Le prolétaire, sa vie, son œuvre - article ; n°1 ; vol.55, pg 109-121
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Le prolétaire, sa vie, son œuvre - article ; n°1 ; vol.55, pg 109-121

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Description

Communications - Année 1992 - Volume 55 - Numéro 1 - Pages 109-121
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 10
Langue Français

Extrait

Jean-Yves Potel
Le prolétaire, sa vie, son œuvre
In: Communications, 55, 1992. pp. 109-121.
Citer ce document / Cite this document :
Potel Jean-Yves. Le prolétaire, sa vie, son œuvre. In: Communications, 55, 1992. pp. 109-121.
doi : 10.3406/comm.1992.1838
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1992_num_55_1_1838Potel * Jean-Yves
Le prolétaire,
sa vie, son œuvre
Le système soviétique a produit une culture de masse qui, en tirant
sa justification, sa légitimité, son imagerie, de la geste d'Octobre (l'acte
fondateur), s'est fixée pour l'essentiel dans les années 30. Cette culture
s'est maintenue, malgré les évolutions stylistiques, jusqu'à la déca
dence des années 70-80. Le prolétaire y occupe un rôle bien défini :
celui de l'ouvrier communiste en lutte pour la construction du socia
lisme. On notera que dès l'origine le personnage se distingue de l'ou
vrier.
Les vrais prolétaires devaient avoir une conscience prolétarienne, ce
qui du point de vue bolchevique impliquait un engagement envers
la révolution et le parti. Au début des années 1 920, nombre de véri
tables ouvriers ne répondaient pas à ce critère et apparaissaient
donc comme autant d'éléments accidentels dans la classe ouvrière,
des gens dont la mentalité était essentiellement paysanne ou petite-
bourgeoise '.
Ce prolétaire conservera, tout au long de son histoire, au moins
deux caractéristiques : il construit, édifie, lutte - bref, c'est un acteur
au sens premier du terme, un fantassin exemplaire du combat pour le
socialisme \ et il bat des records. Depuis les héros du premier plan
quinquennal en URSS (qui fut accompli en quatre ans, c'est bien
connu...) jusqu'aux faciès des ouvriers méritants encore affichés dans
les usines des années 80, il est « performant ». Il fait figure de modèle.
Une image dont furent censées s'inspirer, selon les pays, deux à trois
générations.
En vérité, le prolétaire n'existe pas. Concept abstrait, il ne nous est
connu que sous forme de représentations fictives ; c'est pourquoi l'ex-
* Enseigne à l'Institut d'études européennes, université Paria VHI.
109 Jean-Yves Potel
ploration systématique de sa vie en images, c'est-à-dire de ces repré
sentations, devrait nous ouvrir un champ de recherche sur la culture
de masse propre à ce système et, partant, sur les contradictions du sy
stème lui-même 2. Rien ne sert d'adhérer à l'iconoclasme dominant (et
sans doute compréhensible) à l'Est comme à l'Ouest (où plus de rete
nue serait souhaitable). Une affiche, une statue, un roman, une toile,
etc., témoignent d'une culture dont les valeurs esthétiques n'ont rien à
envier à nos chefs-d'œuvre publicitaires - ils travaillent simplement
avec d'autres referents, d'autres codes. Un regard plus distant est
indispensable. Il demande une approche globale et une enquête méti
culeuse.
Ce travail dépassant les possibilités d'un article, je me bornerai, ici,
à quelques réflexions sur la base d'un échantillon d'images significatif,
bien qu'arbitraire, de la production de type soviétique (affiches, pan
neaux de propagande, tableaux, photographies, statues, etc.). Je dis
cuterai surtout la manière dont ces images s'intègrent à un imaginaire
collectif. Une manière qui, nous le verrons, se modifie sensiblement au
cours des années.
Le personnage.
Le personnage évolue, mais doit répondre à quelques normes impos
ées. Dès l'origine, il emprunte beaucoup aux représentations ouvriér
istes traditionnelles, le mouvement ouvrier allemand servant sans
doute de modèle en l'absence de fortes traditions russes dans ce
domaine. Ainsi à Moscou, pour le premier anniversaire de la révolu
tion (7 novembre 1918), le bâtiment de l'ancienne Douma est décoré
d'une banderole (« Le communisme, notre flambeau ») et d'un
