La Vie de Timon d Athènes de Shakespeare : un festin de cannibales - article ; n°1 ; vol.34, pg 67-97
32 pages
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La Vie de Timon d'Athènes de Shakespeare : un festin de cannibales - article ; n°1 ; vol.34, pg 67-97

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Description

Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance - Année 1992 - Volume 34 - Numéro 1 - Pages 67-97
31 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 13
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Christian Barataud
La Vie de Timon d'Athènes de Shakespeare : un festin de
cannibales
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°34, 1992. pp. 67-97.
Citer ce document / Cite this document :
Barataud Christian. La Vie de Timon d'Athènes de Shakespeare : un festin de cannibales. In: Bulletin de l'Association d'étude
sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°34, 1992. pp. 67-97.
doi : 10.3406/rhren.1992.1829
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1992_num_34_1_1829LA VIE DE TIMON D'ATHENES, DE SHAKESPEARE
UN FESTIN DE CANNIBALES.
La Vie de Timon d'Athènes, écrite vers 1607-1608, raconte la
conversion du philanthrope en son contraire, le misanthrope. Le cadre de cette est double, et présente le même antagonisme extrémiste que
l'évolution du caractère de Timon : d'abord (des actes 1 à 3) la maison du
philanthrope, où celui-ci tient table ouverte ; notons tout de suite l'importance
de la convivialité, puisque les actes 1 et 3 présentent une ou des scènes de
banquet, réel ou parodique ; puis la nature sauvage à l'acte 4, lieu désolé de la
misanthropie, inspiratrice d'un lyrisme à la fois destructeur et vain, un peu
comme la lande du Roi Lear ; le bref acte 5 nous ramène irrésistiblement de
cette nature, dans laquelle Timon effectue sa dernière parade avant de s'y
dissoudre, jusque sous les murs d'Athènes, où Alcibiade vainqueur négocie son
entrée dans la ville qui sera, finalement, épargnée. Cadres contrastés, donc, à
l'unisson de l'évolution psychologique et morale du héros. Or, si la seule
présence de ce dernier suffit à assurer l'unité dramatique de la pièce, le retour
de certaines préoccupations, notamment alimentaires, en révèle l'unité
thématique, peut-être moins évidente. Cette pièce peut se lire, en effet, comme
une réflexion sur la notion de générosité, ou libéralité (bounty), qui est la
vertu cardinale de Timon, à laquelle celui-ci ne voudra jamais renoncer,
jusque dans les situations qui lui permettraient le moins de l'exercer si,
récompense ironique de sa persévérance, il ne découvrait de l'or en cherchant
des racines - vertu qu'il est allé traquer, après qu'elle lui a fait faux-bond dans
son oikos, au fin-fond de la nature, comme si, après avoir «pris en défaut
l'humanité», il voulait obliger à son tour la nature «à des dénis injustes», pour
reprendre les expressions de Balzac dans le Colonel Chabert. Or, le grand
débat sur la générosité naturelle passe par une définition des besoins et des
comportements alimentaires des hommes, ou peut-être devrait-on dire que le
débat se trouve, d'emblée, faussé par la perversité de ces comportements.
D'ailleurs - et c'est là ce qui désespère Timon - même au sein de la nature, on
n'échappe pas à la présence de l'homme, qui multiplie ses apparitions 68
obsédantes jusqu'à créer la conviction intime et intolérable chez le candidat-
misanthrope qu'il est lui-même le plus beau specimen d'humanité, trop beau
pour être vrai, rendant illusoire la tentation érémitique, avant la lettre - une
lettre morte, peut-être - qui semblait lui fournir la possibilité de suivre
rigoureusement l'ordre naturel, ordre décidément trop rigoureux. Ainsi, en
raison de cette correspondance entre la générosité, réelle, de Timon, et celle,
supposée, de la nature, la pièce, non contente de remettre en question l'uberté
naturelle, solde, de façon plus microcosmique, ce qu'on pourrait appeler
l'héritage convivial de la Renaissance.
La générosité de Timon, qu'on nous montre (acte 1) dilapidant son
patrimoine dans des banquets qui, plus encore que prétexte à un festin de mots,
