effect a reversal: «Anti-French racism», «red fascism». The migrant of
North Africa origin has become the major enemy, within the wider scope of the soviet conspiracy. The extreme right wing tries to
reintegrate the political mainstream in the name of patriotic self-defense.
Résumé
LA RHÉTORIQUE DU NATIONAL-POPULISME Racisme a servi à disqualifier la «droite». 50 ans plus tard, le mot est
soigneusement évité. Les idéologies qui se paraient du discours scientifique sur l'inégalité des races parlent aujourd'hui de
différences. Cette reformulation joue aussi sur la xénophobie populiste exarcerbée en période de crise. Le discours «national-
populiste » du Front national recourt aux lieux communs pamphlétaires de la décadence ; mais, récusant le nazisme et
l'antisémitisme, il se fonde sur les règles élémentaires de la propagande, l'équation immigrés = chômage = insécurité, les
métaphores de la maladie, des 5e et 6e colonnes, du naufrage, de l'apocalypse, les stéréotypes antifiscalistes, antilaxistes,
anticommunistes, taisant les mots-tabous sauf en cas de retournement (le «racisme antifrançais», le «fascisme rouge»).
L'immigré maghrébin est devenu l'ennemi premier, dans le cadre du complot soviétique. Démarginalisation de l'extrême-droite au
nom de l'autodéfense patriotique.
Citer ce document / Cite this document :
Taguieff Pierre-André. La rhétorique du national-populisme. In: Mots, octobre 1984, N°9. pp. 113-139.
doi : 10.3406/mots.1984.1167
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1984_num_9_1_1167PIERRE-ANDRÉ TAGUIEFF
COLLÈGE INTERNATIONAL DE PHILOSOPHIE Mots, 9, 1984
La rhétorique du national-populisme.
Les règles élémentaires de la propagande xénophobe
— «L'ignorant ne cède qu'à de mauvaises raisons». Ernest Renan, Vie de
Jésus (1863), Paris, Gallimard, 1974, p. 56.
— «Les mots et les formules sont de grands générateurs d'opinions et de
croyances. Puissances redoutables, ils ont fait périr plus d'hommes que les
canons. » Gustave Le Bon, Les opinions et les croyances, Paris, Flammarion,
1911, p. 232.
— « Depuis Pierre L'Ermite au temps de la première croisade, jusqu'à l'ère de
Hitler, Staline et leurs successeurs, les trucs démagogiques sont restés
essentiellement les mêmes». Max Horkheimer, «La théorie critique hier et
aujourd'hui» (1970), traduction française Luc Ferry, in Théorie critique,
Paris, Payot, 1978, p. 367.
IDÉOLOGIE DE LA DÉCADENCE
IMAGINAIRE DE LA RÉACTION NATIONALISTE
La remarque faite par Horkheimer sur l'étonnante stabilité des «trucs démagogiques»
depuis le 11e siècle occidental est immédiatement précédée d'une autre, non moins empreinte
de surprise: «On enseigne l'histoire à l'Université. Mais l'étudiant n'entendra rien sur un
point particulièrement important dans le monde où nous vivons, je pense à ce que l'on
nomme démagogie et à la façon dont elle opère» (ibid.). Après un bref inventaire des actes
démagogiques élémentaires, Horkheimer exhortait à mettre en œuvre un programme d'un
optimisme pédagogique certain: «Si l'on montrait à l'école ce qu'est la démagogie par
opposition avec un discours qui vise à la vérité, les élèves pourraient être immunisés contre la
séduction démagogique. On doit donner aux élèves des exemples et leur montrer en quelque
sorte dans le détail que ce qui nous est transmis par Pierre l'Ermite est étonnamment 114 PIERRE-ANDRÉ TAGUIEFF
semblable aux pratiques des démagogues d'aujourd'hui» (ibid.). Nous nous efforcerons de
contribuer à cette pédagogie de la défascination, à cette déconstruction aussi laborieuse
qu'impérative des ruses de l'intelligence pratique, à l'identification des opérations rhétoriques
minimales par lesquelles les démagogues séduisent les hommes et les poussent à l'action. A
suivre les analyses désormais classiques de Chaïm Perelman (essentiellement, Traité de
V argumentation. La nouvelle rhétorique, Paris, PUF, 1958), on considérera que l'usage
rhétorique du discours se caractérise d'abord par sa finalité : persuader et convaincre, ou, plus
précisément, «provoquer ou accroître l'adhésion d'un auditoire aux thèses qu'on présente à
son assentiment» (C. Perelman, L'empire rhétorique, Paris, Vrin, 1977, p. 19, 1958, p. 5).
Dans le champ rhétorique, l'orateur n'use du discours qu'en vue de «faire faire», et non
pas de rechercher un accord, ou de dire le vrai sur un état de choses. Dans l'argumentation,
la composante explicative est subordonnée à la composante séductrice: l'orateur cherche, au
moyen du discours, à inciter à l'action son auditoire, ou à créer en lui une disposition à
l'action. L'art du démagogue se réduit, dans sa fin dernière, à la manipulation: pour faire
agir, il faut appliquer des règles rhétoriques sans souci de vérité ou de vérifiabilité du
propos. L'orateur construit son argumentation pour quelqu'un, un auditeur ou un auditoire
déterminés, dont il suppose une certaine représentation. Pour faire agir, il n'est pas requis de
provoquer l'adhésion intellectuelle, mais de s'adapter aux valeurs de l'auditoire en intensifiant
certaines d'entre elles et en leur conférant une orientation conforme au type d'action qu'il
s'agit de provoquer. Persuader, c'est séduire et faire croire. En visant non pas l'homme
quelconque (le destinataire d'une démonstration mathématique), mais un auditoire défini qui
adhère à des valeurs idéologiques préalablement connues. La démagogie est action sur le
peuple ou la masse, le démagogue est celui qui fait appel au peuple contre des ennemis
absolus (lois iniques, classe de privilégiés, parti de l'étranger, etc.). Cette alliance proclamée
entre le tribun populaire et «son» peuple représente un acte premier de légitimation du sujet
démagogue. Il est essentiel que le discours démagogique n'invente pas ses valeurs, ne crée
pas ses mots, évite même de les rendre méconnaissables en les transformant. Son art consiste
à rendre acceptable l'orientation et les fins qu'il confère, explicitement ou non (ou pas tout à
fait), aux valeurs en cours dans la vie ordinaire de son auditoire. Le démagogue travaille sur
une matière idéologique préformée, dont il suit les lignes de force et saisit les variations selon
la conjoncture. La théorie classique de la tyrannie définit le tyran comme un démagogue qui
a réussi. Le démagogue s'assure, par son discours contre les «grands», les «gros», les DU NATIONAL-POPULISME 115 RHÉTORIQUE
«puissants» ou les «riches», la condition imperative de tout succès selon la logique de son
entreprise : l'appui du peuple. Encore faut-il, et là réside la pierre de touche de son art, qu'il
donne au peuple l'impression que son discours non plus que ses succès ne lui appartiennent
pas en propre. Le peuple doit être pénétré de l'illusion que les idées et valeurs du
démagogue ne diffèrent en rien des siennes. «Les idées que je défends? Les vôtres», affirme
très classiquement J.-M. Le Pen. Il dit être l'homme qui s'adresse au peuple, véritablement
et sincèrement. L'adresse au peuple

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