Le « moi » et le « nous » : Ingeborg Bachmann et sa rupture avec la modernité esthétique  - article ; n°1 ; vol.35, pg 31-42
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Le « moi » et le « nous » : Ingeborg Bachmann et sa rupture avec la modernité esthétique - article ; n°1 ; vol.35, pg 31-42

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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1987 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 31-42
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 11
Langue Français

Extrait

Christa Bürger
Martine Bigot
Le « moi » et le « nous » : Ingeborg Bachmann et sa rupture
avec la modernité esthétique
In: Les Cahiers du GRIF, N. 35, 1987. Ingeborg Bachmann. pp. 31-42.
Citer ce document / Cite this document :
Bürger Christa, Bigot Martine. Le « moi » et le « nous » : Ingeborg Bachmann et sa rupture avec la modernité esthétique . In:
Les Cahiers du GRIF, N. 35, 1987. Ingeborg Bachmann. pp. 31-42.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1987_num_35_1_1720« moi » et le « nous » Le
Ingeborg Bachmann et sa rupture avec la modernité esthétique
Christa Burger
Ingeborg Bachmann, qui a sans doute admiré Brecht ne l'a jamais ren
contré. Elle avait raison de supposer qu'il aurait porté un jugement sévère
sur son uvre. Ce que raconte l'actrice brechtienne Kàthe Reichel rappelle
certains épisodes surréalistes. A l'occasion d'une tournée en Allemagne de
l'Ouest, elle aperçoit une photo de Bachmann en page de couverture du
Spiegel, l'achète et survolant le titre, tombe sur quelques vers qui lui plai
sent. Ce sont les strophes de Midi précoce. « J'ai pensé que ce recours à une
image des classiques allemands associée au fascisme et au présent pouvait
intéressser Brecht ». K. Reichel achète le petit volume et le rapporte à
Brecht. Ensemble, pendant les vacances d'été à Buckow, ils lisent les poè
mes et Brecht souligne les vers qui lui plaisent. Ce qu'il ne souligne pas est
à ses yeux sans importance. Dans Midi précoce, il ne conserve que les deux
strophes rimées : comme le remarque Gerhard Wolf, il s'agit d'une coupe
brutale : le rapprochement d'un ensemble de vers libres aux dimensions
cristallines des Elégies de Buckow, difficile à classer sur le plan formel.
Brecht élimine sans pitié les digressions, il regrette le manque d'orientation
sociale. Logiquement, il élimine complètement le poème Vol de nuit qui se
termine par la question « qui ose se souvenir de la nuit ? »
Poésie et modernité
Pour apprécier la signification historique du jugement de Brecht, on se
rappellera que Vol de nuit fait parti des poèmes pour lesquels Ingeborg
Bachmann a obtenu en 1953 le prix du Groupe 47 et que les lectures de
Bachmann, Celan et Aichinger, lors de la session du Groupe, au printemps
1952, marquent le début d'une ère nouvelle dans l'évolution de la littérature
d'après-guerre. Ils correspondent dans l'histoire récente de la littérature à la
fin du néo-réalisme et au rapprochement de la littérature allemande avec la
modernité européenne. 31 « Je crois que je pourrais relater cet instant où tout bascula ! C'était à
Niendorf sur la Baltique au printemps 1952 lors de la session du Groupe
47. Les véristes, de bons écrivains, lisaient des extraits de leurs romans.
Soudain, un homme qui avait pour nom Paul Celan (personne, auparavant
n'avait entendu parler de lui) commença à dire ses poèmes, sur un ton
chantant et en marquant une distance profonde au monde ; Ingeborg Bach
mann, une débutante, qui venait de Klagenfurt, chuchota quelques vers, à
voix basse et en marquant des pauses ; Use Aichinger exposa avec une dou
ceur toute viennoise, L'histoire du miroir.
Il serait simpliste de vouloir rendre compte de ces jugements contradictoir
es, de l'enthousiasme d'une part, des critiques impitoyables de certains
membres du Groupe 47 et du scepticisme de Brecht d'autre part, en invo
quant les divergences politiques. Au cur de ces différences d'appréciation,
le concept masqué de modernité me semble jouer un rôle plus important.
Dans ce qui suit, je vais essayer de dégager les moments de modernité du
poème.
La structure du poème, un thème et ses variations révèle sa parenté histo
rique avec la Fugue de la mort de Celan. On reconnaît les références à la