comme le dit Michel Jeanneret1, servent, dans l'esprit de leur amphitryon, de
lieu d'échange à cette valeur suprême qu'est l'amitié, matérialisée par des
présents qui, de leur côté, éclipsent les mets - cette générosité (bounty) ne tient
pas l'épreuve du krach financier, et n'appelle aucune réciprocité (acte 2). C'est
que la consommation rituelle du banquet reposait sur un malentendu, dénoncé
en vain par ce double ignoble de Timon qu'est le cynique Apemantus : c'était
Timon lui-même qu'on dévorait, héros involontaire d'une Cène athée, dont,
après avoir rebaptisé ses faux amis à l'eau tiède, pour leur jeter à la figure des
noms de bêtes sauvages qu'ils sont en vérité (acte 3), il finit par reconnaître le
caractère anthropophagique une fois dépouillé de tout, au sein de la nature
(acte 4), cette marâtre, dans laquelle un défilé incessant d'hommes l'empêche
d'appliquer le programme érémitique qu'il s'était assigné. Désormais
convaincu de leur appétence au cannibalisme2, symbolisée dans toute la pièce
par l'image ambiguë du chien, Timon ne cherche plus que des confirmations
de ce fait fondamental, et cherche à déclencher, par le pouvoir corrupteur de
l'or qu'il trouve à foison, la curée à laquelle il pousse l'armée d'Alcibiade,
jeune cannibale aux dents longues, à la fin des fins de restituer l'empire du
monde aux bêtes - aux vraies. Paradoxe suprême, Timon ne veut pas être là
pour voir ce triomphe, car son affrontement cruel avec son double,
Apemantus, lui a appris qu'il ne peut, pour sa part, cesser d'être homme. Or,
si le cannibalisme, dans la mesure où il signifie l'appartenance à une culture
«sauvage» attachée avant tout à la valeur guerrière, peut plus ou moins se
transcender et ne pas se réduire à sa dimension carnée, concrète, bestiale ou
1 M. Jeanneret, Des mets et des mots, Paris, José Corti, 1987, qui signale déjà comme des
«banquets scandaleux» ceux de Shakespeare, analysant celui de Macbeth (pp.47-48), tandis
que celui de Timon est mentionné en note (p. 59).
2 Pour le festin cannibale chez voir François Laroque, Shakespeare et la fête,
Paris, P.U.F. 1988, pp. 291-299. 69
humaine, Timon repousse aux calendes grecques le débat en refusant de
dissocier chez Alcibiade cette âpre vaillance célébrée par Montaigne, et dont le
jeune général fait inutilement l'éloge devant le Sénat d'Athènes, de l'impulsion
cannibale dont elle procède et à laquelle il veut désormais la ramener.
Et quant à la nature, dont Timon, au temps de sa splendeur, pouvait se
croire l'émule, elle apparaît comme une rigoureuse gestionnaire accordant
chichement ses produits nourriciers, tandis qu1 à l'inverse, elle ne ménage pas
l'or stérile. Les temps sont donc mûrs pour la destruction d'Athènes, pense
alors Timon, qui cependant s'évertue en vain à lui demander une portée de
monstres au foisonnement baroque ; le temps des prodiges, fussent-ils
tératologiques, est terminé ; sans doute, l'homme n'en est plus digne, et l'or,
cette abstraction suprême, tiendra lieu de tout. Devant cette avarice au plus
haut niveau, Timon, qui se fait gloire d'être resté prodigue, n'a plus qu'à
quitter la scène, non sans avoir tenté de contaminer de sa rage ceux qu'il croit
devoir oeuvrer efficacement à la destruction de l'humanité. Il réussit
passablement avec les courtisanes Timandra et Phryné, chargées de propager la
vérole, mais son échec avec les brigands marque nettement les limites d'une
prédication apocalyptique dans laquelle les hommes, si mauvais qu'ils soient,
refusent de se reconnaître. En définitive, les événements semblent donner tort
à Timon, à preuve le compromis anhistorique qu'Alcibiade conclut, à l'acte 5,
avec le sénat d'Athènes, dans lequel cependant la fin «ouverte» de la pièce
laisse penser que les exigences de l'anthropophagie, même symbolique, ont
trouvé place...
1. Des bandits récalcitrants.
En IV, 3, a lieu, entre les visites d'Apemantus et de Flavius, la courte
entrevue avec les Banditti, qui, ayant appris qu'il avait trouvé de l'or, viennent
à Timon. La confrontation avec le misanthrope se terminera, de façon
inattendue, par leur «retournement». Ce

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