Le pessimisme culturel entre la France et l Allemagne - article ; n°1 ; vol.14, pg 41-67
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Description

Mil neuf cent - Année 1996 - Volume 14 - Numéro 1 - Pages 41-67
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 18
Langue Français
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Extrait

Gilbert Merlio
Le pessimisme culturel entre la France et l'Allemagne
In: Mil neuf cent, N°14, 1996. pp. 41-67.
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Merlio Gilbert. Le pessimisme culturel entre la France et l'Allemagne. In: Mil neuf cent, N°14, 1996. pp. 41-67.
doi : 10.3406/mcm.1996.1150
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1996_num_14_1_1150Le pessimisme culturel
entre la France et l'Allemagne
GILBERT MERLIO
Le pessimisme culturel est, pour parodier Marx, comme le
soupir de la créature accablée par les effets de la modernisation.
Il est sensible au coût social et humain de la rationalisation
moderne, au « désenchantement du monde » (la perte du sens),
à la destruction des solidarités traditionnelles (l'atomisation), à
l'aliénation dans les mécanismes de la « raison instrumentale »,
économique ou bureaucratique.
L'optimisme progressiste ne peut nier ni les crises, ni les
décadences. On le constate aussi bien dans l'Essai sur les mœurs
de Voltaire que dans la philosophie hégélienne où les Empires
et les nations croissent et décroissent, rythmant ainsi la marche
de la raison dans l'histoire. Inversement, le pessimisme culturel
n'est pas seulement passéiste. Il cherche les voies d'un autre
progrès, d'une autre modernité. Le mot allemand Kulturkritik
ne dit pas ce qu'il prétend dire. Il signifie la critique de la
civilisation moderne au nom d'une vraie culture dont on trouve
le modèle dans le passé, par exemple dans l'Antiquité ou le
Moyen Age, mais que l'on espère bien faire revivre, à un degré
supérieur, dans l'avenir. La théorie des trois âges imprègne
pratiquement toutes les philosophies de l'histoire. Pourtant il
est utile de distinguer une « critique de la civilisation » {Kulturk
ritik) qui remet globalement la modernité en cause, est d'essence
conservatrice (ou romantique) et engendre le « pessimisme cul
turel », d'une «critique de la société», de «gauche», qui
stigmatise souvent les mêmes choses mais attribue les travers
41 aux formes et luttes sociales provisoires accompagnant dénoncés
le processus de modernisation 1.
Les débuts de la « Kulturkritik »
La « crise de la raison » est co-extensive à son histoire. Elle
se manifeste à l'époque de son triomphe. Dès avant le milieu du
xviii* siècle, Giambattista Vico dans sa Scienza nuova (première
édition 1725) évoque le spectre de la « barbarie de la réflexion »
qui, à l'époque de la civilisation avancée, transforme les hommes
en des animaux bien plus terribles encore qu'ils ne le sont à l'état
naturel. Pour ce catholique convaincu, la Providence divine est
à l'œuvre dans l'histoire, mais elle emprunte les voies des corsi
et des ricorsi qui caractérisent l'évolution cyclique des peuples
et des cultures.
On dit souvent de Rousseau qu'il est le père de la critique
de la civilisation moderne. Pour lui aussi, la raison est suspecte.
L'homme qui médite n'est qu'un animal dépravé. Le calviniste
de Genève a eu une grande influence dans les pays de Luther
qui avait déjà dénoncé la Putain. La religiosité du Vicaire
Savoyard ne pouvait que rencontrer celle du piétisme dont on
ne soulignera jamais assez l'influence sur les esprits allemands
du xviii* siècle. De ce fait, YAujklàrung est restée plus religieuse
que les Lumières françaises. Dieu n'est pas mort d'abord en
Allemagne mais en France, cent ans avant Nietzsche. Une cer
taine méfiance à l'égard de la Raison, de son « abstraction »
universaliste et de sa violence est toujours restée au cœur de
VAufklàrung.
Johann Gottfried Herder s'insurge dans Une autre philosophie
de l'histoire (1774) contre les conceptions unilinéaires et pro
gressistes de l'histoire défendues par les représentants des
Lumières. Pasteur, il croit en Dieu et donc, comme Vico, à la
