Mythes et réalité de l héroïne en Suisse - article ; n°1 ; vol.62, pg 109-121
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Mythes et réalité de l'héroïne en Suisse - article ; n°1 ; vol.62, pg 109-121

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Description

Communications - Année 1996 - Volume 62 - Numéro 1 - Pages 109-121
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mr Hermann Fahrenkrug
Mythes et réalité de l'héroïne en Suisse
In: Communications, 62, 1996. pp. 109-121.
Citer ce document / Cite this document :
Fahrenkrug Hermann. Mythes et réalité de l'héroïne en Suisse. In: Communications, 62, 1996. pp. 109-121.
doi : 10.3406/comm.1996.1938
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1996_num_62_1_1938Hermann Fahrenkrug
Mythes et réalité
de l'héroïne en Suisse
Récemment, un grand journal genevois organisait un débat sur le
thème : « La drogue : les Suisses sont-ils devenus fous ? » Comme on
pouvait s'y attendre, les passions se sont déchaînées contre la scène
ouverte de la drogue à Zurich et la distribution de l'héroïne en Suisse
alémanique.
Quelques jours plus tard, la même gazette titrait à propos d'une sai
sie d'héroïne un peu plus importante dans le canton de Genève : « Le
trafic se banalise. » Les lecteurs ordinaires qui se nourrissent
de l'information disponible sur le marché ne peuvent qu'en tirer une fois
de plus l'impression que la drogue — et spécialement l'héroïne — ne se
trouve plus seulement dans une gare abandonnée de Zurich (le Letten),
mais partout. Et si ce ne sont pas des « dealers étrangers » qui distr
ibuent l'héroïne à un prix imbattable, c'est l'État suisse lui-même qui en
donne maintenant à qui en demande, avec ses propres programmes de
distribution.
Si l'on pense qu'une initiative populaire, avec 150 000 signatures, a
été déposée auprès de la Confédération afin que le peuple suisse vote
« pour une politique rationnelle de la drogue » demandant franchement
une légalisation de la production, de la distribution et de la consommat
ion de toutes les sortes de stupéfiants — y compris les plus durs, et bien
sûr l'héroïne —, la question de la folie des Suisses ne semble guère rhé
torique.
Toutes ces nouvelles « héroïnomaniaques » ne sont pas seulement
enregistrées avec beaucoup d'intérêt à Vienne par le United Nations
International Narcotic Control Board, mais trouvent leur écho dans la
presse internationale, qui se pose parfois la même question concernant
la raison perdue des Suisses. Qu'est-ce qui pousse donc ce petit peuple
un peu spécial et retranché derrière ses montagnes à jouer à nouveau le
« Sonderfall », cette fois en matière de politique de la drogue? Est-ce
109 Hermann Fahrenkrug
que la consommation de l'héroïne est vraiment en voie d'acceptation
générale ou de « Normalisierung » en Suisse ? Les descendants de
Guillaume Tell n'ont vraiment peur de rien : rester les seuls en dehors
de l'Union européenne et distribuer de l'héroïne à tour de bras !
N'exagérons rien. Depuis le début des années 90, « la drogue » — et
il faut entendre par là surtout « les drogues dures » (l'héroïne et la
cocaïne) — prend régulièrement place dans les sondages à la tête des
problèmes sociaux qui font le plus peur aux Suisses (juste après le chô
mage, qui approche les 5 %). Un autre sondage — cette fois réalisé par
notre institut (Efionayi-Mâder, 1994) — a donné le résultat alarmant sui
vant : 75 % des parents suisses romands ont « très peur » ou « peur »
que leurs enfants « aient des problèmes de drogue ». Bizarrement — et
là on entre dans la complexité helvétique —, les parents suisses aléma
niques ont trois fois moins peur. Comme par hasard, le graphique qui
illustre les pourcentages montre une seringue — symbole inévitable de
la piqûre d'héroïne.
Une analyse des mass media suisses sur le thème de la drogue (Wid-
mer, 1993), portant sur 1 300 articles de la presse écrite, relève que c'est
l'héroïne qui apparaît le plus souvent comme substance mentionnée sous
