Le gigot et l encrier. Maîtres et esclaves en Mauritanie à travers la littérature orale - article ; n°1 ; vol.51, pg 74-90
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Le gigot et l'encrier. Maîtres et esclaves en Mauritanie à travers la littérature orale - article ; n°1 ; vol.51, pg 74-90

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Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1989 - Volume 51 - Numéro 1 - Pages 74-90
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 62
Langue Français
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Extrait

Aline Tauzin
Le gigot et l'encrier. Maîtres et esclaves en Mauritanie à travers
la littérature orale
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°51, 1989. pp. 74-90.
Citer ce document / Cite this document :
Tauzin Aline. Le gigot et l'encrier. Maîtres et esclaves en Mauritanie à travers la littérature orale. In: Revue du monde musulman
et de la Méditerranée, N°51, 1989. pp. 74-90.
doi : 10.3406/remmm.1989.2270
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1989_num_51_1_2270Aline TAUZIN
LE GIGOT ET L'ENCRIER
Maîtres et esclaves en Mauritanie
à travers la littérature orale
Si la longue existence de l'esclavage en Mauritanie ne semble pas avoir engen
dré de rébellions collectives ou de mouvements ayant fait date dans l'histoire, elle
a par contre suscité des formes d'expression dont on peut dire que, à la fois, elles
dénoncent et confortent l'ordre social établi. Ce sont, pour l'essentiel, des chants
et des contes dont nous présenterons ici quelques échantillons.
La société maure s'ordonne selon une hiérarchie très marquée dont les esclaves
occupent le niveau le plus bas. Si tous les groupes peuvent posséder des esclaves,
ceux-ci se rencontrent surtout au sein des tribus guerrières et maraboutiques. Leur
nombre est malaisé à évaluer. Selon l'enquête SEDES (1964-65) citée par F. de
Chassey (85), ils étaient alors estimés à 13% de la population totale, esclaves et
«affranchis»1 formant ensemble 42% de cette même population. Pour notre
région d'enquête, le Hodh, A. Chambon (1961) avance le chiffre de 49% (là encore
esclaves et «affranchis» confondus), avec des disparités très fortes selon les tribus.
Ainsi, selon lui, la tribu des Ideïboussat, tribu chamelière nomadisant jusqu'au
Tagant n'en compterait que 11%, la tribu des Oulad M'Barek, installée à la fron
tière mauritano-malienne, 80% et celle des Oulad Nacer, proche d'Aïoun el-Atrouss,
47%. Ils sont assurément plus nombreux au sud qu'au nord du pays, largement
impliqués dans la combinaison agriculture/élevage qui caractérise plus encore cette
région (M. Gordon, 60). Ils semblent provenir, non pas tant de razzias effectuées
sur les populations négro-africaines voisines que du commerce (A. ould Cheikh, 418).
L'esclavage était en Mauritanie — ou est encore là où il perdure2 — un escla
vage domestique. Les esclaves sont propriété d'un individu, voire d'un groupe d'indi-
REM.M.M. 51, 1989-1 Le gigot et l'encrier I 75
vidus ayant entre eux des liens de parenté (des frères, par exemple). Leur relative
rareté et leur rôle indispensable dans l'économie tribale pouvaient entraîner le maint
ien de la cohésion d'un groupe et leur possession en indivision.
La société maure obéissait, comme nous le disions plus haut, à une stricte hié
rarchie des statuts et des rôles. Les deux groupes dominants assumaient, pour l'un
(hassân ou earab) une fonction guerrière, offensive contre les tribus ennemies et
protection des alliés et dépendants, pour l'autre (zwàya) une fonction religieuse
d'intercession auprès du divin, d'enseignement, mais aussi une commerci
ale, ici organisation de caravanes, association fréquente en pays d'Islam. Le tra
vail manuel, la production matérielle des biens et objets, fortement dévalorisés
en regard des occupations nobles esquissées plus haut, étaient l'apanage des autres
groupes, selon une spécialisation là aussi très marquée. Ainsi, les haratîn (dénom
més « affranchis » par les auteurs précédemment cités) étaient prioritairement agri
culteurs, les znàga éleveurs, et tous deux inscrits dans un rapport tributaire avec
les groupes dominants; les meallmïn, «forgerons», travaillaient le fer et le cuir;
enfin les esclaves, ebïd3 assumaient la totalité des tâches nécessaires à la vie quoti
