Le roman anglais et la pauvreté au milieu du XVIIIe siècle. - article ; n°1 ; vol.11, pg 5-19
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Colloque - Société d'études anglo-américaines des 17e et 18e siècles - Année 1980 - Volume 11 - Numéro 1 - Pages 5-19
15 pages

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Publié le 01 janvier 1980
Nombre de lectures 46
Langue Français
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Extrait

Serge Soupel
Le roman anglais et la pauvreté au milieu du XVIIIe siècle.
In: Argent et valeurs dans le monde anglo-américain aux XVIIe et XVIIIe siècles. Actes du Colloque - Société
d'études anglo-américaines des 17e et 18e siècles, 1980. pp. 5-19.
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Soupel Serge. Le roman anglais et la pauvreté au milieu du XVIIIe siècle. In: Argent et valeurs dans le monde anglo-américain
aux XVIIe et XVIIIe siècles. Actes du Colloque - Société d'études anglo-américaines des 17e et 18e siècles, 1980. pp. 5-19.
doi : 10.3406/xvii.1980.2163
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0294-1953_1980_act_11_1_2163LE ROMAN ANGLAIS ET LA PAUVRETÉ
AU MILIEU DU XVI Ile SIECLE
Si les romanciers picaresques espagnols ont raconté la vie des
gueux, les auteurs anglais du XVI Ile siècle ont parlé d'autre chose,
dans leur grande majorité. Vouloir étudier quelques aspects de la pau
vreté dans le roman anglais du milieu du XV II le siècle ne constitue
pas un engagement à traiter du roman picaresque — puisque celui-ci
est espagnol. S'il est démontré que ce ne sont pas les romanciers anglais
qui ont fait ce genre de livres, il est prudent néanmoins de considérer
ceux de leurs personnages que certains persistent à nommer àespicaros.
Après les créations de Defoe, l'exemple de Roderick Random,
au milieu du siècle, n'est pas inintéressant. Le jeune Écossais présente
un cas qu'il est fructueux d'examiner, surtout parce que de nombreuses
carrières de héros aventuriers ne laissent pas de ressembler à la sienne.
Roderick Random, qui est l'archétype, ou ses semblables n'ont pourtant
pas tout à fait la qualité de personnages humbles. A côté des pauvres
par accident, existent les humbles de condition, appartenant aux catégor
ies de la société que représentent les paysans, colporteurs, ecclésiastiques
malheureux, boutiquiers sans réussite, piètres domestiques, et menu
peuple des mauvais quartiers de Londres. Ces gens, qu'il soient des villes
ou des campagnes, ne sont pas toujours bien représentés dans le roman :
leur rôle peut consister à mettre en valeur les personnes de bonne famille
qui les emploient et les côtoient. Ils sont parfois tellement dépendants
des nantis, qu'ils deviennent des appendices du riche — mais ils peuvent
aussi finalement perdre leur propre qualité de pauvres. Des exceptions
se rencontrent, des cas originaux — comme celui d'Adams, dans Joseph
Andrews. Voilà un pauvre (assez peu conscient de l'être), qui a l'aplomb
de résister aux riches et la sagesse de ne pas les envier.
* Les confrontations, pacifiques ou non, font apparaître des leçons
de morale qui ajoutent de la force au sentimentalisme ambiant. Mais
l'humilité étant une vertu, la charité ne l'étant pas moins, l'ostentation se voyant réprouvée, il n'est pas jugé indécent de paraître plus pauvre
que l'on est : perversion particulière et retournement singulier. Au reste,
la nation est assez fortunée pour prendre la fantaisie d'affecter la pauvret
é. C'est là peut-être un des premiers aspects, et un des plus étonnants,
de la fameuse excentricité britannique au XVI Ile siècle.
Certains des critiques qui réfléchissent sur la littérature du
XVI Ile siècle pensent (sans avoir tort), avec Georges Lukacs, que «le
roman est le genre littéraire le plus typique de la société bourgeoise» (1).
Mais ils tendraient trop à laisser croire ainsi que les romans ne s'intéres
sent pas aux pauvres. D'autres, imaginant des théories fondées sur
quelques partis pris téméraires, soutiennent que le genre picaresque a
survécu deux siècles pour se réincarner chez les Anglais de 1750. Le
picaro est un aventurier sans scrupules, qui est un gueux et qui est
souvent bâtard de surcroît. Mais beaucoup trouvent excellent de ranger
Roderick Random, voire même Tom Jones, parmi les picaros... simple
ment parce qu'il arrive à ces deux jeunes hommes, honnêtes et bien
