Le pouvoir des sexologues et la démocratie sexuelle - article ; n°1 ; vol.35, pg 178-192
16 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le pouvoir des sexologues et la démocratie sexuelle - article ; n°1 ; vol.35, pg 178-192

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
16 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Communications - Année 1982 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 178-192
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 66
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

André Béjin
Le pouvoir des sexologues et la démocratie sexuelle
In: Communications, 35, 1982. pp. 178-192.
Citer ce document / Cite this document :
Béjin André. Le pouvoir des sexologues et la démocratie sexuelle. In: Communications, 35, 1982. pp. 178-192.
doi : 10.3406/comm.1982.1532
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1982_num_35_1_1532André Bêjin
Le pouvoir des sexologues
et la démocratie sexuelle
Le pouvoir scientifique des sexologues contemporains tient d'abord à ce
qu'ils ont su s'accorder sur une définition empirique, relativement précise,
de la « santé sexuelle » — obtenue au terme de recherches
méthodiques en laboratoire. Peut être considéré en bonne santé sexuelle
tout individu capable de parvenir — à volonté (de nombreux sexologues,
nous le verrons, rajouteraient : mais sans exercer de violence) - à cette acmé
de la jouissance sexuelle que l'on désigne aujourd'hui, de façon habituelle,
par le vocable « orgasme ». Il faudrait dire, plutôt, que la santé sexuelle d'un
individu est jugée d'autant plus parfaite que ses satisfactions sont moins
éloignées de 1' « idéal », c'est-à-dire du modèle normatif 'de l'acmé
de la jouissance sexuelle, tel qu'il est défini par les sexologues considérés, à
un moment donné, comme les plus « compétents ». Cet « orgasme idéal »
peut être envisagé sous deux aspects complémentaires : d'une part, comme
un étalon de mesure grâce auquel on peut dénombrer les satisfactions \
d'autre part, comme le paradigme d'une qualité et d'un processus de
jouissance sexuelle (par rapport auquel on peut dire d'un orgasme qu'il est
« complet », « incomplet », plus ou moins « intense »...).
Sur la base de cette définition de la santé sexuelle ont été élaborées :
- une nosographie des différents types de dysfonctionnements orgasmi-
ques : en gros, l'éjaculation précoce, l'absence d'éjaculation, les « impuis
sances » et les « frigidités »;
- une étiologie des troubles de l'orgasme : ceux-ci procéderaient, pour
l'essentiel, d'apprentissages inadéquats, de mauvaises habitudes;
- des sexothérapies (plus exactement, des « orgasmothérapies ») qui visent
à rétablir la capacité orgasmique selon des méthodes de conditionnement
qui s'inspirent, en général, des principes de la thérapie comportemental
e;
— mais également, des recommandations de caractère prophylacti
que.
L'efficacité pratique indiscutable de ces énoncés théoriques, de ces
méthodes de traitement2, contribue à créer la confiance qui fonde le
pouvoir sexologique. Mais une absence de confiance préalable (ou, comme
disent Masters et Johnson, de « motivation ») nuit considérablement à
l'efficacité des traitements. Si, par conséquent - et alors même que la
plupart d'entre eux ne disposent pas de données précises sur les taux de
réussite et d'échec des orgasmothérapies -, un nombre croissant d'indi
vidus adressent aujourd'hui, « en toute confiance », aux sexologues, des
demandes de soins pour des troubles antérieurement inaperçus, tolérés, ou
178 pouvoir des sexologues et la démocratie sexuelle Le
soumis à d'autres méthodes de traitement, c'est qu'une résonance s'est créée
progressivement entre la problématique sexologique et les aspirations
sexuelles de ces individus. Résonance telle que sont devenues communes les
singulières associations d'idées que je vais maintenant évoquer.
LE DEVOIR D'ORGASME.
L'orgasme, ainsi que nous l'avons vu, est posé comme un indicateur de la
« santé sexuelle ». De celle-ci, on affirme alors qu'elle est un composant
