Les démolis de Snagov - article ; n°1 ; vol.55, pg 89-107
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Description

Communications - Année 1992 - Volume 55 - Numéro 1 - Pages 89-107
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 12
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Chantal Deltenre-De Bruycker
Les démolis de Snagov
In: Communications, 55, 1992. pp. 89-107.
Citer ce document / Cite this document :
Deltenre-De Bruycker Chantal. Les démolis de Snagov. In: Communications, 55, 1992. pp. 89-107.
doi : 10.3406/comm.1992.1837
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1992_num_55_1_1837Deltenre-De Bruycker Chantai
Les démolis de Snagov
Ce texte est un témoignage. Quelques habitants d'un village
proche de Bucarest, depuis longtemps villégiature favorite des dir
igeants roumains (dont les Ceausescu), y racontent comment ils ont
vécu les années du programme officiel de « systématisation », où ils
furent forcés de démolir eux-mêmes leurs maisons pour se reloger
dans des immeubles à appartements parfois érigés sur les fondations
mêmes de leur ancienne demeure - cette maison qui était leur der
nier espace de liberté face au régime, l'espace des fêtes de famille, de
tous ces cultes et rites domestiques que les gens, volontairement ou
de manière quasi inconsciente, inscrivent dans leur quotidien :
gestes, paroles, parcours, décor, etc.
Comment survivre à une telle dépossession ?
On nous avait pris notre bétail, nos terres, nos cimetières même...
On ne pouvait pas nous enlever nos maisons !
A ce constat incrédule, le régime Ceausescu répondait pourtant
par l'affirmative. Mais les « démolis de Snagov » (comme ils se pré
sentent eux-mêmes) n'ont pas pris le temps de s'apitoyer sur leur
sort : mus à la fois par une série de « réflexes » et par une force
insoupçonnée, ils se sont peu à peu réinventé un espace à eux autour
de l'espace imposé des blocs, manifestant une continuité des
manières d'habiter qui battait en brèche la volonté du régime d'éra
diquer une fois pour toutes l'identité paysanne.
Deux ans après la chute de la maison Ceausescu, beaucoup
tentent de reconstruire leur maison sur les terres que l'État leur a en
partie redistribuées, renouant avec un sens de la propriété toujours
* Ethnologue, université Paris VII.
89 Chantai Deltenre-De Bruycker
vivace, mais aussi avec des techniques de construction que l'on
croyait oubliées depuis plus d'un demi-siècle.
Snagov, village mutant de Roumanie.
A une demi-heure de Bucarest, sur l'autoroute de Ploesti, un pan
neau sur la droite indique : snagov sat (« village de Snagov »). Bient
ôt, les immeubles qui bordent l'autoroute, pareils à ceux de n'im
porte quelle périphérie urbaine, font place à une succession de
champs de maïs, de blé, de tournesol. De petites maisons au toit de
roseaux, entourées de fleurs et d'arbres fruitiers et chacune flanquée
d'un grand potager, alternent avec des villas plus modernes. Çà et là,
quelques bouquets d'arbres dans les champs rappellent la proximité
de la vaste forêt de Vlasia, la plus ancienne de la plaine de Mun-
tenie.
Un petit groupe posté au bord de la route : l'arrêt de l'autobus
pour Bucarest. Il est tôt, et une vingtaine de navetteurs s'apprêtent à
aller travailler à la ville...
Depuis la chute de la dictature, Snagov a vu affluer Bucarestois
fortunés et Boumains expatriés (en Allemagne, pour la plupart),
prêts à faire main basse sur les maisons jadis confisquées par le
Parti, mais aussi sur les terrains agricoles à peine recouvrés par les
villageois, dont plus d'un, redoutant aujourd'hui encore de se voir
spolié à nouveau, s'est empressé de mettre son bien à l'abri en le
convertissant en devises fortes.
Les opérations privées à vocation touristique prolifèrent : ventes
de biens, lotissements, mises en location, ouverture de restaurants
par les ex-cuisiniers des villas réservées aux membres du Parti...
