La vache folle et la soupe aux choux. Analyse sociologique de deux comportements alimentaires - article ; n°1 ; vol.133, pg 51-64
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Communication et langages - Année 2002 - Volume 133 - Numéro 1 - Pages 51-64
Brigitte Munier s'appuie sur le fait qu'en tout homme coexistent une compréhension objective et une saisie symbolique ou poétique du monde. Pour interpréter le comportement humain, elle tient compte de cette double approche dont les sujets n'ont généralement pas conscience. L'auteur s'attache alors à repérer la trace de mythes, de symboles et de rites dans nos sociétés complexes, et à découvrir la place de l'imaginaire dans une modernité réputée «désenchantée». Elle nous propose ici l'analyse de deux phénomènes apparemment étrangers à l'emprise de l'imaginaire ; la réaction suscitée par l'épizootie dite de la « vache folle » et les comportements nouveaux face à la consommation de soupe.
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Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 69
Langue Français
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Extrait

Brigitte Munier-Temime
La vache folle et la soupe aux choux. Analyse sociologique de
deux comportements alimentaires
In: Communication et langages. N°133, 3ème trimestre 2002. pp. 51-64.
Résumé
Brigitte Munier s'appuie sur le fait qu'en tout homme coexistent une compréhension objective et une saisie symbolique ou
poétique du monde. Pour interpréter le comportement humain, elle tient compte de cette double approche dont les sujets n'ont
généralement pas conscience. L'auteur s'attache alors à repérer la trace de mythes, de symboles et de rites dans nos sociétés
complexes, et à découvrir la place de l'imaginaire dans une modernité réputée «désenchantée». Elle nous propose ici l'analyse
de deux phénomènes apparemment étrangers à l'emprise de l'imaginaire ; la réaction suscitée par l'épizootie dite de la « vache
folle » et les comportements nouveaux face à la consommation de soupe.
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Munier-Temime Brigitte. La vache folle et la soupe aux choux. Analyse sociologique de deux comportements alimentaires. In:
Communication et langages. N°133, 3ème trimestre 2002. pp. 51-64.
doi : 10.3406/colan.2002.3156
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_2002_num_133_1_3156La vache folle
et la soupe aux choux
Analyse sociologique
de deux comportements
alimentaires U O
O
Brigitte Munier-Temime
Brigitte Munier s'appuie sur le fait qu'en tout homme complexes, et à découvrir la place de
coexistent une compréhension objective l'imaginaire dans une modernité réputée
et une saisie symbolique ou poétique du «désenchantée». Elle nous propose ici
monde. Pour interpréter le comportement l'analyse de deux phénomènes apparem
humain, elle tient compte de cette double ment étrangers à l'emprise de l'ima
approche dont les sujets n'ont générale ginaire ; la réaction suscitée par l'épizootie
dite de la « vache folle » et les comportement pas conscience. L'auteur s'attache
alors à repérer la trace de mythes, de ments nouveaux face à la consommation
symboles et de rites dans nos sociétés de soupe.
En exergue à cette étude nous proposons trois axiomes nécess
aires à la compréhension de cette herméneutique symbolique
dont la dynamique subvertit nos comportements pour en révéler
le sens latent.
Le corpus mythique permet à une collectivité de prendre
conscience d'elle-même. Les mythes, reconnus par
l'ensemble d'une communauté, marquent l'ajustement de
l'homme à sa condition en même temps que son assomption.
Dès lors, cosmodicée et sociodicée tout à la fois, le mythico-
symbolique répond à un désir de sens, et revêt un caractère
existentiel et conjuratoire. Enfin, la culture mythique perdure
et, livrant une lecture poétique du monde, demeure le contre
poids de la civilisation après en avoir été le contrefort. À l'aide
de nos deux exemples, triviaux à dessein, nous tenterons de
montrer la permanence de ce recours à l'imaginaire, tel un
besoin de restaurer la relation existentielle au monde. Certes,
à l'inverse des sociétés sans écriture dont la référence cultu
relle est exclusivement mythique, notre modernité présente
des symboles, mythes et rites éparpillés et fragmentaires, 52 L'information comme cristallisation de l'imaginaire
difficilement repérables. Ils demeurent pourtant le foyer d'une
axiologie collective latente dont toute atteinte génère un
ébranlement social profond.