Providence, plus précisément à un plan d'éducation que Dieu
poursuit avec les hommes appelés à réaliser leur « Humanité ».
Mais il remplace la notion de progrès (Fortschritt) par celle de
« continuation » {Fortgang). Herder souligne les discontinuités
dans cette « continuation ». Chaque peuple, chaque culture a une
1. Nous empruntons cette distinction à Rolf Peter Sieferle,
Fortschrittsfeinde ? Opposition дедеп Technik und Industrie von
der Romantik bis zur Gegenwart, Munich, Beck, 1984.
42 histoire individuelle qui suit une évolution organique. Herder
passe pour le père de l'historisme, non seulement à cause de
sa volonté d'expliquer tous les phénomènes par leur situation
historique, mais aussi à cause du relativisme des valeurs qui
s'ensuit. Il met en cause le rationalisme unidimensionnel proposé
par les tenants rigoureux des Lumières. Mieux, il en pointe
l'origine et le site : la France. Herder écrit sous l'influence de
Hamann ; en tant que représentant du Sturm und Drang, il
combat l'imitation des Français au nom de l'originalité propre
à chaque écrivain et à chaque peuple. Et il souligne les vertus
des peuples nordiques. Cela dit, Herder est le contraire d'un
nationaliste : les voix particulières des peuples, qui s'expriment
dans les anthologies de chants populaires qu'il édite, s'unissent
à ses yeux dans la symphonie d'une humanité une.
Avec Herder se dessine néanmoins l'un des traits caractéris
tiques de « l'idéologie allemande » . L'histoire allemande, prétend
Cari Schmitt, a été tout au long marquée par un « affect ant
iromain». La crainte de l'aliénation dans les mécanismes de la
rationalisation moderne s'y conjugue avec la crainte de l'ali
énation par l'étranger « welsche » et son hégémonisme politique
et culturel. La Terreur et les guerres révolutionnaires et napo
léoniennes attiseront ces craintes et cette revendication ident
itaire. Les intellectuels allemands, d'abord séduits par la Révol
ution française, ne renoncent pas à leurs idéaux humanistes.
Mais ils proposent d'autres voies pour leur réalisation. Schiller,
fait citoyen d'honneur par la Convention, s'étonne dans ses
Lettres sur l'éducation esthétique (1793-1795) qu'un siècle aussi
« éclairé » puisse sombrer dans de si cruelles oppressions et de
si meurtriers conflits. Lui aussi met en parallèle cette « barbarie
civilisée» et la «sauvagerie naturelle». Les excès de l'ente
ndement expliquent à ses yeux les maux modernes. Comme son
maître Kant, Schiller pense que les hommes doivent être « moral
ises ». Mais seule l'éducation esthétique réconcilie la nature
raisonnable et la nature sensible de l'homme et peut le rendre
apte à établir cet « Etat de la Raison » qui reste l'idéal à
atteindre. Chez cet esprit cosmopolite peu partisan d'un Etat-
nation allemand, nulle hostilité à l'égard de la France. Il n'en
est pas de même chez Fichte, autre déçu de la Révolution fran
çaise. Cet ancien Jacobin ne jette pas ses convictions aux orties.
Mais la France ayant failli, c'est à l'Allemagne qu'il appartient
selon lui de poursuivre l'œuvre révolutionnaire. Elle le peut et
elle le doit car elle possède les qualités intrinsèques nécessaires
43 cette tâche. L'originalité de la langue allemande par rapport à
aux langues romanes dérivées est le signe de cette élection. Le but
de Fichte reste universaliste et humaniste. Mais on trouve chez
lui cet ethnocentrisme à vocation universelle qui est pour Louis
Dumont2 l'une des caractéristiques de l'idéologie allemande :
l'idée que l'Allemagne peut prétendre à la souveraineté uni
verselle à cause de son être même qu'elle doit étendre aux
limites du monde. Ce messianisme ethno-culturel fera de Fichte
l'une des grandes références du pangermanisme aux siècles
suivants.
Herder, Schiller et Fichte conduisent au Romantisme. Comme
Schiller, les premiers Romantiques, ceux d'Iéna, ont, au tournant
du siècle, cessé de croire à une solution politique. L'Etat poé
tique de Novalis fait suite à l'Etat esthétique de Schiller. Les
Romantiques

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