tradition du lyrisme moderne espagnol et à ses procédés : le mélange de
chant populaire et d'images surréalistes. Le motif de l'ange rappelle, plutôt
que Rilke, la tradition espagnole où les images réunissent la nature et l'his
toire. Mais les anges de Rafael Alberti sont les symboles de l'espoir. L'un
d'eux, bien que blessé à mort, survit à la catastrophe cosmique qui les voit
périr pour transmettre aux hommes le devoir de se souvenir. Chez Bach
mann, l'ange décapité est le signe de la fin de l'histoire (allemande) : il
n'appelle pas au souvenir mais cherche l'oubli (une tombe pour la haine).
On touche là au thème central de la production littéraire de Bachmann : le
refoulement du passé.
Hugo Friedrich, qui souligne les dissonances de la poésie moderne (« le
contraste entre un intellectualisme aigu et des traits archaïques, mystiques,
occultes ») voit dans l'association d'éléments ésotériques et populaires la spé
cificité de la poésie moderne espagnole ; c'est pourquoi l'hermétisme des
images d' Alberti ou de Lorca reste énigmatique pour ceux qui ignorent la
tradition espagnole. Chez Bachmann rien de tel. Le montage de chant popul
aire et de ballade (transformée sans qu'on le remarque) donne aux images
familières une très forte étrangeté et isole certains éléments qui sont en
quelque sorte singularisés. Ils ne peuvent plus apparaître comme des images
conservées dans la mémoire collective, qui, au moment de la reconnaissance,
32 se révèlent avoir une signification précise. Ils se figent en allégorie : le pays des contes et des bourreaux, c'est l'Allemagne. Le sujet lyrique renonce
alors à éclairer l'histoire dont il confirme la brutalité perverse. ¦¦
La poésie de Bachmann me semble présenter un danger : la maîtrise
technique des procédés esthétiques efface la signification du poème. Les vers
de la deuxième et de l'avant-dernière strophe qui constituent le motif de la
fugue (une entorse à la tradition) sont là pour servir une image surréaliste
où la nature et l'histoire sont réunies : « Quand le ciel d'Allemagne fait le
noir sur la terre/ [...] Quand la terre d'Allemagne fait le noir dans le ciel ».
Je me demande si le renversement schématique de l'image (le change
ment de position du sujet et de l'objet) ne conduit pas à vider l'image de
son sens et à détruire sa symbolique. Ce procédé est constamment employé
dans le poème : l'acier se tord dans la cendre et non dans la braise, l'ombre
décline et non le soleil, l'aigle est soudé au rocher à la place de Prométhée.
La dernière inversion symbolique fait apparaître une autre particularité
du poème qui, pour l'histoire de la littérature dans la lignée d'Hugo Frie
drich, représentait sa poéticité et son esthétisme, je pense à la polyvalence
incontrôlée des images et des symboles. L'aigle qui demeure soudé au ro
cher peut évoquer la libération de Prométhée. Mais il est question du rocher
d'un rêve primitif : l'image s'évanouit. Que signifie l'aigle ? Les restes ar
chaïques qui le lient à la terre empêchent-ils l'envol de l'imagination ? Cette
ambiguïté des images aura déterminé le jugement de Brecht. Les deux stro
phes qui ont valeur à ses yeux sont sans équivoque, à l'opposé du reste du
poème. Le nombre sept évoque les années du fascisme en Autriche. Rares
sont ceux qui peuvent porter leur regard sur la fontaine du passé. C'est
pourquoi l'Autriche, même après la Libération, ressemble à une morgue où
les bourreaux d'hier célèbrent leurs rituels fantomatiques.
En revanche, la pluralité des significations possibles de la première stro
phe rend sa compréhension difficile. La structure grammaticale de la phrase
- « Et la main crispée par le jet d'une pierre/ se laisse retomber dans les
blés mûrissants » - ne permet pas de dire si la phrase est active ou passive.
La main se dénoue-t-elle du fait de la violence subie ou du fait de la
violence qu'elle veut faire subir ? S'agit-il de la main d'une victime ou de
celle d'un bourreau ? Naturellement il ne s'agit pas de faire de la transpa
rence un critère esthétique mais il s'agit d'une question centrale de l'art
moderne, de ses aspects esthétiques d'un côté, de ses aspects éthiques et

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