dienne du campement. L'on ne saurait oublier l'existence des iggàwen, «griots»,
qui, bien que «producteurs de mots» — à moins que ce ne soit pour cette raison
même —, occupaient une place à la fois peu enviable et ambiguë dans la stratifica
tion maure. Les alliances se concluaient selon le principe de l'endogamie, endoga-
mie d'autant plus stricte que l'on s'élevait dans la hiérarchie sociale, avec cepen
dant le correctif d'une hypergamie féminine qui autorisait une femme à n'épouser
qu'un homme de statut égal ou supérieur au sien. Ultime précision : le statut est
héréditaire et transmis par le père seul. Celui de la mère n'a aucune incidence,
officiellement du moins.
L'esclave «de tente» avait des attributions spécifiques, selon qu'il était homme
ou femme, eabd ou xâdem. L'homme était berger de troupeaux en quête de paca
ges souvent lointains. Ou encore agriculteur : dans notre région d'enquête, le cycle
annuel voyait la majeure partie des esclaves se sédentariser, du début de l'hiver
nage à la fin des récoltes, à proximité des zones cultivables, tandis que les trou
peaux gagnaient des pâturages plus septentrionaux que la pluie faisait reverdir.
On cultivait le mil, le sorgho, des haricots en grains qui, si le climat était propice,
permettaient de varier une alimentation essentiellement lactée. On devait encore
à l'esclave la fabrication du charbon de bois, des cordes, la cueillette des grami
nées sauvages et celle de la gomme arabique vendue ensuite dans les comptoirs
coloniaux.
La femme, quant à elle, était chargée de la préparation des repas (pilage du mil,
cuisson des aliments), de l'approvisionnement en eau, de la surveillance des an
imaux restés à proximité du campement (ovins, chamelles laitières), des soins aux
enfants des maîtres.
L'institution de l'esclavage trouvait sa justification dans le respect de la loi cora
nique qui autorisait l'asservissement des non-musulmans. L'émancipation, déci
dée par le maître, d'un esclave ayant fait montre de qualités particulières, prenait
le sens d'un acte de piété.
L'esclave était mineur sur le plan juridique, ce qui en retour impliquait un devoir
de protection de la part de son maître. Souvent comparé à un enfant — pour son
irresponsabilité — il était traité comme tel. Privé de liberté dans ses mouvements
et dans ses actes, il devait obéissance à ses maîtres. Ces derniers étaient tenus, 76 / A. Tauzin
pour leur part, de répondre à ses besoins en matière de nourriture, d'habillement
etc. Nombre d'auteurs de la période coloniale n'ont pas manqué de souligner le
faible écart existant à ce niveau-là entre maîtres et esclaves (Y. Aubinière, Fon-
dacci, Trancart), dans le contexte d'une économie précaire, souvent menacée de
disette.
Les droits très restreints liés à son statut l'autorisaient à posséder quelques an
imaux, mais le privaient d'une transmission par héritage à ses propres descendants.
Les biens de l'esclave défunt revenaient au maître. De même, il ne lui était pas
reconnu le droit de conclure des alliances pour les membres de son groupe. Cela
encore était prérogative du maître, d'autant plus importante qu'il y allait de la
force de travail des esclaves et de la possession de leur descendance. Le rituel de
mariage était inexistant; la période légale précédant un remariage était, pour la
femme esclave, inférieure de moitié à ce qu'elle était pour la femme libre. Les
faits abondent, qui définissent ainsi le statut mineur de l'esclave.
Mais la proximité des deux groupes, maîtres et esclaves, dans l'espace du cam
pement et la distance extrême qui les sépare dans l'espace social, les inscrivent
dans des rapports autrement plus complexes que ce jeu d'obligations réciproques
que nous venons d'énoncer. La tente des esclaves — dont les hommes sont sou
vent absents, retenus ailleurs par leurs différents travaux —, était dressée à quel
ques pas devant celle des maîtres3. Nous avons dit plus haut que les femmes escla
ves étaient chargées des préparations alimentaires, ainsi que de la surveillance des
enfants des maîtres, et de leur allaitement lorsqu'ils étaient en bas âge. Et nous
verrons plus loin que c'est dans ce lieu précisément que s'exprime

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