élevés, de manquer d'argent, «that most alluring and irrestible instrument
called money» (2), et de ne pas résider toujours au même endroit. Le
roman à ses origines en Angleterre, quelle qu'ait été la contribution de
Defoe, n'est pas un récit de gueuserie. Il ne se tient pourtant pas dans
les bornes d'une délicatesse extrême, qui lui ôterait le loisir de regarder
vivre toutes les conditions, même les plus modestes.
Ainsi, quoiqu'elle soit avant tout le lot d'un grand nombre
d'hommes et de femmes de basse extraction qui peuplent les romans,
l'indigence est un état où tombent les héros, d'où ils se relèvent pour
aider autrui quand autrui est affligé pareillement. Indigence et voyage
sont liés. Ceux qui font figure de picaros voyagent : les héros se dépla
cent, comme tout le monde, se demandant parfois : «should I ...
endeavour, in foreign climes, to repair that defect (poverty) which now
obstructs my hopes» (3). Or, voyager est le propre de la nation, qui doit
commercer avec l'étranger pour survivre, faire naviguer des vaisseaux
pour intimider ceux qui veulent lui enlever le goût de voyager, et l'ap
pauvrir. Parmi les riches, les périples sur le continent, le Grand Tour,
occupent souvent les personnages masculins quand ils sont jeunes.
Peregrine Pickle, chez Smollett, n'est pas le moindre des héros voyageurs
issus des classes fortunées. Là, les aventures sont vécues par des gens qui
ne sont jamais pauvres : il leur arrive seulement quelquefois de manquer
de pièces d'or, ce qui rend piquants les séjours, sans les troubler beaucoup.
Le ton de cette phrase de Kidgell en est la preuve : A Circumstance however of no auspicious Complexion
attended Mr. Archibald in his Travels, occasioned
by the Absence of a certain goodly Ingredient to all
human Undertakings. This is generally called at
Paris, L'Argent Comptant, the Italians denominate
it Gli Denari, but the plain English Phrase for it is,
ready Money (4) .
Dans les pérégrinations de jeunes héros dont le modèle serait
celles de Roderick Random, faux pi cam, se distinguent mieux les mar
ques profondes et les vrais signes de l'indigence.
Pauvre, Roderick Random l'est certainement. Et même, sans ce
dénuement dont son entourage ne le délivre pas, le garçon n'aurait pas
l'occasion de partir sur les routes, ni Smollett celle de faire un roman.
C'est précisément la misère des orphelins de bonne naissance qui fait les
dignes et nobles sujets de livres. Le narrateur explique dès la dédicace
au roi, dans Justice and Reason (1767) de Charlotte McCarthy : «I was
an Orphan, my Royal Liege. By the Extravagance of my Father ... left
destitute of Dependence» (5). Il y a chez ces orphelins (véritables ou
apparents) de la grandeur et une vertu aussi sourcilleuse que celle de la
Marianne de Marivaux, ou que celle de Pamela. Il est dit de Cornelia,
chez Sarah Scott, que : «She could better bear to be without money,
than even to appear to be without gratitude» (6). La hauteur et la sus
ceptibilité de Roderick Random sont de cet ordre. Les héros, quand ils
sont tout à fait désargentés et doivent avoir recours au prêteur sur gages
— comme dans Amelia de Fielding — n'abandonnent vêtements, armes et
objets qu'avec l'espoir de revenir un jour pour racheter leur bien, auquel
ils vouent une fidélité révélatrice. L'appauvrissement et l'apparence qu'il
impose se subissent dans la dignité, avec patience (7).
Pour ceux des personnages venus de milieux dont la pauvreté
n'est pas le lot ordinaire, le manque d'argent est une preuve bénéfique.
Il leur enseigne la constance et leur inspire la force de supporter des
souffrances plus terribles — que la fin de l'intrigue efface presque toujours.
C'est l'aventure (la mésaventure) qui est en soi enrichissante. L'expé
rience du monde est acquise le mieux par ceux qui n'ont pas de quoi s'y
imposer, et la pauvreté est une nécessité, un impératif de structure.
Le héros, observateur sans fortune, regarde vivre les puissants, subit
leurs affronts et juge leur milieu avec d'autant plus de lucidité et de
détachement que rien ne l'autorise à imiter ces gens. II se prépare en
fait à user avec modération de la fortune qui lui échoira inévitablement 8
avant que le récit s'achève. Ces héros voyagent et subissent des revers

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