les rubriques d'analyse « délits et drogue », « scènes de la drogue »,
« politique de la drogue » et « drogues diverses ». Le bon sens helvé
tique et sa représentation médiatique semblent donc convaincus que « la
drogue » est omniprésente, et l'ultime drogue, c'est l'héroïne. C'est en
elle que se concentrent et se manifestent toutes les angoisses et menaces
qui pèsent sur la Suisse et sa jeunesse. Et ce n'est à nouveau pas un
hasard si une autre initiative populaire, qui sera votée par les Suisses
en 1996, plaide « pour une jeunesse sans drogue ». On ne peut guère
mieux exprimer les sentiments profonds des habitués du Stammtisch
suisse alémanique ou du zinc du Café du Commerce en Suisse romande
que par quelques caricatures.
Le clocher du village remplacé par une seringue, ou le symbole du
peuple suisse, berger et alpin — la petite Heidi et ses chèvres —, en train
de se faire un « fix » d'héroïne, c'est là qu'on approche le traumatisme
collectif (voir illustration de couverture).
Entre la triste vérité d'une scène visible de la drogue où on trouve de
l'héroïne pour 40 FS le gramme, les milliers d'amateurs de cette drogue
souvent dans un état de santé lamentable, une « guerre entre les dea
lers » et les mille places autorisées de « traitement » de la toxicomanie
par la substitution par l'héroïne, on peut se demander si l'héroïne n'est
pas devenue un nouveau fast food suisse.
Pour analyser ce climat suisse d'« héroïnomanie » ou d'« héroïno-
phobie », nous suivrons trois pistes. La première se demande s'il existe
110 Mythes et réalité de l'héroïne en Suisse
vraiment des tendances à l'acceptation ou à la normalisation concernant
l'usage de l'héroïne. Quels éléments possédons-nous pour détecter une
infiltration majeure de l'héroïne dans la société suisse ? Nous allons voir
les quelques indicateurs et chiffres de la consommation de l'héroïne
disponibles et nous allons nous pencher sur les formes de la consomm
ation, surtout sur la dernière mode consistant à inhaler la fumée
d'héroïne brûlée sur du papier d'aluminium (chasing the dragon), et sur
cette population récemment apparue de consommateurs d'héroïne socia
lement intégrés. C'est là qu'on devrait déceler les signes majeurs d'une
acceptation de l'héroïne en Suisse. La deuxième piste est celle de l'Etat
suisse « dealer » d'héroïne. Pourquoi la Confédération a-t-elle autorisé
ce vaste programme de distribution d'héroïne? En quoi consiste-t-il
réellement ? Et est-ce que cette entreprise va nous amener à distribuer
quotidiennement de l'héroïne à tous les coins de rue ? La troisième piste
est la plus dure à suivre et la plus spéculative. A partir des réponses
négatives concernant la « normalisation » de l'usage de l'héroïne en
Suisse et le « blanchissage » de la Confédération comme « trafiquant de
drogue », il reste à comprendre pourquoi cette drug panic ou moral panic
(Goode, 1990 ; Goode et Ben- Yehuda, 1994) qui semble avoir saisi les
Suisses s'est emparée d'une drogue comme l'héroïne.
De Vhérdine partout ?
Pour les chiffres concernant la consommation d'héroïne, nous nous
appuyons sur trois sources décrites dans le tout récent rapport national
sur la drogue (Fahrenkrug et al., 1995) : les indications données par les
autorités cantonales interrogées dans un sondage en 1993, les statis
tiques de saisies de drogues établies par la police et un sondage natio
nal concernant la consommation de drogue en Suisse. Évidemment,
chaque source mériterait une critique de sa fiabilité et de sa validité,
tâche qui nous emmènerait trop loin. C'est en comparant les résultats de
ces différentes manières d'appréhender la réalité qu'on peut penser
approcher la vérité.
Pratiquement, tous les cantons indiquent des tendances croissantes.
La consommation des « cocktails » (mélanges d'héroïne et de cocaïne
souvent additionnés d'autres substances) est également en hausse. Sans
aucun doute, les autorités voient sinon de la consommation d'héroïn

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