Marchés dans l euphorie. Facteurs déterminants de l approvisionnement et de la distribution de drogues illicites - article ; n°1 ; vol.62, pg 137-153
18 pages
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Marchés dans l'euphorie. Facteurs déterminants de l'approvisionnement et de la distribution de drogues illicites - article ; n°1 ; vol.62, pg 137-153

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Description

Communications - Année 1996 - Volume 62 - Numéro 1 - Pages 137-153
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 33
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mr Roger Lewis
Dominique Férault
Marchés dans l'euphorie. Facteurs déterminants de
l'approvisionnement et de la distribution de drogues illicites
In: Communications, 62, 1996. pp. 137-153.
Citer ce document / Cite this document :
Lewis Roger, Férault Dominique. Marchés dans l'euphorie. Facteurs déterminants de l'approvisionnement et de la distribution
de drogues illicites. In: Communications, 62, 1996. pp. 137-153.
doi : 10.3406/comm.1996.1941
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1996_num_62_1_1941Roger Lewis
Marchés dans l'euphorie
Facteurs déterminants
de l'approvisionnement et de la distribution
de drogues illicites
Dans la dernière décennie du xxe siècle, le trafic de drogues illicites
est devenu une activité qui donne lieu à d'amples échanges et qui est
source de profits élevés face à une demande constante ou en augmentat
ion. Des chiffres provisoires indiquent que 100 tonnes de substances
opiacées, 300 tonnes de cocaïne et 800 tonnes de cannabis ont été sai
sies dans le monde en 1993. Le chiffre d'affaires annuel de ce commerce
s'élèverait à 400 milliards de dollars, dont le quart serait chaque année
placé dans le système bancaire (Kendall, 1994). Récemment, la consom
mation a augmenté en Europe centrale et orientale, et la production s'est
développée dans les Républiques d'Asie centrale de l'ancienne Union
soviétique.
Le trafic est un choix rationnel d'investissement fait par des indivi
dus dont les priorités éthiques et politiques sont en contradiction et en
conflit avec les sanctions légales visant leur activité et qui méprisent
l'opprobre social qui les frappe. Ceux qui s'engagent avec succès dans
ce marché conçoivent des stratégies leur permettant de percevoir des
profits élevés tout en surmontant les obstacles et en évitant les hauts
risques liés à de tels profits. Il n'y a pas de paradigme universel du mar
ché de la drogue. Les marchés de l'alcool, du tabac et des armes pré
sentent avec les marchés de la drogue de nombreuses similitudes, qui
tiennent au statut du produit vis-à-vis de la loi, à la perception des pré
judices qu'il cause, et au degré d'attention qu'il attire de la part du
public.
137 Lewis Roger
TRAITS GENERAUX DES MARCHES
Sources d'approvisionnement.
L'approvisionnement et la demande sont largement déterminés par
les propriétés physiques et psychotropes de la substance considérée, son
origine, son traitement, l'efficacité des réseaux de distribution, celle des
contrôles, la prédisposition et la composition sociale des clientèles des
marchés locaux.
L'approvisionnement illicite du consommateur peut se faire via :
1) le détournement de produits pharmaceutiques licites par vol ou par
fraude ;
2) la culture ou la fabrication, licite ou illicite, domestique ou à l'étran
ger (par exemple, le cannabis, la coca, l'opium, les amphétamines) ;
3) le traitement de produits partiellement finis et leur transformation
(par exemple, de la morphine-base en héroïne, de la cocaïne-base en
cocaïne), sur le lieu d'origine ou de transit ;
4) l'achat en gros de produits finis pour la distribution.
Dans certains cas, des utilisateurs se livrent à l'autoproduction (can
nabis) ou transforment un produit acheté en un autre destiné à leur
consommation personnelle (par exemple, de la cocaïne hydrochloryde
en cocaïne-base ingérée par inhalation). Plus l'utilisateur final est proche
du producteur, plus il est probable que le produit fasse l'objet d'une dis
tribution non commerciale. Le rôle omniprésent des mécanismes
d'échange non monétaire dans les milieux consommateurs de drogues
ne devrait jamais être sous-estimé.
La culture, la production et le monde en développement,
A un niveau global, l'expérience montre que les drogues peuvent être