nécessaire du « bonheur ». Or, dans des sociétés qui se targuent d'assurer à
tous leurs membres le bien-être, l'individu est censé avoir « droit au
bonheur ». Il serait absurde, dans ces sociétés démocratiques placées sous la
tutelle bienveillante d'un État-providence, de ne pas tirer le profit maximal
des droits qui vous sont reconnus. Telles sont, en effet, en ces sociétés, les
contraintes posées à l'initiative individuelle dans le but d'assurer l'« équi
té » ou 1' « égalité » qu'il paraîtrait irrationnel ou, tout simplement, stupide
de ne pas user « sans entrave » des « droits » que l'on vous concède. Dans un
système où la puissance publique est chargée de concevoir et de produire le
dispositif institutionnel permettant d'obtenir la quantité d' « altruisme
obligatoire » sans laquelle le lien social cesserait d'exister, il n'est pas
étonnant que les individus ayant satisfait à ces exigences de l'altruisme
collectivisé (impôts, service militaire, respect des lois, etc.) soient tentés
d'utiliser le plus complètement possible tous les droits que leur laisse l'État.
Ne point en user, ce serait faire un cadeau - invisible et, en conséquence,
dont on ne vous saura gré — à la « collectivité », celle-ci étant conçue par de
nombreux individus comme une masse anonyme de « tricheurs » ou de
« parasites ». La collectivisation de l'altruisme opère une sorte de cracking
des pulsions : comme l'État absorbe la plupart des pulsions « altruistes », se
trouve libéré chez nombre de ses ressortissants un égocentrisme exacerbé et
rendu « irresponsable » qui confine parfois à la haine du prochain. Les
différentes formes de destruction anonyme de biens collectifs, l'abus
volontaire de ses droits de Sécurité sociale, etc., constituent certaines des
manifestations de cet égocentrisme antisocial qu'avivent la collectivisation
et l'institutionnalisation de l'altruisme. Plus généralement encore, ces
processus expliquent la tendance à vouloir « maximiser » les avantages que
l'on peut tirer de tous les droits que l'État ne vous a pas retirés, à
transformer, en quelque sorte, chacun de ces droits en des « devoirs ».
Le droit au bonheur, c'est-à-dire, entre autres, le droit à l'orgasme, se
transforme en « devoir d'orgasme » selon cette même logique : puisque les
autorités tutélaires compétentes nous reconnaissent un droit à la jouissance
sexuelle, il serait sot de ne pas l'utiliser le plus possible. C'est, comme on dit,
« toujours ça de pris » : pris à la mort, pris à l'Etat, mais également pris aux
autres (l'orgasme partagé, plus encore qu'un « égoïsme à deux », constitue,
bien souvent, un rejet éphémère des contraintes collectives, une agression
muette contre la société).
Il est donc prescrit de produire des orgasmes, et, d'une façon générale, de
179 André Bêjin
« s'éclater », c'est-à-dire d'être des stakhanovistes de l'hédonisme. Mais
attention I Sans goujaterie (apparente)! Respectez vos partenaires! Aidez-les
à fonctionner!
Cet impératif de l'orgasme s'appliquait surtout, avant les différentes
vagues de « libéralisation sexuelle » du xx* siècle, aux coïts légitimes des
hommes adultes hétérosexuels mariés. Le dysfonctionnement le plus grave
était l'impuissance de l'homme marié en âge de procréer. Quant à la femme,
on s'inquiétait plus, à proprement parler, de sa stérilité que de sa frigidité.
Or, c'est à une prodigieuse extension du champ d'application du devoir
d'orgasme, et donc à un élargissement du domaine d'intervention
potentielle des sexologues, que nous assistons depuis quelques décennies.
Extension, d'abord, à la femme - quels que soient son statut matrimonial
et son orientation sexuelle (la présente norme diffère de normes antérieur
es, apparemment analogues, en ce que toute une série de restrictions, qui
en limitaient le domaine de validité, ont été abandonnées). Quoi de plus
naturel, dans une perspective « humaniste » qui tend à gommer nombre de
différences entre les sexes (mais également entre les âges, les classes, les
nations, les ethnies, etc.) et à

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents