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TRIBUNE
Les enjeux d’un centre expérimental
d’éthique clinique
Depuis plus d’un an, un centre d’éthique clinique fonctionne
à l’hôpital Cochin à Paris. Son but est d’aider, à leur demande
et au cas pas cas, patients et médecins confrontés
à une situation complexe ou difficile sur le plan éthique.
Une expérience pilote en France.
prévaloir le respect de l’autonomie du depuis quelques années et plus pré-
Véronique Fournier* patient sur la préférence du méde- cisément identifié ou du moins for-
cin ? Et cette tendance ne va-t-elle pas malisé depuis les États généraux de
Le dernier cas soumis à la justice mettre en danger la profession sur le la santé (novembre 1998-juin 1999).
1,2d’une patiente témoin de Jéhovah, plan éthique? Ils ont été l’occasion d’une prise de
transfusée contre son gré, a relancé L’une des grandeurs de la médecine parole forte de la population s’expri-
controverses et polémiques. L’état de est de s’être toujours interrogée sur mant au nom des personnes malades
santé de la jeune femme nécessitait la dimension éthique de sa pratique. et des usagers du système de santé. Le
une transfusion, du fait d’une hémor- Cette interrogation se voit perpétuel- message a été lancinant à force d’être
ragie abondante déclenchée quelques lement renouvelée, du fait de l’avan- toujours répété de ville en ville, de
heures après qu’elle eut mis au monde cée de la science et des techniques, réunion en réunion : il faut que la rela-
son premier enfant. Le traitement a aujourd’hui peut-être plus encore tion au système change, il faut que le
donc été mis en place, et ce malgré son qu’hier du fait d’une certaine nouvelle malade soit davantage considéré
refus clairement exprimé et réitéré. exigence faite à la médecine: celle de comme une personne et non comme
Était-il légitime d’aller contre sa laisser toute sa place au patient dans une maladie, comme un sujet et non
volonté et de lui imposer ce dont elle la décision qui le concerne. comme un objet (de soins), qu’il
avait dit ne vouloir à aucun prix? Ou devienne autant qu’il le souhaite par-
UNE DOUBLE FILIATIONfallait-il respecter son choix, quitte à tie prenante de la décision qui le
ce qu’il conduise à la mort, et alors L’origine du centre d’éthique cli- concerne et davantage acteur de sa
même qu’il existait à portée de main nique de l’hôpital Cochin s’inscrit au propre santé. Slogan? Quoi qu’il en
un traitement simple et susceptible carrefour d’une double filiation : l’une, soit, il a été décidé d’apporter une
de lui éviter une issue possiblement celle de l’éthique médicale, interpel- réponse politique à cette demande
fatale? Beaucoup s’inquiètent de ce lation éternelle, co-substantielle et avec la loi du 4 mars 2002, et notam-
que la loi du 4 mars 2002 change l’é- essentielle à la vitalité du métier ; l’au- ment son titre I consacré aux droits des
3quilibre de la relation malade-méde- tre, plus récente, tient sa source dans malades. Mais la loi ne suffit pas. Il
cin. Ne va-t-elle pas conduire à faire un mouvement de fond, perceptible lui faut des outils d’accompagnement
* Praticien hospitalier en santé publique, responsable du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin. Mél : ethique.clinique@cch.ap-hop-paris.fr
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CENTRE EXPÉRIMENTAL D’ÉTHIQUE CLINIQUE
si l’on veut qu’elle devienne réellement mode que le groupe de réflexion plu- rain, hospitalière, directement bran-
effective: le centre d’éthique clinique ridisciplinaire sur l’éthique médicale chée sur la réalité clinique quotidienne,
a pour objet d’en être un. au quotidien mis en place il y a solidement adossée sur le plan uni-
S’inscrivant dans l’histoire de cette quelques années dans le cadre de la versitaire, et travaillant en liens étroits
double filiation, il s’intéresse, observe Société de formation thérapeutique du avec des partenaires en sciences socia-
et accompagne la prise de décision généraliste; à l’époque, ce groupe avait les et humaines.
médicale «é thiquement » difficile. publié quelques analyses de cas
Une implantation au seinL’hypothèse est que les situations dans éthiques fort intéressantes dans La
d’un groupe hospitalo-universitaire
lesquelles une telle décision se pose Revue du Praticien - Médecine Géné-
4,5sont souvent exemplaires de la tension rale ; Le groupe Cochin-Saint-Vincent-
qui existe au sein de la relation méde- – pragmatique: il s’agit d’accompa- de-Paul est hospitalo-universitaire. À
cin-malade et du nouvel équilibre qu’il gner une décision en cours, c’est-à-dire ce titre, il fait partie de l’Université
convient de trouver, depuis la loi, entre d’intervenir à chaud, en temps réel et Paris V. Le projet y a reçu un excel-
les deux positions en présence. utile pour les demandeurs, quitte à lent accueil, de la part du doyen de
Le rôle du centre est aussi de contri- ce que cela soit aux dépens de l’in- la faculté de médecine, du président
buer à ce que la place de chacun dans temporalité de l’avis rendu; d’université et de son conseil scienti-
le processus de décision soit optimale : – contextualisée:le parti est de pren- fique, et enfin de la communauté
celle du patient et de ses proches, celle dre en compte la spécificité des per- hospitalière.
