Les lunettes anglaises
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Rosa Luxemburg Les lunettes anglaises (Leipziger Volkszeitung, 9 mai 1899) Avant de jeter un coup d’œil rétrospectif sur la discussion qui s’est déroulée dans la presse du Parti au sujet du livre de Bernstein, nous nous proposons d’examiner en détail un certain nombre de questions secondaires qui, au cours de cette discussion, ont été soulignées d’une façon particulière. Cette fois, nous nous occuperons du mouvement syndical anglais. Chez les partisans de Bernstein, le mot d’ordre de la « puissance économique », de l’ « organisation économique » de la classe ouvrière, joue un rôle considérable. Le devoir de la classe ouvrière est de créer une puissance économique, écrit le Dr. Woltmann dans le n° 93 de laPresse libre d’Elberfeld.De même, E. David clôt sa sérié d’articles sur le livre de Bernstein par le mot d’ordre suivant: «Em ancipationpar l’organisation économique» (Gazette populaire de Mayence, n° 99). D’après cette conception, conforme à la théorie de Bernstein, le mouvement syndical, lié aux coopératives de consommation, doit transformer peu à peu le mode de production capitaliste en mode de production socialiste. Nous avons déjà montré (voirRéforme ou révolution ?) qu’une telle conception repose sur une méconnaissance complète de la nature et des fonctions économiques, tant des syndicats que des coopératives. On peut leprouver sous une forme moins abstraite, au moyen d’un exemple concret. Chaque fois que l’on parle du rôle considérable qui est réservé aux syndicats dans l’avenir du mouvement ouvrier, il est de règle que l’on cite immédiatement l’exemple des syndicats anglais, tant comme preuve de la «puissance économique » que l’on peut conquérir, que comme un modèle auquel doit s’efforcer de se conformer la classe ouvrière allemande. Mais s’il est dans l’histoire du mouvement ouvrier un chapitre propre à détruire complètement la foi en l’action socialisante et dans l’essor général des syndicats dans l’avenir, c’est précisément l’histoire du tradeunionisme anglais. Bernstein a établi sa théorie sur les conditions anglaises. Il voit le monde à travers les « lunettes anglaises ». C’est déjà devenu une expression courante dans le Parti. Si l’on veut dire simplement par là que le changement d’orientation théorique de Bernstein est dû à la vie qu’il a menée en exil et à ses impressions personnelles sur l’Angleterre, cette explication d’ordre psychologique peut être très juste, mais elle n’a que très peu d’intérêt pour le Parti et pour la discussion actuelle. Mais si l’on veut dire par les « lunettes anglaises » que la théorie de Bernstein convient à l’Angleterre et est juste pour l’Angleterre, c’est faux et cela est en contradiction tant avec l’histoire passée qu’avec l’état actuel du mouvement ouvrier anglais. En quoi consistent donc les particularités si souvent soulignées de la vie sociale anglaise, et comment s’expliquentelles ? On dit ordinairement que la caractéristique de l’Angleterre consiste en ce qu’elle est un Etat capitaliste sans militarisme, sans bureaucratie, sans paysannerie, qu’elle emploie la majeure partie de son capital à exploiter les autres pays, et que tout cela permet tant la liberté politique, dans laquelle s’est développée le mouvement ouvrier, que la bienveillance que manifeste l’opinion publique en faveur de ce mouvement ouvrier. Si cela était exact, le mouvement ouvrier anglais aurait dû jouir dès sa naissance, c’estàdire dès le début du XIX° siècle, de la liberté politique et de la faveur de l’opinion publique dont il jouit aujourd’hui, car toutes les particularités susmentionnées de la vie sociale anglaise datent de plus d’un siècle. Mais l’histoire du tradeunionisme nous montre précisément le contraire. Toute la première période de ce mouvement, du début du siècle jusque vers 184045, nous montre notamment une lutte des coalitions ouvrières pour obtenir leur droit à l’existence tout aussi acharnée que celle qu’a menée et que mène encore, partiellement, le prolétariat du continent. Le « pays des réformes sociales » a refusé pendant plusieurs décades d’accorder aux ouvriers la moindre loi en leur faveur. Au « pays des réformes sociales », les ouvriers durent avoir recours dans leur lutte pour l’existence, aux moyens de violence les plus extrêmes, aux démonstrations, aux grèves tumultueuses, aux meurtres, à quoi le gouvernement répondit par tous les moyens éprouvés, jusqu’ici en usage sur le continent. Arrestations, procès se terminant par des condamnations draconiennes, déportations, mobilisation en masse d’espions, de forces de police et de troupes lors de manifestations ouvrières, justice de classe, arbitraire policier, en un mot, les cinquante premières années du mouvement ouvrier anglais nous montrent toutes les formes de répression brutale de la classe ouvrière montante et de ses revendications les plus modestes en faveur des réformes sociales [1]. Ce même Etat qui, déjà à cette époque, tout commeaujourd’hui, n’avait aucun militarisme, aucune bureaucratie, aucune paysannerie, trouva cependant les moyens nécessaires pour réprimer violemment le mouvement ouvrier. Si donc nous constatons, en Angleterre, à partir du milieu du XIX° siècle, d’autres méthodes de traiter la classe ouvrière, cela n’est pas dû à ces particularités de sa vie politique, mais à d’autres circonstances, qui, vers ce moment, on fait leur apparition.
En fait, vers le milieu du siècle, des modifications importantes se sont produites dans la situation de l’Angleterre, et cela de deux côtés. Avant tout, c’est à cette époque que l’industrie anglaise acquit la domination incontestée du marché mondial. Jusque vers 1850, la production anglaise avait eu à subir des crises très fréquentes et très violentes. A partir de 1856, nous assistons, par contre, à un essor considérable et continu. Cet essor de l’industrie anglaise mit l’ensemble de la classe anglaise dans la situation où se trouve un capitalisme individuel lorsque les affaires vont bien : les conflits avec la classe ouvrière, la guerre industrielle permanente, telle qu’elle s’était poursuivie jusqu’alors, lui devinrent extrêmement désagréables et elle ressentit un besoin pressant d’ordre, de stabilité et de «paix sociale ».
C’est pourquoi nous constations, du côté du patronat, un changement dans les méthodes de guerre employées :de questions de force, les conflits avec la classe ouvrière se transforment en objets de négociations, d’entente, de concessions. L’âge d’or de l’industrie rend les concessions aux ouvriers aussi nécessaires dans l’intérêt de la bonne
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