et sont fournies là où il existe une demande, là où les prix sont attract
ifs et les obstacles surmontables. L'abondance succède souvent à la
pénurie dans des zones de culture et de production quand des entre
preneurs attirés par des profits élevés viennent s'y installer pour satis
faire la demande.
Les producteurs du monde en développement ne sont pas les plus
grands bénéficiaires du trafic. Le prix tend à s'élever rapidement après
que le produit est sorti de la zone de production. Les paysans produc
teurs ne touchent qu'une part infime du profit cumulatif, bien que le
138 Les drogues illicites : approvisionnement et distribution
paiement d'un bon prix pour la production de telle ou telle substance
par rapport à d'autres encourage la participation à cette production. Des
groupes de trafiquants usent fréquemment autant de la coercition que
d'incitations financières pour stimuler la production paysanne. Des
groupes insurrectionnels qui ne sont pas directement impliqués dans le
trafic peuvent aussi mettre les producteurs à contribution afin d'accroître
leurs ressources, d'acheter des armes et d'affirmer leur contrôle terri
torial. C'est ce qui s'est passé en Birmanie, en Afghanistan, en Colomb
ie et ailleurs. On a observé que, dans les économies paysannes, la
drogue tend à être un facteur de progrès en ce que les fermiers modern
isent leur équipement et leurs modes de culture, tandis qu'elle est un
facteur de régression sur le plan des relations sociales et de travail
(Thoumi, 1992).
Au cours des années 70, la production d'héroïne s'est déplacée à la
périphérie du monde développé métropolitain, cependant que le monde
en développement acquérait la technique et le savoir-faire nécessaires
à la production et au raffinage des drogues, ce qui réduisit la place
des producteurs secondaires métropolitains dans la chaîne du trafic.
L'accroissement de la capacité de production des producteurs d'héroïne,
en Asie du Sud-Est d'abord, puis en Turquie, en Iran, en Afghanistan et
au Pakistan, se traduisit par une explosion sans précédent de la consom
mation d'héroïne en Europe, tandis que les raffîneurs siciliens et ceux
qui subsistaient de la filière connue sous le nom de French Connection
continuaient à approvisionner la côte Est de l'Amérique du Nord. Au
début des années 80, l'usage de l'héroïne en Europe occidentale se
déplaça du centre des grandes villes vers les banlieues, où la drogue
devint un élément de plus en plus banal dans la vie quotidienne de nom
breux jeunes. L'expansion et le déplacement des circuits de distribution
vers la périphérie au niveau du micro-consommateur furent symétriques
— en même temps qu'ils en résultèrent — du redéploiement de la pro
duction secondaire à un niveau macro-géopolitique.
En divisant nettement le globe en pays producteurs et pays consomm
ateurs, le monde métropolitain a jusqu'à tout récemment entretenu la
fiction selon laquelle ses habitants consommateurs étaient les victimes
d'impitoyables producteurs du monde en développement. Cette manière
de présenter les choses permettait de fermer commodément les yeux sur
le rôle des multinationales de l'industrie pharmaceutique et des
fabriques européennes de produits chimiques précurseurs, sur l'activité
agressive des trafiquants occidentaux, sur les services fournis par les
institutions financières européennes et nord-américaines, sur V agrobus
iness de la marijuana aux Etats-Unis, dont les profits dépassaient de
beaucoup le produit national brut de certains pays indépendants, ainsi
139 Roger Lewis
que sur l'implication dans ce trafic de diverses élites du renseignement
et de la politique étrangère (Henman et al., 1985).
Les coûts aussi bien que les bénéfices sont considérables pour les
pays du monde en développement producteurs de drogues. Souvent, les
énormes sommes payées aux fournisseurs pour les livraisons en gros,
qui pourraient constituer une contribution invisible au produit national
brut, n'alimentent guère l'économie nationale. Elles circulent à travers
des paradis fiscaux pour être déposées en banque ou investies en Amér
ique du Nord et en Europe occidentale. Les profits tirés du trafic qui
restent sur place peuvent considérablement alléger le déficit de la

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