LA « VACHE FOLLE » OU L'EPIPHANIE D'UN SYMBOLE
Les formes d'intelligibilité réputées archaïques sont toujours
vivantes, « coexistant avec des formes de pensée qui se récl
ament de la science ; elles sont contemporaines au même
titre1 », écrivit Claude Lévi-Strauss. L'ampleur du scandale
provoqué par l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) en fit
foi, révélant l'activité latente de notre appréhension symbolique
des événements, et non pas seulement prosaïque.
La viande de mammifère se consomme au masculin
Le public avait des raisons de s'émouvoir: la vision de vaches
divagantes, puis abattues, est pénible, et l'économie fut dure
ment affectée ; mais il n'exprima pas seulement l'indignation, la
colère ou la panique, mais bien l'horreur et ceci, notons-le,
avant l'hypothèse d'une transmission de l'ESB à l'homme,
annoncée par le secrétaire d'État britannique à la santé en
19962. Bien avant cette date, les consommateurs prirent bru
squement conscience qu'ils mangeaient, non du bœuf, mais de
la vache, l'animal nourricier, maternel par excellence, associé,
dans l'imaginaire, au lait, non à la viande. Au mot «vache», le
dictionnaire Robert précise : « vendu en boucherie sous le nom
de bœuf». Consulter le nom donné aux viandes proposées à la
consommation est significatif... Les volailles portent l'indication
de leur sexe et de leur degré de croissance, poulet, poule, coq,
cane, canard, éventuellement poussin ou caneton, sans égard
„ pour les cœurs sensibles : indice que le symbolisme anhisto-
5 rique est étranger aux scrupules d'une sentimentalité liée à
{8 l'évolution des mœurs. Les mammifères, en revanche, sont
6 vendus au masculin, veau, bœuf, taureau dans le midi, agneau,
-5
c
■2 1 . Lévi-Strauss C, De près et de loin, entretien avec Didier Eribon, Paris, Editions Odile
.2 Jacob 1988, coll. « Points », 1991 p. 154.
§ 2. L'ESB fut identifiée la première fois en novembre 1986 en Grande-Bretagne,
g Cf. l'article « Épizootie » de Joubert L. et Tomia B., dans V Encyclopaedia Universalis,
o 1998. La vache folle et la soupe aux choux 53
chevreau, etc. Il n'est pas question de vaches, de brebis ou de
chèvres qui apparaissent associées aux produits laitiers sans
que rien n'évoque, dans cette vente, la chair ou le sang3. Distin
guer la viande du lait est une habitude ancienne figurant parmi
les règles fondamentales de la cashrout juive interdisant de
mêler la chair et le lait au cours d'un repas ou dans les mêmes
récipients : « Tu ne cuiras pas le chevreau au lait de sa mère4. »
Llnde témoigne d'une sensibilité similaire, mais infiniment plus
accentuée, puisque la vache est révérée comme mère et la
consommation de viande, proscrite.
Des précédents historiques...
La maladie de la vache folle a montré que la répulsion pour
l'abattage des vaches ne relève pas seulement de règles rel
igieuses, mais d'un imaginaire plus généralement partagé, à
l'origine, peut-être, des interdits religieux qui le renforcèrent en
retour. « Manger de la vache » suscite l'image sacrilège d'un
mammifère dépecé, sang et lait mélangés : c'est là sauvagerie,
comportement oublieux de la prodigalité d'un animal dont tout
être humain a bu le lait après celui de sa mère. Jusqu'à la
découverte de l'ESB, nul n'avait clairement pris conscience de
consommer de la vache. Les médias, soucieux de l'impact
émotif, imputèrent expressément la maladie à la vache, évitant
de parler de bœuf dément. Le public se sentit alors prisonnier
d'une société malade, elle aussi, emportée par la nécessité
incontrôlable de produire toujours plus, fût-ce au prix d'actes
contre nature. Dévorer l'animal maternel généra un trauma
tisme si profond qu'il se dissimula, croyons-nous, sous le choc
induit par le savoir des causes de la maladie, l'administration à
des herbivores de farines animales contaminées.
3. Une exception est faite pour la génisse, mais ne concerne que le foie. Ce phénomène
obéit nous semble-t-il à deux raisons : la génisse ne possède pas encore l'aura nourri
cier de la vache, et le consommateur de triperie prise des aliments provenant d'un
animal jeune ; le foie de veau est privilégié, mais son coût élevé lui fait préférer la
génisse, dont le nom est utilisé pour insister sur la jeunesse et éviter celui de vache. La
masculinisation de la viande de boucherie s'applique même aux animaux dont aucun
produit laitier n'est produit à

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