Les classes sociales urbaines au Maroc - article ; n°1 ; vol.8, pg 223-238
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Description

Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée - Année 1970 - Volume 8 - Numéro 1 - Pages 223-238
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1970
Nombre de lectures 119
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

André Adam
Les classes sociales urbaines au Maroc
In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°8, 1970. pp. 223-238.
Citer ce document / Cite this document :
Adam André. Les classes sociales urbaines au Maroc. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°8, 1970. pp.
223-238.
doi : 10.3406/remmm.1970.1047
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1970_hos_8_1_1047LES CLASSES SOCIALES URBAINES
AU MAROC
Nous n'avons pas la prétention de brosser, dans le cadre d'une
simple communication, un tableau général des classes sociales au
Maroc, fût-il limité aux classes urbaines. Nous nous proposons seu
lement de mettre en relief un certain nombre de traits particuliers
qui nous paraissent donner à la structure des classes sociales chez
les citadins dans le Maroc d'aujourd'hui un aspect original par rapport
aux classes des pays anciennement industrialisés.
On ne trouverait personne, à dire vrai, pour soutenir l'identité
absolue de la sociologie des classes dans ces deux types de pays.
Mais on entend parfois suggérer que la société marocaine, et d'une
façon générale celle des pays en voie de développement, pourrait être
comparée, sinon à la société occidentale d'aujourd'hui, du moins à
celle du xix8 siècle, au début de la révolution industrielle. Les ana
logies ne sont pas tout à fait absentes, du côté de la main-d'œuvre
en particulier, pusiqu'il s'agit dans les deux cas de paysans récem
ment transplantés, chez lesquels l'analphabétisme est assez répandu.
Mais les différences, par ailleurs, sautent aux yeux : l'industrie est
née au sein de la société occidentale qu'elle a transformée par son
propre développement. On ne peut parler de la révolution indust
rielle : il y en a eu plusieurs (nous en sommes à la troisième) et
chacune s'est produite, en Europe occidentale, dans une société déjà
transformée par la précédente. Au Maroc, l'industrie a été apportée
du dehors, par des Européens, alors qu'elle était déjà loin des formes
qu'elle avait revêtues à sa naissance; et elle est tombée sur une
société traditionnelle dont la transformation n'avait même pas été
amorcée et qui ne pouvait lui fournir que sa main d'oeuvre la moins
qualifiée : capitaux, entrepreneurs, ingénieurs, cadres de maîtrise et
ouvriers qualifiés durent être importés de l'extérieur.
Les choses ont évolué, certes, depuis la seconde guerre mondiale
et surtout depuis l'indépendance. Si les capitalistes marocains sont 224 ANDRÉ ADAM
encore peu nombreux à investir dans l'industrie — au point que
l'Etat, qui n'est cependant pas socialiste, a dû suppléer à leur
carence — si les cadres supérieurs sont encore en nombre très insuf
fisant, parce qu'il a fallu d'abord subvenir aux besoins de l'admi
nistration, un effort obstiné de formation technique et de promotion
ouvrière a permis de marocaniser largement la main-d'œuvre qualif
iée et même la maîtrise. Mais l'industrialisation n'a pas recouvert,
il s'en faut de beaucoup, tout le secteur secondaire de l'économie,
pas plus d'ailleurs que le primaire ou le tertiaire. Le Maroc est un
pays en voie de modernisation, ce n'est pas un pays entièrement
moderne. Les décalages ou les contrastes ou les distorsions — la
littérature sur le sujet nous offre le choix entre les vocables — sont
nombreux et importants, surtout dans le domaine de l'économie,
mais dans bien d'autres domaines encore. Comment ne retentiraient-
ils pas sur la société elle-même et en particulier sur des groupements
aussi directement liés au rôle économique que le sont les classes
sociales ?
♦ *
Ce sont les économistes qui, les premiers, ont employé la notion
de « dualisme » dans l'étude des pays sous-développés. Ces économies
sont dualistes, en effet, parce qu'y coexistent une économie traditionn