immense placard représentant la Science et l'Art offrant leurs présents
au Travail 3. Nous reviendrons plus bas sur l'aspect allégorique de la
scène ; arrêtons-nous d'abord sur la représentation du Travail. C'est
un ouvrier en bras de chemise, debout, sur le même plan que la
Science (un vieux sage) et l'Art (une jolie femme), mais d'une cor
pulence très supérieure. La chemise est ouverte, les pantalons larges
sont refermés sur des bottes, l'allure est décontractée : l'homme tient
une pelle de la main droite et un marteau de forgeron sur l'épaule
gauche. Il sourit à peine, le regard perçant. Ce placard domine la place
de la Douma avec une puissance symbolique incontestable. Il y a dans
ce personnage un côté divin (il emprunte d'ailleurs certaines formes
aux représentations traditionnelles des saints), une assurance, une
supériorité protectrice visant sans doute à rassurer, à donner
110 Le prolétaire, sa vie, son œuvre
confiance. Le Travail est roi (l'Art et la Science l'honorent), il conduit,
gagne et incarne la victoire.
Vingt ans plus tard, l'Union soviétique présente d'ailleurs ses meil
leures réalisations à l'exposition universelle de Paris (1937). Au palais
de Chaillot, son pavillon - face à celui de l'Allemagne nazie - est
dominé par le célèbre groupe sculpté de Vera Mouhkina, L'Ouvrier et
la Kolkhozienne ; une composition considérée à juste titre comme un
des plus beaux fleurons de l'art réaliste socialiste. Sa description, quel
ques années plus tard, par un critique soviétique en résume l'inten
tion :
Allant de l'avant du même mouvement vigoureux [...], les longues
enjambées puissantes, les plis majestueux des vêtements, les visages
de ces jeunes gens fixant l'horizon, bravant hardiment le soleil et le
vent - tout ceci incarne de façon frappante la ferveur de notre
époque, ses aspirations pour l'avenir 4.
L'ouvrier ressemble à celui de 1918, bien que plus jeune et moins
grave ; plus dynamique, il est tout aussi invincible. Il fonce.
Obstiné, il vaincra, il reconstruira tout ce que l'ennemi a détruit,
tels ces maçons des années 50 en Pologne. Rappelés à notre souvenir
par le film d'Andrzej Wajda, les « hommes de marbre » de la
Reconstruction ont proliféré, après la guerre, en Union soviétique et
dans toutes les « démocraties populaires ». J'en ai trouvé, par exemple,
des salles pleines dans les réserves du Musée national ethnographique
de Varsovie ; ce sont des statuettes naïves, sculptées à l'occasion de
concours ou de commémorations. L'initiative des artistes est limitée
par les éléments imposés, empruntés sans doute à la propagande de
l'époque : un mur de brique, deux outils (la truelle, le marteau), le
bleu de travail. Malgré tout, leur manière traduit l'assurance et l'a
ttention indispensables au travail bien fait (voir photos p. 112).
Sérieux, satisfaction, savoir-faire que l'on reconnaît aisément dans
ce portrait d'un héros du travail socialiste, exécuté en 1 975 par Boris
Parkhounov. Soixante ans après la révolution, le prolétaire se fait tirer
le portrait comme les princes de jadis. Il a retrouvé son visage débonn
aire, il a vieilli, il se tient droit, saisi en plan américain. La symbol
ique, les mouvements, les personnages allégoriques ont disparu. Seu
lement des véhicules industriels à l'arrière-plan, d'où vient la lumière.
Cet ouvrier fait plutôt penser au technicien : on ne voit ni ses mains, ni
ses outils, ni ses muscles. La puissance de l'intellect a pris la place.
C'est l'époque des cols blancs et l'apogée de la réussite brejnévienne.
Le prolétaire affiche sa réussite.
Ces quatre exemples évoquent quatre moments clés de l'histoire
soviétique dans des styles assez proches, tandis que leur relation avec
111 Illustration non autorisée à la diffusion
WÊÈ*..
Maçons, sculptures sur bois des années 50. (Musée national ethnographique, Varsovie/
(Photos : Jacek B. Sielski.) Le prolétaire, sa vie, son œuvre
le réfèrent (l'ouvrier réel) est toujours distante. Généralement, ces per
sonnages sont extraits de leur milieu. L'usine est absente, sauf comme
réalisation ou symbole. Le travail n'est abordé que da

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