Celles-ci se louent aujourd'hui à l'année ou au mois, voire à la jour
née, pour un week-end de villégiature ou une cérémonie de prestige,
à un tarif exorbitant.
Ainsi, après quinze ans d'interdits sous le régime Ceausescu, Sna
gov reprend des airs de villégiature, sans que puissent toutefois être
effacées les traces de sa « systématisation ».
Le système Ceausescu.
Le « plan de systématisation des villages », lancé en 1973, consista
au départ en une refonte administrative regroupant les villages en de
90 Les démolis de Snagov
nouvelles entités communales, sans qu'il soit tenu aucun compte des
données locales ou régionales antérieures.
Au niveau national, ce nouveau découpage se fixait pour objectif
de renforcer le potentiel économique des entités territoriales nouv
elles ; au niveau local, il devait enrayer l'exode rural en groupant
les treize mille villages roumains en deux catégories : les uns, desti
nés à accueillir des activités agro-industrielles qui devaient prendre
graduellement le relais de la concentration industrielle ; les autres,
retranchés de l'économie active en même temps qu'ils perdaient leur
identité administrative, voués au vieillissement, à l'appauvrisse
ment, à la mort lente enfin...
Les villages retenus pour participer au « renouveau rural »
devaient faire l'objet d'un « rajeunissement », selon les termes
employés à l'époque par le pouvoir. Plus de cinq mille architectes
ont travaillé dès la fin des années 70 à la matérialisation de ce Plan,
traçant les périmètres de destruction et de remplacement des bât
iments existants. Les interventions prévues ne paraissaient consister,
au départ, qu'en divers projets d'implantation d'équipements
publics au cœur des agglomérations, mais prévoyaient par la suite
l'extention massive de lotissements, conçus dans une parfaite indif
férence au substrat rural préexistant.
Parallèlement à cette vaste entreprise d'aménagement du terri
toire, l'Institut central de recherches, elaborations et directives des
bâtiments éditait un volumineux ouvrage, fruit d'un inventaire sy
stématique des formes de l'« architecture traditionnelle dans les zones
ethnographiques les plus importantes du pays ». Contenant plus de
deux mille relevés planimétriques et photographiques de maisons
villageoises et citadines, de boutiques, restaurants, lieux civils et
lieux de culte, cet ouvrage se voulait une synthèse des manières
d'habiter en Roumanie. Traitées sur ordinateur au Centre de calcul
et organisation de Bucarest, les données, enrichies d'informations
sur le climat et la géographie régionales, menèrent à la constitution
du « programme thématique pour l'élaboration de projets (d'im
meubles à appartements de taille moyenne) destinés aux agglomérat
ions rurales modernisées et aux villes moyennes en perspective, du
programme de logement standardisé de Roumanie, logement pour
lequel on devra conserver notre identité nationale » (Locuinta
2e éd. Sateasca din Romania, Institul de Proiectare Prahova,
Bucuresti, 1989).
C'est d'après ce programme que les architectes élaborèrent le
modèle des nouvelles habitations collectives rurales (celles de Sna
gov sont destinées à quatre familles chacune), réalisées dans un style
91 Chantai Deltenre-De Bruycker
proche de l'architecture pavillonnaire et munies de certains signes
d'une « réalité rustique » de pure convention (avec le poêle tradition
nel soba, dont les éléments de céramique sont offerts à chaque loca
taire, alors même que celui-ci, spontanément, s'est défait de son
propre mobilier traditionnel). Pompeusement baptisées « villas », ces
demeures renvoient aussi, en un nouveau faux-semblant, au confort
bourgeois, marqué par le réduit destiné en principe à l'installation
d'une salle de bains, en l'absence même d'eau courante dans l'a
ppartement.
Une des premières décisions du nouveau régime roumain fut
l'abrogation pure et simple de ce plan de systématisation. La des
truction des villages n'était pas encore entrée dans sa phase globale,
sauf dans certaines régions, dont précisément le secteur agricole
ILFOV, l'entité administrative ceinturant la ville de Bucarest et qui
englobe la nouvelle commune de Snagov.
Un désastre planifié,
M. Radulescu, secrétaire gé

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