elle, archaïque même parfois — en particulier, mais non uniquement
dans l'agriculture, — et une économie moderne, apportée à l'origine
de l'extérieur, que cet apport se soit accompagné ou non de la colo
nisation. Dans l'agriculture marocaine, par exemple, ce dualisme
saute aux yeux du simple touriste : sur la propriété du colon euro
péen ou de l'agriculteur marocain moderne, la moissonneuse-batteuse;
sur le champ du fellah traditionnel, l'équipe des moissonneurs armés
de la faucille; au temps des labours, d'un côté, la lourde charrue
à versoir, tirée par un tracteur, de l'autre l'araire antique, tiré par
un âne et une vache et dont le soc léger ne fait qu'égratigner le
sol.
Le dualisme se retrouve aussi dans les industries de tranfor-
mation. Dans des quartiers en général différents, mais dans la même
ville, on peut visiter successivement, dans la même journée, une
usine de textile ultra-moderne et des ateliers de tisserands qui
paraissent antérieurs au siècle de Jacquard. Dans un autre secteur LES CLASSES SOCIALES URBAINES AU MAROC 225
de l'économie, le contraste n'est pas moins vif entre le grand magasin
à self-service des villes nouvelles et la petite boutique des souqs de
la médina où le tenancier a tout juste la place de s'asseoir.
L'économie connaît encore une autre sorte de dualisme qui est
en partie la conséquence du premier, et qui affecte la condition des
travailleurs : c'est la distinction entre ceux que j'appellerai « les actifs » et « les travailleurs inactifs ». Du fait du sous-
développement de l'économie et de l'explosion démographique, il
existe un chômage, non pas « conjoncturel », comme dans les éco
nomies développées, mais « structurel », c'est-à-dire lié à la struc
ture même de l'économie et qu'il n'y a donc aucune espèce de chance
de résorber dans un avenir proche. Cela veut dire que les travailleurs
sans emploi n'ont pas la possibilité rationnelle d'en trouver un. Les
créations d'emploi, jusqu'ici, n'ont permis que d'éponger à peu près
la croissance démographique, non de résorber la réserve de chômage
qui est la rançon du sous-développement, ce qui veut dire que le
sous-emploi, dans la meilleure des hypothèses, ne s'aggrave pas, mais
qu'il ne saurait, dans l'état actuel de la natalité et des investisse
ments, diminuer.
Ce type de dualisme manifeste ses contrastes avec plus d'éclat
dans les villes que dans les campagnes. Il est bien rare que l'homme
de la terre soit absolument sans travail. Il est plutôt sous-employé :
on a calculé que dans l'agriculture traditionnelle, il n'est occupé
qu'environ cent jours par an. Tout le problème économique est
d'occuper les jours qui restent, de les rendre productifs, et c'est le
principe sur lequel repose la « promotion rurale », appelée depuis
« Promotion nationale ». La mise en valeur de la terre n'a cependant
pas pour résultat de multiplier les emplois ruraux : l'agriculture la
plus productive du monde, celle des Etats-Unis, est celle qui emploie
le moins de bras. Puisque le nombre des emplois diminue dans les
campagnes et qu'il augmente au contraire dans les villes, l'exode
rural est fatal et ne peut qu'accroître son ampleur. Il a depuis long
temps dépassé le rythme des créations d'emplois urbains. La manif
estation la plus spectaculaire de cette situation, ce sont les bidonv
illes qui s'étendent dans le périmètre urbain de Casablanca et dans
la plupart des villes du Maroc (encore que tous les habitants des
bidonvilles ne soient pas des chômeurs et que tous les chômeurs
n'habitent pas les bidonvilles).
Si le rural sans travail a la ressource d'émigrer à la ville, le
citadin chômeur, lui, n'a plus de recours. Est-ce à dire qu'il n'a pas
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d'espoir ? S'il connaissait les lois de l'économie, tout espoir collectif
lui serait interdit. Mais il les ignore, et il lui reste l'espoir individuel,
le ktaf («coup d'épaule», notre «piston»), qu'il peut attendre de
la solidarité familiale ou tribale, et, à défaut, les petits métiers
parasitaires qui ne nourrissent pas leur homme, mais l'em

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