des soignants, mais aussi celle de la sonnes mises en jeu par la question Le choix de Cochin a été motivé par
société. Car la médecine n’appartient posée, qu’il s’agisse du patient, de ses l’existence en son sein d’un certain
pas qu’aux médecins. Et si elle doit être proches ou des différents membres de nombre de ténors cliniciens, particu-
à l’image de la société qu’elle sert, alors l’équipe soignante, chacune avec son lièrement favorables au développe-
celle-ci doit avoir son mot à dire sur histoire, sa personnalité, et les inter- ment d’une telle expérience. Ce pré-
ce qu’elle attend de la médecine, sur relations des unes avec les autres. Face requis est indispensable, car le centre
les valeurs qu’elle entend la voir véhi- à deux situations médicalement équi- ne vit que de la sollicitation d’autrui:
culer, sur la place qu’elle souhaite faire valentes, les recommandations du cen- si les médecins ne sont pas convain-
à la souffrance, à la mort, aux per- tre pourront être différentes car fonc- cus de l’intérêt d’avoir parfois recours
sonnes malades, âgées, handicapées. Il tion du contexte; à une structure tierce, alors le centre
s’agit ici de faire en sorte que la société – au service de la relation médecin- a peu de chances d’être saisi et de faire
civile participe davantage à la réflexion malade: l’objet n’est pas de s’immis- la preuve de son intérêt.
sur la décision médicale lorsque celle- cer dans le colloque singulier entre La structure existe sous la forme
ci est lourde d’enjeux qui dépassent le médecin et son patient; l’ambition d’une unité fonctionnelle hospitalière.
la stricte médecine: enjeux sociaux, est, au contraire, de participer à ce Elle est rattachée au président du comité
culturels, religieux, économiques, poli- que le dialogue s’approfondisse ou se consultatif médical pour signifier sa
tiques et que, chemin faisant, elle y restaure s’il a été malmené par la dif- vocation transversale à l’hôpital.
prenne sa part de responsabilité. ficulté de la décision à prendre; Enfin, pour ce qui concerne les par-
– collégiale et pluridisciplinaire: il ne tenariats avec des équipes en scien-
AU CAS PAR CAS s’agit pas de faire appel à un sage qui ces sociales et humaines, le centre a
Le centre a mis en place, à la dispo- saurait mieux que les autres quelle est cherché à les développer de préférence
sition des patients, de leurs proches, la « bonne » décision; les membres du avec d’autres structures de ParisV.
comme de l’équipe soignante, une centre ne se veulent pas «é thiciens »; Aujourd’hui, ses principaux partenai-
consultation pluridisciplinaire d’aide à l’ambition est d’impulser une dyna- res sont au nombre de 3: le départe-
la décision médicale «é thiquement » mique globalement « plus éthique », ment de recherches en droit médical
rdifficile, c’est-à-dire mettant en jeu un basée sur la conviction que le « plus de Paris V, dirigé par le P Frédérique
conflit de valeurs. La démarche est éthique » se construit grâce à une Dreifuss-Netter, le centre de recher-
caractéristique en cela qu’elle est: réflexion collégiale, pluridisciplinaire, che CNRS en sociologie « Sens,
– spécifiquement casuistique: le cen- et respectant une certaine rigueur éthique et société» (CERSES), dirigé
tre ne traite que de questions éthiques méthodologique. par Simone Bateman et lié par conven-
soulevées au cas par cas ; en cela, il sem- Pour poursuivre ces objectifs, le tion à Paris V, et la chaire de philoso-
ble fonctionner un peu sur le même choix a été fait d’une structure de ter- phie des sciences biologiques et médi-
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CENTRE EXPÉRIMENTAL D’ÉTHIQUE CLINIQUE
rcales du P Anne Fagot-Largeault au lyse précise et régulièrement revalidée. tout en garantissant au demandeur la
Collège de France. Depuis plus d’un Sont ainsi rencontrés individuelle- qualité d’une prestation toujours col-
an maintenant, ils ont tous joué le jeu ment et successivement: le patient, ses légiale et pluridisciplinaire.
d’une relation fidèle et étroite, pour proches, le médecin référent, les autres Le staff pluridisciplinaire d’éthique clinique
la plus grande satisfaction de chacun. médecins ou soignants qui interviennent Sa fonction est la révision systé-
dans la prise en charge s’ils sont concer- matique des avis préparés par la
Un dispositif à 3 étages nés par la question posée. consultation d’éthique clinique. La
Le dispositif mis en place comporte Les éléments qui sont explorés sont révision a lieu autant que possible a
3 étages: 1. la consultation d’éthique tous ceux susceptibles de participer de priori ou, exceptionnellement, a pos-
clinique; 2. le staff pluridisc